Daniel Bélanger a publié en août dernier son tout premier recueil de poésie aux éditions Les Herbes rouges. Cette œuvre compte près d’une centaine de courts poèmes sans titre. La langue de Bélanger est simple, sans prétention, dénudée. Ce recueil prend la forme à la fois d’une spirale et d’un long fleuve tranquille, les poèmes se faisant écho entre eux. Les adeptes de l’œuvre de l’auteur-compositeur-interprète reconnaîtront des similarités entre sa poésie et ses albums, notamment Mercure en mai, Rêver mieux et L’Échec du matériel.
Sur une trame de fond pandémique et post-pandémique, l’œuvre de Bélanger nous force à prendre une pause, à vivre dans l’instant présent et à observer les petites scènes de la vie. De la recette du pâté à la viande jusqu’aux souvenirs d’enfance à la campagne, les poèmes mettent en lumière des éléments banals du quotidien. Au rythme des saisons, belles et laides à la fois, le poète semble vouloir nous dire qu’on peut être dépressif en mai et joyeux en novembre; il témoigne de la tristesse, de la déprime, de la difficulté de vivre, de la pression de ne servir à rien et en même temps d’avoir besoin d’action. L’humain n’est pas toujours en train d’exister activement, dans cette culture de croissance et de burnout que décrit Bélanger. Le poète s’échappe de cette société de profit, de consommation, de capitalisme étouffant et anxiogène en prenant le volant. Il profite de ces longues balades pour s’évader. C’est justement sur la route qu’il rêvasse au monde des camionneurs. Il s’imagine faire des livraisons, être en cavale dans les haltes routières. Il se voit conduire des camions vers l’abattoir. De là commence sa drôle d’obsession pour les porcs, qui le suit tout au long du recueil. Une tentative de végétarisme échouée plus tard, il essaie de comprendre ce désir de manger de la viande, cette vie misérable que l’on fait subir aux animaux pour ensuite les tuer.
Le poète utilise son verbe contre cette production à la chaîne et plutôt en faveur d’une sorte d’autosuffisance, le tout ponctué d’un désir de simplicité et d’enracinement, de contact avec la nature. La solitude semble être au centre de sa poésie, un isolement teinté par de longs silences qui se lisent entre les blancs de son écriture. Parfois, un autre anonyme fait acte de présence dans le texte. Bélanger raconte l’amour, le désir de se mouler à l’autre, de faire du chemin ensemble, mais aussi de meet in the middle.
En restant très évasif, le poète parle également de la mort, de la perte, de la douleur; la crise vécue par un proche, le départ de l’être aimé ou même l’anticipation de son propre décès. Bref, Bélanger s’épanche sur tous ces petits drames de la vie qui nous empêchent de nous laisser porter par le vent, de ressentir une paix intérieure inébranlable. Pour nous apaiser, et peut-être se convaincre lui-même, Bélanger exprime le besoin de relâcher ce que l’on ne peut pas retenir, de se couper de cette manie de planifier et de cette obsession de trouver sa voie. Pourquoi ne pas retourner à l’insouciance de l’enfance, cette liberté originelle si douce?
Dans le monde adulte se déroule une guerre constante entre le corps et l’esprit, comme l’exprime le poète. Toutefois, à la suite des évènements de l’année dernière en Ukraine, ce dernier s’estime heureux de pouvoir vivre en n’ayant pas connu la véritable guerre. Après tout, la paix demeure vacillante et incertaine pour chacun·e d’entre nous. Dans Poids Lourd, on sent que Daniel Bélanger souhaite laisser sa trace, qu’il essaie de se faire comprendre, comme il le fait dans ses chansons. Et si ce n’est pas le cas et que sa poésie ne trouve pas écho, il prendra le volant de son camion rempli de porcs et se mettra à rouler jusqu’à l’aube.
Daniel Bélanger, Poids lourd, Montréal, Les Herbes rouges, coll. « Poésie », 2022, 104 p.
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Article rédigé par Mérédithe Naud