« J’ai longtemps associé sexe à procréation ; sans nécessairement penser que chaque rapport égalait reproduction, j’ai été élevée dans l’idée qu’on devait faire l’amour avec quelqu’un qu’on aime, avec qui on se projette dans l’avenir pour bâtir quelque chose de solide et permanent[1]. »
La maison d’édition Hurtubise est reconnue pour ses publications qui abordent des enjeux sociaux contemporains. En effet, elle diffuse des œuvres québécoises qui, au travers de leur histoire, incitent à la réflexion. Dans la dernière année, les lecteur·rice·s ont notamment été sensibilisé·e·s sur le deuil périnatal avec La libellule, sur l’anorexie mentale masculine avec Quelques solitudes et sur le trouble d’anxiété avec En plein cœur de Saturne. Dernièrement, la première œuvre de Camille Beauchamp est parue chez Hurtubise. Le désordre naturel des choses engage la réflexion au sujet de la maternité, ou plutôt sur le refus de la maternité. Lors du lancement, le 8 février dernier, l’autrice livrait qu’ «écrire est un long processus, mais [que] voir des gens à qui ça parle, que ça touche, c’est pour ça que je le fais dans le fond ». Camille Beauchamp ajoute qu’elle a décidé d’aborder cet enjeu puisqu’elle ne peut porter ce message de haute importance toute seule.
Dans le roman, c’est le personnage de Sophie qui mène le combat de faire valoir son refus d’avoir des enfants. Lors du lancement, l’éditrice de Camille, Catherine Ouellet, qualifiait la protagoniste comme étant « une héroïne 100% authentique dans ses rêves et ses désirs ». En effet, Sophie est un peu maladroite, mais ô combien attachante! Elle entraine les lecteur·rice·s avec elle dans cette épreuve bouleversante et anxiogène.
Approchant la fin vingtaine, Sophie consulte son médecin afin d’avoir un suivi quant à ses chances de tomber enceinte. Le diagnostic tombe : anomalie des ovaires, plus précisément insuffisance ovarienne – une défaillance des ovaires qui réduit la fertilité. Alors qu’elle digère l’information, Sophie se rend à l’évidence qu’elle ne souhaite pas avoir d’enfants. C’est alors tout son petit monde qui bascule. La protagoniste fait face aux réactions – fort désagréables – de tous ses êtres chers. Cette décision étant en conflit avec les désirs de son conjoint de longue date, elle emménage avec sa meilleure amie et décide de prendre du recul afin de trouver son identité dans cette nouvelle réalité. Elle rencontre alors Irène, une octogénaire qui, par son expérience de vie, l’aide à voir plus clair dans le chemin à prendre pour l’avenir.
En prenant la décision de ne pas avoir d’enfants, Sophie ne se plie pas aux normes de la société. Cela fait en sorte qu’elle est énormément critiquée. Tous·tes se croient alors permis de donner leur opinion sur ce choix, pourtant personnel. Il est frustrant de voir que chacun·e trouve son mot à dire sur cette décision qui ne les concerne aucunement. Les réactions des personnages reflètent parfaitement l’indignation que cause l’annonce du refus de la maternité : elle est égoïste, elle va changer d’idée, elle n’est pas complète ni accomplie si elle ne devient pas mère. Malgré ses frustrations accumulées, Sophie s’accroche à sa décision et combat les stéréotypes sociaux résultant de la pensée que toutes les femmes devraient avoir le désir d’être mères. Pourtant, être parent n’est aucunement une obligation. La femme détient à elle seule le pouvoir sur son utérus.
Ce roman féministe, à la fois frustrant et émouvant, se classe désormais dans mon palmarès littéraire de 2023. J’ai bien hâte de voir ce que nous réserve Camille Beauchamp dans l’avenir.
[1] Camille Beauchamp, Le désordre naturel des choses, Montréal, Hurtubise, 2023, p. 100.
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Beauchamp, Camille, Le désordre naturel des choses, Montréal, Hurtubise, 2023, 264p.