La société retourne sur les bancs d’école

C’est une classe, comme la mienne, comme la vôtre. Lorsque le professeur tente de démarrer une discussion sur l’oeuvre à…
1 Min Read 0 65

C’est une classe, comme la mienne, comme la vôtre. Lorsque le professeur tente de démarrer une discussion sur l’oeuvre à l’étude, L’homme rapaillé de Gaston Miron, il se rend compte que personne ne l’a lue. Si vous avez fréquenté le même genre d’école secondaire que moi, vous savez que la situation est commune, presque banale. Devant la turbulence de sa classe qui réclame à grands cris un jeu-questionnaire pour remplacer l’étude de l’oeuvre de notre plus grand poète, l’enseignant n’a d’autre choix que de céder. L’anecdote est directement tirée de la pièce Les mutants, reprenant l’affiche ces jours-ci à La Licorne, suite au succès qu’elle avait suscité l’an dernier. Si j’ai senti la foule beaucoup plus touchée ou perturbée par d’autres moments de la pièce, étrangement, c’est cette anecdote qui m’a rendue profondément mal à l’aise. Elle me semble un excellent exemple de l’instrumentalisation de notre éducation, symptomatique d’une société qui préfère faire passer des tests de personnalité à ses étudiants que de leur enseigner leur propre histoire, les plus beaux mots de leurs ancêtres.

La question de la transmission du savoir n’est qu’une infime partie de la réflexion qu’enclenche Les mutants. Et quel lieu plus approprié pour une introspection provinciale qu’une salle de classe? De retour en enfance, une génération de «vieux jeunes acteurs» retourne sur les bancs d’école pour dresser le bilan de la société québécoise et se demander à quel genre d’avenir auquel rêve-t-on, mais aussi auquel peut-on rêver. Sous la houlette du metteur en scène, idéateur et enseignant d’un soir, Sylvain Bélanger, il nous est proposé de replonger dans le processus scolaire qui nous a tous, d’une façon ou d’une autre, façonnés. Les jambes, plus longues qu’alors, tiennent à peine sous les petits pupitres. À la place du fameux berlingot de lait, un quart de litre de rouge tient tranquilles les grands enfants. On y apprend, entre autres, à s’exprimer (en anglais, pour vanter les mérites du fédéralisme), à dessiner (des castors, forts et travaillants), à obéir et à rester jeunes jusqu’à sa mort. Sans nécessairement être abordés à fond, les thèmes foisonnent. Le souvenir, la jeunesse à tout prix, les projets de société (inexistants), pragmatisme versus idéalisme, amour et mort. S’appuyant sur les œuvres d’Hubert Aquin, Dany Laferrière et autres, le ton est tantôt sarcastique, tantôt nostalgique. Les références culturelles ne manquent pas non plus, parsemant la pièce sous la forme d’images d’archives projetées, d’illusions et d’extraits sonores.

037 (1)

Utilisant très bien l’espace, interprété à la hauteur des noms qui composent la distribution (encore et toujours l’émouvante Sophie Cadieux, Rose-Maïté Erkoreka, Mathieu Gosselin, Renaud Lacelle-Bourdon, Éric Paulhus, Simon Rousseau et compagnie), Les mutants reste toutefois la pièce-critique-de-société un peu convenue. Nous sommes devant une très bonne production, qui vous arrache rires et larmes, ne s’écartant toutefois pas de la longue lignée d’oeuvres du même genre présentées dans les dernières années. Les mêmes questions et toujours pas de réponse. Québécois, qui sommes-nous? Peut-être qu’à force de se poser la question, c’est elle qui finira par nous définir? Mais attendez, n’est-ce pas déjà le cas? Québécois, indécis, Québécois à la prochaine fois. Enfin, répondre à ces questions est peut-être un trop grand mandat pour qu’on ne le confie qu’à notre théâtre, si génial soit-il. En attendant, Les mutants est une bonne pièce. Et puis qui sait? Si assez de gens y réfléchissent, on pourra peut-être finir par arriver à y répondre, ensemble.

* *

Les mutants de Sylvain Bélanger et Sophie Cadieux du 13 novembre au 1er décembre, La Licorne. M.E.S. de Sylvain Bélanger

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.