Ariane Cordeau signe son premier roman avec Moitié vrai, paru aux éditions Leméac en 2015. Cette institution a donné naissance à de nombreux auteurs d’avant-plan ces dernières années. Un premier livre est l’occasion de tâter le pouls de l’écrivain, voir comment il s’inscrit dans le paysage littéraire québécois.
Mimi, jeune femme dans la trentaine, exerce maladroitement le métier d’avocate. C’est qu’elle ne semble pas à la hauteur de son père, Pierre Tremblay, ancien juriste à succès qui gère des états financiers du creux de sa retraite, dans une grosse maison de Brossard. Ce dernier désapprouve les étourderies et les choix de Mimi, qui travaille pour l’assistance juridique à défendre des pédophiles. «Elle aurait pu avoir une carrière brillante, gagner de l’argent, épouser un homme de sa trempe, acheter une maison, fonder une famille.» (26)
L’élément déclencheur du récit est provoqué par Pierre, lorsqu’il lui fait don d’une lettre adressée à sa mère, Christine. La missive a été écrite par quelqu’un du nom de Gérard. L’inconnu demande à Christine de prendre soin de l’enfant. Croyant que Pierre n’est pas son père, Mimi accourt auprès de sa mère afin qu’elle lui révèle son secret, mais cette dernière refuse de répondre. S’ensuivra un récit d’initiation en France, où la protagoniste va à la recherche de ses origines et de son identité.
L’histoire est centrée sur les tribulations de Mimi, personnage rempli d’espoir à l’idée de retrouver son vrai père, sa réelle origine. «Tout prenait un sens: l’ambiance empoisonnée à la maison, l’amertume de son père, la tristesse de sa mère, ses propres questionnements existentiels. Qui était-elle?» (51) La quête de la jeune avocate semble mue par sa propre commisération envers elle-même. En l’occurrence, l’auteure se sert de cette sorte de réceptacle intangible, de l’incapacité du personnage de prendre sa place dans l’espace et de s’incarner dans le temps pour de forger la quête de son roman.
Si le ton de la narration est léger, voire flottant, le prétexte du voyage est l’occasion de déplacer Mimi en même temps que de modifier son rapport au lieu. Lorsque la personnage se rend au château où sa mère et le mystérieux Gérard se sont rencontrés, elle tombe sur son arrière-grand-tante, une vieille malcommode en perte de mémoire. Sous l’influence de cette étrange compagne, le souvenir du passé revient en scènes à moitié imaginaires. On plonge dans la malle à costumes, on sort les couverts d’argenterie, mais rien d’autre ne reflue que l’odeur de la poussière. On pense être dans le rêve, la fantasmagorie, puis on apprend que Gérard vit dans le sud de la France. Mimi monte dans le train et éprouve des états d’âmes à l’idée de la transition. Sur le plan du style, la narration n’arrête pas d’osciller entre l’action tangible et des élans de recueillement poétique discontinus. Après avoir quitté la vieille: «Elle se sentait flotter dans un drôle d’espace-temps, dans une capsule migrante, une chrysalide suspendue entre un passé définitivement antérieur et un futur indéfini, entre son pays et un coin de France inconnu, à la rencontre d’étrangers qui la composaient.» (99)
L’analyse de cet extrait fait ressortir un ancrage lâche des points de repère en ce qui a trait à la mimesis. Cette capsule, ou plutôt cette chrysalide, fait figure de couche protectrice qui empêche Mimi de se révéler dans sa matérialité, de se révéler dans le récit sans nous rappeler qu’elle n’est rien d’autre qu’un personnage créé à partir d’une suite linéaire de mots.
Si l’intrigue chemine de manière naïve, c’est parce que la narration recourt souvent au commentaire en exergue qui fait retour sur une situation qui vient pourtant tout juste de nous être donnée. «Elle se sauva du restaurant en se mordant les doigts. Ça n’allait pas du tout. Un bistrotier sorti de nulle part savait tout de sa vie intime, les secrets de sa mère, son amant nouveau, son père inconnu. Le village au complet attendait la suite du feuilleton.» (117) D’où vient ce goût d’Ariane Cordeau pour le résumé? Cette pointe d’humour, à défaut de renforcer l’ironie dramatique, ajoute au manque de crédibilité du récit.
C’est parce que dans le train, Mimi a rencontré un sympathique jeune homme qui devient son amant. Le jeune homme invite Mimi à visiter sa famille qui habite en campagne, sur une ferme. Mimi pressent le pire, et comme de fait, le pire arrive: le père de ce beau parleur séduisant n’est autre que Gérard lui-même. Elle aurait donc commis l’inceste avec son demi-frère.
Après cette chute dramatique gênante, l’héroïne revient à Montréal et avoue à son père, déjà affaibli par des douleurs cardiaques, qu’elle a l’intention de lâcher le droit. Pierre en fait aussitôt un infarctus. Vite! Le père est enterré dans son cercueil. Mimi hérite de la gérance des états financiers de Pierre. Elle se découvre soudain un goût pour la gestion de l’argent des autres. À ce bienfait, la vieille tante est morte, elle aussi, et lui lègue son château.
Mimi retourne en France prendre possession des clés. Surprise! Gérard et son fils viennent lui rendre visite, aux côtés de sa mère et de son demi-frère, Fabrice. Mimi apprend que Pierre était effectivement son père biologique. Gérard est le père de son demi-frère, Fabrice, c’est pourquoi elle avait confondu la lettre envoyée à sa mère et s’est lancée, sans le savoir, dans un imbroglio à moitié vrai qui n’a au fond jamais cessé de nous lasser.
La fin dénote de façon synthétique l’absence de propos du livre. De fille maladroite qui ne savait pas où aller dans la vie, Mimi devient une femme mûre dotée d’une belle situation financière. Ce n’est pas tant l’aspect bourgeois de la résolution qui dérange, avec le pinard et le repas sur la pelouse, mais plutôt la reconnaissance qui s’accomplit à la lecture de cette scène: depuis le début, Mimi poursuivait un faux problème. Tous ses problèmes d’origine et d’identité sont réglés par la mort de la vieille tante, mais surtout par le décès du père: les antagonistes ne sont plus un souci une fois enterrés.
Ce dénouement laisse un vide inexploré dans la diégèse. Il aurait dû y avoir rencontre avec l’altérité. En termes de littérature actuelle, il faut dire que le Québec excelle dans ce courant esthétique qui a un pied dans la mimesis et l’autre dans l’énonciation de la forme. Or, force est de constater qu’ici, le résultat de ce chevauchement est tiède. Est-ce à dire que l’auteure ne démontre pas de verve? Non. En fait, son écriture commet l’erreur de la banalité lorsqu’elle cherche à s’aventurer dans l’avant-garde en favorisant des ritournelles formelles aux dépens de l’enjeu et du propos. Dans le paysage littéraire québécois, cette manie de prendre le lecteur pour un enfant en le rendant indolent à la fiction risque, chez les lecteurs assidus, de générer moins d’admiration que de condescendance.
––
Ariane Cordeau signe son premier roman avec Moitié vrai, paru aux éditions Leméac en 2015.
Article par Damien Blass-Bouchard.