Après la Canada day, le temps était venu de passer à des activités un peu plus, comment dire, élevantes. J’ai donc passé en revue les activités culturelles de la semaine. Pour être au courant de la vie urbaine de cette portion de la côte, le journal Georgia Straight est un bon outil de recherche [i]. Depuis 40 ans, il est distribué gratuitement tous les jeudis et couvre, de de manière semblable à son équivalent montréalais Voir, les nouvelles des domaines artistique (arts visuels, musique, cinéma, mode), culinaire, technologique, touristique et des affaires. L’hebdomadaire recommande toujours certains évènements artistiques à ne pas manquer.
Semaine du 30 juin au 7 juillet :
Butō sur la plage, performé par la troupe Kokoro;
Ashes on the Water, par Michelle Olson (Parcours de la ville à l’aide d’un audio-guide appelé pobplay qui propose une narration combinant récit, musique et indices directionnels pour vivre et voir l’œuvre sans représentation devant mais bien en présence de son propre corps. [ii])
La nomination de deux évènements reliés à la danse dans le Georgia Straight n’était pas un coup de dé, car du 6 au 17 juillet avait lieu la 23e édition du festival de danse contemporaine Dancing on the Edge, créé en 1988 en réponse à un besoin d’espace pour la diffusion du travail des créateurs-novateurs de la région. La programmation inclut des œuvres présentées en salle et in-situ, des rencontres entre le public et les créateurs ainsi que des résidences de création [iii].
bu, « danser »
tō, « taper au sol » [iv]
L’évènement de danse d’origine japonaise sur la plage nudiste de Vancouver m’enthousiasmait particulièrement.
Wreck beach est située sur le campus de l’Université de Colombie-Britannique. Elle est une des deux seules plages reconnues par les autorités canadiennes comme étant officiellement nudiste [v] et donc sans danger de représailles judiciaires.
Arrivée sur place, après 300 marches et un parcours en vélo à l’image de la ville (descente-montée-montée), j’ai aperçu les dix corps nus, peints en blanc, parmi quelques adeptes du nudisme, se préparant à leur performance d’une heure trente sur une étendue de plage dégagée par la marée basse. Depuis 16 ans, la compagnie de post-butō Kokoro, créée en 1986 par Barbara Bourget et Jay Hirabayashi, offre des performances de la «danse des ténèbres» en fusionnant l’esthétique de l’Est et de l’Ouest. Très active, la compagnie a présenté plus de 1000 performances au fil des ans en se consacrant principalement à la collaboration interdisciplinaire [vi].
Écho à la préparation sportive, la troupe commença par ce que j’ai interprété comme un réchauffement : quelques étirements et un jogging de groupe sur une centaine de mètres.
Les corps blancs offraient un contraste étonnant avec la forêt en direction sud et le bleu foncé de la mer devant les montagnes (pour retrouver le nord à Vancouver : retrouver les montagnes. Comme le fleuve à Québec pour repérer le sud). La trentaine de personnes présente pour l’événement se regroupa. Puis, les danseurs, massés sur le bord du pacifique, débutèrent (ou continuèrent) l’articulation approximativement synchronisée de leur corps, difficilement descriptive, mais essentiellement performative, « [relevant] du faire […] qui installe par l’action un état de fait» [vii]. La lenteur, les micro-mouvements, la disponibilité à l’immanent, caractérisant le butō depuis ses débuts dans le Japon post-Hiroshima, offrait une poésie visuelle tout à fait singulière qui consolidait les liens de cette danse avec l’expressionnisme allemand et le surréalisme. Danse dans l’océan puis retour au sable, les points d’appui retrouvèrent peu à peu leur couleur chair. Un dégradé des jours ordinaires.
Poïésis et minimalisme
L’absence de scène, de quatrième mur, d’espace autoritaire provoquait à la fois une relation intime avec les mouvements des danseurs mais aussi un sentiment d’embarras fertile. Particulièrement lors de la portion chorégraphique où les danseurs individualisés par leur dissémination dans l’espace engageaient une nouvelle relation proxémique avec le spectateur, le positionnant dans un entre-deux sans tentative de séduction, sans objectivation de sa participation.
Découvrir union dans la négociation oui/non.
Le sujet de la danse se dégageait dans la dé-aliénation des corps, danseurs et participants confondus, provoquant certaines rencontres spontanées entre eux.
La fin d’un tabou (tout le monde naît sans vêtement)
Les structures sociales extérieures sont les résultantes des structures intérieures, psychologiques, qui constituent nos relations humaines, car l’individu est le résultat de l’expérience totale de l’homme, de sa connaissance et de son comportement.
