Friday

16-05-2025 Vol 19

La chasse au trésor et le Fringe 2013

La 23e édition du Fringe montréalais est passée comme un grand coup de vent sur le boulevard Saint-Laurent et ses alentours. Moins d’une semaine après, nul vestige de cette tempête créative. Les affiches faites maison posées dans le chaos le plus complet s’en sont allées, le parc des Amériques a retrouvé sa relative quiétude après avoir rempli son office de quartier général de ce festival d’art émergent bilingue. L’underground a regagné ses sombres ruelles, ses sous-sols pleins de promesses et fomente sans doute déjà sa prochaine petite révolte. Jusqu’à vendredi dernier, pourtant, on pouvait entendre rugir cette portion de la ville où fourmillaient les adeptes d’humour, de musique, de conte, de danse, de cirque et bien sûr, vous me voyez venir, de théâtre.

Un nouveau petit continent à explorer s’est offert à nous, recelant autant de perles que de simples cailloux. Car pour fringer, il ne faut jamais avoir trop d’attentes, être prêt à prendre des risques et à embrasser l’imprévisible. Alors on a écumé les rues, battu la ville à la recherche de talents, du Petit Campus au Théâtre MainLine, de La Chapelle à La Ruelle et du Divan Orange au Cagibi. Sans prétention d’exaustivité, on a fait des choix purement arbitraires, guidés par l’impulsion. Aucun mérite, il aurait été bien impossible de couvrir les quelques 700 représentations, incarnation même du coq à l’âne. Dans ce véritable océan de spectacles, les trois productions théâtrales que j’ai eu la chance de voir font bien sûr figure de misérables gouttes. Voici tout de même un aperçu de ce qui pourrait ou ne devrait pas se retrouver prochainement sur les scènes théâtrales montréalaises.


Accueillir le malheur avec la philosophie du corps

Premier soir au Fringe, l’affaire prend des allures circassiennes avec le spectacle multidisciplinaire de Krin Maren Haglund, The rendez-vous galant. Dans ce solo toujours en chantier, cette artiste pleine de ressources, s’étant échappée pour un moment des grands cirques de stature internationale (Les 7 doigts de la main, Éloize et du Soleil), tâche de réprimer la déception causée par un lapin qu’on lui a posé. Évidemment, le résultat n’est pas aussi fâcheux et larmoyant que si la chose était arrivée à une personne aussi quelconque que vous et moi. Se réfugiant dans de vieux standards de jazz réconfortants, Krin Maren Haglund se désennuie d’abord avec l’une de ses chaussettes devenue marionnette malicieuse. Elle imagine ensuite la façon dont elle se comportera lorsque son amant se présentera à sa porte. Mettant à profit des notions de mime et de danse, elle compose un numéro touchant à la pantomime, aussi grotesque que délicieux. Son visage parfait le comique alors qu’elle ne prononce qu’un minimum de mots et de sons.

The rendez-vous galant (Crédit Fringe)
The rendez-vous galant (Crédit Fringe)

Plus l’attente se fait sentir, plus son comportement se fait étrange, laissant découvrir des talents de contorsionniste et d’acrobate. Vient un point où l’espoir la déserte, la poussant ainsi à inviter un membre du public (complice) à monter sur scène pour venir partager la bouteille de vin réservée au rendez-vous. Incapable de faire les choses normalement, elle se met à boire des façons les plus farfelues qui soient, incluant la manipulation de la coupe à l’aide de son pied. La soirée prend fin avec un numéro de tissu aérien maîtrisé, suivi d’un autre impliquant une Roue Cyr. L’amant n’est peut-être pas venu, mais on se serait sans doute bien moins amusé s’il avait osé faire son apparition. Il ne serait pas surprenant de voir The rendez-vous galant reprendre l’affiche très bientôt, compte tenu de la cohérence de ce court spectacle bien pensé, efficace et drôle. Quant aux quelques transitions un peu abstraites qui ponctuent la soirée, je n’ai aucun mal à croire qu’elles pourront aisément être resserrées.


