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16-05-2025 Vol 19

Le Projet Peinture : un médium à l’honneur

La peinture prend d’assaut le milieu artistique québécois cet été. Alors que l’Association des galeries d’art contemporain s’apprête à une deuxième édition de son événement Peinture Extrême! – où vingt galeries montréalaises se relayeront des expositions mettant à l’honneur ce médium – la Galerie de l’UQAM lance le bal avec sa propre initiative: Le Projet Peinture. Une exposition d’envergure qui réunit soixante artistes provenant de partout au Canada. 

Il a fallu deux ans de recherches pour les commissaires de l’exposition, Julie Bélisle et Louise Déry, également directrice de la galerie, accompagnées par Marie-Eve Beaupré et de comités d’experts, afin d’éplucher près de 500 dossiers d’artistes pour en arriver à la sélection qui est présentée en deux volets dès le mois de mai. Un projet colossal pour une galerie universitaire, certes, mais qui colle parfaitement à la résolution pédagogique qui la motive. Poussé par la constatation que les connaissances divulguées à même le milieu artistique demeurent, somme toute, fragmentaires en ce qui concerne l’histoire de la peinture et de son avenir, Le Projet Peinture veut amener une vision actualisée des considérations sur le médium.

Vue du volet 1 de l'exposition Le Projet Peinture. De gauche à droite : Julie Trudel et Tammi Campbell. Photo : L.-P. Côté © Galerie de l’UQAM
Vue du volet 1 de l’exposition Le Projet Peinture. De gauche à droite : Julie Trudel et Tammi Campbell. Photo : L.-P. Côté © Galerie de l’UQAM

Par son dessein d’offrir «une vue d’ensemble du champ de la pratique picturale au Canada[1]», le projet de la galerie semble rejoindre la tendance des expositions panoramiques. Dans le catalogue de l’exposition, Louise Déry affirme que «plus les panoramas sur l’art canadien se font rares, moins la connaissance des grands courants artistiques qui se développent dans notre pays peut infiltrer le domaine culturel[2].» Même si cette perspective globalisante est plutôt marginale dans le réseau professionnel, il est possible de voir dans ce choix de la galerie un désir de faire rayonner à l’international la scène artistique canadienne afin d’en édifier sa notoriété.

Quatre grands axes cernent le travail des peintres canadiens retenus et sont recensés dans le catalogue publié pour l’occasion: «Figures du réel», «Univers de fiction», «La peinture comme sujet» et «Pratiques hybrides». Le premier volet de l’exposition, lancée le 30 avril dernier, ne reprend pas exactement cette même structure et déploie de manière plus libre les trente œuvres à travers la galerie; accordant une place aux liens davantage formels ou iconographiques que chaque visiteur peut initier. La mise en salle d’un tel nombre de travaux, parfois complètement divergents dans leur portée, est tout un défi. Les commissaires ont d’ailleurs su le surmonter en offrant un espace aéré pour le regard et la déambulation.


Au-delà du médium

Les deux œuvres in-situ de Gwenessa Lam, situées à l’entrée de la galerie, permettent l’utilisation maximale des surfaces et proposent une certaine audace qui diffère avec le reste de l’accrochage plutôt classique. Le travail de cette artiste, sous forme d’ombres architecturales constituées de poudre de graphite, décloisonne la discipline de la peinture. Ce n’est pas ici le médium même, mais plutôt l’application sur les murs à l’aide de brosses qui fait le pont avec la pratique picturale. D’autres artistes de l’exposition présentent également des supports non-traditionnels, que ce soit la porte en bois de Jason McLean, History of Knock Jokes (2012), le cube de résine renfermant les personnages de The Block Party (2012) de Jessica Korderas ou le paravent blanc de Cynthia Girard, I Had a Dream (2012).


De l’histoire à la culture populaire

Certains projets demeurent plutôt dans une utilisation traditionnelle du médium, comme c’est le cas pour La déportation des Acadiens (d’après Sir Frank Dicksee) (2012) de Mario Doucette, avec sa facture qui imite les peintures historiques d’époque de la Nouvelle-France et son cadre doré. Kent Monkman est également reconnu pour sa tendance à revisiter le genre de la peinture d’histoire tout en subvertissant les éléments iconographiques, tel qu’il est possible de le constater dans son œuvre grandiose Miss Africa (2013), faite spécialement pour l’exposition. D’autres artistes investissent plutôt l’univers de la bande dessinée et de l’iconographie populaire, comme le collectif Team Macho. Leurs multiples œuvres de petits formats et de factures variées sont accrochées de manière éclectique, résultat d’une technique de travail hétérogène en groupe.