– Krishnammurti [viii]
À titre de conséquence possiblement corolaire avec la liberté corporelle inspirée par le butō, j’adoptai moi-même un nudisme partiel sur la plage après la performance, puis quelques semaines plus tard, fis l’expérience du nudisme/nu-vite en banlieue de Vancouver après le coucher du soleil. Ayant ressenti à la fois une si grande liberté par le geste et l’absurdité de son illégalité, la thèse de Michel Foucault sur la théorie du bio-pouvoir (prise en compte de la vie par le pouvoir) errait dans mon esprit. // Étatisation du biologique [ix].
Biennale de Vancouver 2009-2011
Il s’agit du dernier été de la deuxième édition de la biennale d’art public de Vancouver ayant pour thème «in-TRANSIT-ion». L’exposition est composée d’une quarantaine d’œuvres dispersées dans l’espace urbain et stratégiquement, au bord des pistes cyclables, des lieux de passage des trains et des aires de grand trafic. Ces choix d’emplacement ont été choisis par les organisateurs dans le but de mettre «l’accent sur le mouvement physique des gens dans une société de plus en plus mobile» [x] et ainsi tisser un lien avec la thématique.
Fait étrange : le deuxième onglet après Exhibition sur le site internet de l’OSBL porte le nom de SALE (à vendre).
Il est possible de lire dans About us (à propos de nous) que les ventes sont assurées par PHILLIPS de Pury & Company’s et que 100% des profits des ventes servent à subventionner l’exposition suivante. L’importance de l’aspect commercial est singulière si l’on compare avec le site de la Biennale de Montréal de cette année par exemple, qui n’inclut aucune indication pour acheter une œuvre ou participer à leur mise en enchères.
À cet égard, plusieurs critiques négatives se tiennent en réaction à cette biennale considérée par certains artistes de Vancouver comme une exposition commerciale à ciel ouvert.
Tenant compte du but commercial avoué de la biennale, il est possible de remettre en question le choix des emplacements des œuvres à des fins conceptuels, pour une raison principale de visibilité par un grand nombre de gens, qui dans la logique marchande, se traduit par un grand nombre d’acheteurs potentiels.
Voici quelques images des œuvres tirées du catalogue de mise en enchères du site internet. Tant qu’à faire la médiation d’œuvres sculpturales aussi bien les tirer d’un contexte. Trop tard pour miser!
(Volet statistique)
** Prochaine chronique : Grand tour (et re-tour) des expositions estivales.
[i] Site internet du journal Georgia Straight : http://www.straight.com/
[ii] Le collectif d’artistes québécois, Audiotopie, propose ce type de participation au public en l’invitant à se mettre en relation avec l’espace urbain de manière multisensorielle [ii]. Fait intéressant, la galerie d’art contemporain de Vancouver présente jusqu’au 21 août le travail off-site, A Way to Go, de l’artiste Ron Tran qui propose une déambulation dans l’espace public accompagnée d’un téléphone intelligent. Je vous en redonne des nouvelles.
[iii] Pour soumettre un projet au festival, jusqu’au 15 septembre: http://www.dancingontheedge.org/dote2012_proposals.php.
[iv] Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/But%C5%8D
[v] Fédération naturiste-nudisme du Québec: http://www.fqn.qc.ca/plages.htm
[vi] Site officiel de la troupe : http://www.kokoro.ca/indexf.html
[vii] La définition du performatif de Joanne Lalonde s’accorde avec la pensée du philosophe du langage John Austin transcrive dans son livre Quand dire, c’est faire. Source : Boisclair, Louise. (2010). «Réflexion sur Le performatif du Web (Joanne LALONDE)», magazine électronique du CIAC, no 37, http://www.ciac.ca/magazine/fr/lectrur.htm
[viii] Source : Krishnamurti, Se libérer du connu, Paris : Stock, 1977, p.14.
[ix] Source : Michel Foucault, La volonté de savoir, Paris Gallimard 1976, p.213. Cité dans : Guillaume Le Blanc, L’archéologie médicale du bio-pouvoir. En ligne : http://stl.recherche.univ-lille3.fr/archives/archivesset/colloques/LeBlanc.html
[x] «Pursuing the theme “in-TRANSIT-ion”, the 2009-2011 exhibition will expand and situate art along bike routes, at the Vancouver International Airport, at new Canada Line stations and wrapped on buses and rapid transit trains. In doing so, the exhibition will emphasise the physical movement of people in our mobile society, as well as our changing attitudes and sensibilities towards public art.» Source : http://www.vancouverbiennale.com/exhibition.html
Article par Arkadi Lavoie Lachapelle.