Télé-théâtre

La deuxième soirée vient avec plus d’aisance. Le pas se fait assuré, le sourcil ne s’élève plus lorsqu’il apparaît impossible d’obtenir une réponse en français de la part de certains bénévoles. Bilingue, mais pas trop, à la dilettante. Je me retrouve à nouveau à La Chapelle pour assister à La chasse aux sorcières, un texte de Nicolas Forget. L’ambiance bon-enfant, la facture plus que bancale rappelle tout de suite le théâtre que l’on se risquait à faire à l’école secondaire. Rien à prendre au sérieux ici puisque la distribution en entier semble s’observer en riant comme après une grosse blague bien grasse. J’arrive à concevoir que ce style puisse plaire même s’il n’a pas su opéré son charme sur moi. Les adeptes de stand-up absurde à la Philactère Cola, N’ajustez pas votre sécheuse, 3600 secondes d’extase et consorts en seront probablement ravis. Les habitués des théâtres certainement pas mal moins.

La chasse aux sorcières (Crédit Fringe)
La chasse aux sorcières (Crédit Fringe)

Dans un style grossier, la compagnie Les supers loups présente une équipe de production télévisuelle sur le déclin. Mike Hunter, vedette d’une émission de chasse et pêche, n’arrive plus à attirer assez de cotes d’écoute pour assurer la subsistance de son programme. La productrice décide alors de jouer le tout pour le tout en envoyant son équipe tourner une émission spéciale de chasse à la sorcière. La suite est une série de péripéties à Witchtown, jouant avec les codes télévisuels et ceux de ce genre d’émission. Quelques gags font mouche, bien que la plupart tombent à plat. Manque de conviction dans le jeu, écarts flagrants de niveau de langage qui rendent l’exercice laborieux et succession de clichés prévisibles. Une bonne part de tout cela paraît délibérée, bien que cela n’arrive pas à sauver cette production.
L’enfance à contre-courant

Si la surprise s’est légèrement fait attendre, elle se montre finalement lors de ma dernière soirée au Fringe, dans le petit cabaret du Petit Campus, presque désert. La jeune compagnie Théâtre de brousse y présente sa plus récente création; La contestation expliquée aux enfants. Sans prétention, à la bonne franquette, cette petite pièce engagée a su me séduire par sa simplicité et la force de son propos. Seule à la barre, la comédienne Juliana Léveillé Trudel a écrit, mis en scène et joué ce vibrant récit d’une mobilisation sociale. On est dans le documentaire autant que dans le conte, dans le pamphlet autant que dans le récit. Léveillé Trudel y raconte un épisode de son enfance l’ayant introduite à la lutte sociale.

La contestation expliquée aux enfants (Crédit Fringe)
La contestation expliquée aux enfants (Crédit Fringe)

Suite à la crise du verglas de 1998, Québec décide de construire une ligne électrique haute-tension qui a pour but de « sécuriser le réseau » après la petite catastrophe que vient de subir la province. Du moins, c’est ce que le gouvernement prétend et ce que la majorité de la population croit en raison de la peur qu’a laissé le givre dans son sillage. Les parents de Juliana, résidents de Cantons de l’Est, perçoivent l’affaire tout autrement puisque l’expropriation les guette. Leur hypothèse sur la raison d’être de cette nouvelle ligne lorgne plutôt du côté des besoins énergétiques des États-Unis et des gros profits à réaliser pour Hydro-Québec. Autre époque, même constat. Du haut de ses douze ans, Juliana nous fait le récit de la lutte civile qui s’organise, les petites victoires comme les défaites. David contre Goliath. Désobéissance civile, combat juridique, désaccords sur les moyens de se faire entendre, tout y passe.

Naïveté et sagesse s’alternent dans le discours de la jeune fille en plein apprentissage. Les personnages que l’on rencontre dans ce récit sont bien rendus, colorés à souhait et représentatifs de notre société. Les musiciens Julie Sweet et Philip Tompkins accompagnent Juliana sur scène en composant la trame sonore du spectacle. La contestation expliquée aux enfants est une production d’une simplicité désarmante qui arrive à faire mouche. On se prend rapidement au récit, s’attachant à cette lutte malgré le côté amateur de la production. Sans doute la plus belle découverte que j’ai faite au Fringe cette année.
Le calme de retour, la planète théâtre s’arrête de tourner un court instant avant le Zoofest et la rentrée automnale. On salive déjà devant le buffet, sachant d’ores et déjà que l’on n’arrivera pas à voir la moitié de tout ce qui sera présenté. Mais pour le moment, pour un instant, on savoure le calme plat. Quand on le peut, on quitte la ville et on rejoint la forêt. Pour mijoter les apprentissages de l’année, se ressourcer et peut-être même, écouter ce que les arbres ont encore à nous dire.

——
La 23e édition du Festival St-Ambroise FRINGE de Montréal s’est déroulée du 3 au 21 juin 2013.

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.