Vue du volet 1 de l’exposition Le Projet Peinture, De gauche à droite : Wanda Koop, Team Macho et Louis-Philippe Côté. Photo : L.-P. Côté © Galerie de l’UQAM


Assemblages

L’accrochage permet une lecture nouvelle selon la proximité d’une œuvre avec d’autres. Les grands formats au style épuré et aux couleurs sobres de Marie-Claude Bouthillier, Stéphane La Rue et Pierre Dorion, des artistes à la carrière déjà bien établie, s’harmonisent à merveille. Works in Progress (series 1-16) (2011-2012) de Tammi Campbell, les dyptiques de Julie Trudel ainsi que de Thomas Chisholm et Reference (2012) de Dil Hildebrand sont d’autres exemples où les œuvres partagent de manière cohérente espace physique et liens formels. Les formes géométriques s’allient à la virtuosité picturale, le sujet peint devenant la maîtrise de la technique de la peinture elle-même. Dans certains cas, c’est sous le registre de la couleur que dialoguent les œuvres. Le rappel du bleu ponctue le regard qui parcourt le travail de Wanda Koop, Daniel Hutchinson et Graham Gillmore, tandis que les couleurs éclatées d’Hugo Bergeron dans Standard (2013) contrastent avec les œuvres monochromes de Sandra Meigs et de Carol Wainio.

Vue du volet 1 de l'exposition Le Projet Peinture. De gauche à droite : Marie-Claude Bouthillier, Stéphane La Rue, Pierre Dorion. Photo : L.-P. Côté © Galerie de l’UQAM
Vue du volet 1 de l’exposition Le Projet Peinture. De gauche à droite : Marie-Claude Bouthillier, Stéphane La Rue, Pierre Dorion. Photo : L.-P. Côté © Galerie de l’UQAM


La peinture toujours vivante

Le Projet Peinture: soixante artistes et autant de manières de travailler le médium. Même en se cantonnant à la peinture comme objet rassembleur, la pléthore des approches qui en ressort ne fait que confirmer la difficulté de circonscrire la direction de l’art actuel. D’autre part, une exposition ayant comme cœur un matériau singulier peut paraitre hors-cadre alors que les artistes eux-mêmes en font rarement un cas dans leur pratique personnelle, d’autant plus qu’il s’agit d’un matériau maintes fois revisité à travers l’histoire.

Mais peut-être faut-il lire le projet de la Galerie de l’UQAM autrement. Face au foisonnement, n’est-ce pas l’individualisation de la pratique de chaque artiste qui est justement mise en valeur? Ainsi, il ne s’agit pas de rassembler des pratiques similaires, mais bien de montrer la richesse de cette diversité. Faisant tout cela sous l’égide de la peinture, cela prouve, dans un autre sens, l’inventivité des propositions actuelles sur ce matériau notoire qui continue de surprendre.
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Le Projet Peinture. Un instantané de la peinture actuelle au Canada
Galerie de l’UQAM, Commissaires: Julie Bélisle et Louise Déry

Volet 1: 1er mai au 1er juin 2013 (vernissage le 30 avril)
Hugo Bergeron (QC), Marie-Claude Bouthillier (QC), Tammi Campbell (SK), Thomas Chisholm (BC), Louis-Philippe Côté (QC), Pierre Dorion (QC), Mario Doucette (NB), Michael Dumontier & Neil Farber (MB), Graham Gillmore (BC), Cynthia Girard (QC), Clint Griffin (ON), Dil Hildebrand (QC), Daniel Hutchinson (ON), Wanda Koop (MB), Jessica Korderas (NS), Gwenessa Lam (BC), Stéphane La Rue (QC), Maclean (QC), Jason McLean (ON), Christine Major (QC), Sandra Meigs  (BC), Chris Millar (AB), Kent Monkman (ON), Tim Moore (SK), Paul P. (ON), Brad Phillips (ON), Team Macho (ON), Julie Trudel (QC), Carol Wainio (ON)

Volet 2:  7 juin au 6 juillet 2013 (vernissage le 6 juin)
Melanie Authier (ON), Mike Bayne (ON), Simon Bilodeau (QC), Jack Bishop (NS), Jérôme Bouchard (QC), Anthony Burnham (QC), Sarah Cale (ON), Arabella Campbell (BC), DaveandJenn (AB), Kim Dorland (ON), Pierre Durette (QC), Dorian FitzGerald (ON), Sky Glabush (ON), Kym Greeley (NF), Jeremy Hof (BC), Chris Kline (QC), François Lacasse (QC), Jean-François Lauda (QC), Norma Jean MacLean (PE), Elizabeth McIntosh (BC), Michael Merrill (QC), Shaun Morin (MB), Andrea Mortson (NB), Wil Murray (AB), Ben Reeves (BC), Francine Savard (QC), Justin Stephens (QC), Beth Stuart (ON), Joseph Tisiga (YT), Ehryn Torrell (ON), Janet Werner (QC)

Article par Lisa Tronca.


[1] Louise Déry, «Projeter la peinture», in Le Projet Peinture. Un instantané de la peinture au Canada, Audrey Genois (éd.), Catalogue de l’exposition présentée à la Galerie de l’UQAM du 1er mai au 1er juin 2013 et du 7 juin au 6 juil. 2013, Galerie de l’UQAM, Montréal, 2013, p. 23.

[2] Ibid.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM