Notre correspondante toute spéciale, Arkadi, nous offre aujourd’hui le premier volet de ses chroniques hebdomadaires sur la vie culturelle, sociale et politique de Vancouver. Des images. Rien de trop transgressif. Une odeur. Avec volet statistique pour satisfaire les compulsifs du calcul[i].
Welcome Huān yíng Bienvenue.
Canada Day : Poutine et al.
Arrivée fin juin à Vancouver pour un stage professionnel auprès d’artistes et de galeries, j’étais ravie de pouvoir vivre la Fête du Canada dans une province qui a voté pour le Parti Conservateur avec plus de 45% des voix aux dernières élections [ii]. Les festivités principales se tenaient sur la Place du Canada, au cœur du Downtown de la Cité de verre [iii]. Une belle journée ensoleillée pour rougir. On y trouvait une foule d’activités multiculturelles, incluant la présence d’un kiosque à poutine accompagnant d’autres vendeurs aux menus internationaux : portugais, chinois, mexicain et libanais. En lisant les 10 choix de poutine offerts par la Poutinerie, je pensais à une critique du multiculturalisme canadien qui met en relief le fait que la culture québécoise est peu à peu réduite à une saveur folklorique, entraînant la réduction de l’importance de ses valeurs et de sa langue dans la définition du Canada [iv].
J’ai préféré passé mon tour de l’Authentic French Canadian Poutine. Ce genre de nourriture passe moins bien quand tu l’analyses. Ceci étant dit, à titre de contre-exemple, les différentes formes d’information liées au Canada Day étaient traduites dans les deux langues officielles.
J’ouvre une parenthèse : tous les produits vendus en magasins sont aussi traduits en français. Tandis que certains commerces et services choisissent le mandarin comme langue d’affichage.
L’impression d’être en Chine est saisissante dans le skytrain (métro aérien) et dans la rue. Et ce ne sont plus les asiatiques stéréotypés, touristes à l’appareil photo-mitraille qui prennent des clichés de manière fiévreuse au coin des rues. Vous êtes désormais le touriste en quête d’images incroyables du Canada. Le pourcentage de la population asiatique à Vancouver est évalué à 34% selon le recensement de 2001 [v]. Le regard finit par s’habituer.
Canada Day II: Propagande
Avant la découverte du stand à patates frites, j’avais été sensibilisée à l’importance des figures d’autorité canadiennes par les mascottes de la fête :
Mascotte : Empr. au prov. mascoto «sortilège, ensorcellement au jeu»[vi].
Il était possible de se faire photographier auprès de deux policiers de la GRC, dont la présence engendrait une file d’attente d’au moins 30 mètres, et un peu plus loin, de militaires.
Une énorme tente de recrutement de la Navy, un camion Bomb Disposal, un avion de chasse et un robot téléguidé prenaient place pour définir et célébrer le Canada (j’étais un peu déçue, dans la brochure il y avait l’image d’un tank).
Et puis, les enfants auprès des pilotes comme à Noël dans les centres d’achat où le Papi demande à la gamine si elle a été sage. Après avoir réchauffé le siège du pilote à la suite des 200 autres enfants avant elle, on lui remet un petit cadeau. Objet qu’elle ramènera à la maison, fière et privilégiée de s’être assise dans un avion de chasse. Et pourquoi ne pas faire de ces pilotes des modèles pour les enfants de différentes origines, pour qu’ils se reconnaissent et se projettent dans cette carrière excitante [vii]?
Bon. Bon. Boum.
L’idée ici n’est pas de prêcher en faveur ou en défaveur de l’armée. C’est plutôt un constat : l’utilisation d’une situation festive à des fins d’enrôlement dans un système de valeur, vis-à-vis lequel, une pensée critique et de la prudence sont nécessaires considérant les conséquences engendrées par les différents mandats militaires, ceux-ci incluant la guerre sous le couvert de la sécurité et de la protection de la nation. Je ne crois pas qu’un enfant de 8 ans évalue ces différents niveaux de lecture lorsqu’il reçoit un cadeau, même de la part de l’armée. La présence militaire normalisée au sein du paysage et la posture familiale des activités militaires étaient troublantes. J’espérais de tout cœur que ce genre d’activités soit absent de la programmation québécoise. Un coup d’œil à la liste d’activités de Québec et de Montréal [viii] me confirma que mes neveux et nièces furent épargnés de cette propagande.
True North, Strong and Free
Juste pour le plaisir de l’inventaire du consommateur moyen de quossins, voici une courte liste d’objets à l’effigie de la feuille d’érable répertoriés lors de la fête (probablement Made in china) :
drapeau, chapeau–lutin-cowboy-clown-parapluie, casquette, bas, chandail, veste, foulard, perruque, lunette, serviette, collier, ballon, récipient de tous genres, tatous…
Et ce slogan : True North, Strong and Free imprimé sur plusieurs supports. Hum, mais de quel Nord parlons-nous exactement? Le Canada dans sa globalité ou le Nord du Nord (le vrai)? D’autant plus ambigu avec les rumeurs qui circulent depuis quelques années sur une possible militarisation du Nord canadien par le gouvernement Harper dans le but de défendre sa souveraineté (la souveraineté du Nord). J’ai dû faire quelques recherches pour découvrir que le «slogan» était un des vers de l’hymne national anglophone. Mon patriotisme a certaines lacunes. J’ai remarqué aussi que ce vers situé sous le mot CANADA, tout en haut de la page d’accueil du site internet anglophone du gouvernement du Canada [ix], a comme photo d’arrière plan, en plein centre de la frise, les plaines. Comme l’Europe au centre de la carte du monde. Merveilleux.
À la recherche des arts visuels
Du point de vue artistique, je n’ai rien vu de vraiment stimulant. La portion arts visuels était allouée à la présentation de portraits de canadiens célèbres peints à l’huile par l’artiste originaire de Vancouver William Meire.
Une mosaïque de photographies carrées de canadiens formant une feuille d’érable par leur tonalités colorées était peut-être l’aspect visuel le plus excitant (pour réaliser à la maison : Logiciel en ligne : photomosaïque [x]).
Pour conclure cette journée toute canadienne, j’ai été coincé avec mon vélo dans la parade pendant deux heures et j’ai découvert que le 1er juillet était aussi la Cannabis Day.
Bienvenue dans l’Ouest, une des extrémités canadiennes!
Prochaine chronique : Butō, nudisme et sculpture dans l’espace public
[i] Excellent livre sur notre addiction au calcul d’un point de vue philosophique: Isabelle Sorente, Addiction Générale, Paris : JCLattès, 2011, 218p.
[iii] City of glass est le surnom donné à Vancouver en raison de ces nombreuses tours vitrées au cœur de la ville. C’est aussi le titre du roman de Paul Auster publié en 1985.
[ii] Source : Radio-Canada. En ligne: http://elections.radio-canada.ca/elections/federales2011/les_resultats/index.shtml
[iv] Pour une analyse plus complète du multiculturalisme et de certaines critiques à son endroit voir : Marc Leman, Multiculturalisme canadien, Direction de la recherche parlementaire, Ottawa : Bibliothèque du Parlement 1999. En ligne: http://dsp-psd.communication.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/CIR/936-f.htm
[v] Source : Statistique Canada. En ligne: http://www12.statcan.ca/english/census01/products/highlight/Ethnicity/Page.cfm?Lang=F&Geo=CSD&View=3&Code=933&Table=1&StartRec=1&Sort=2&B1=Counts
[vi] Source : Centre nationale de ressources lexicales et textuelles. En ligne: http://www.cnrtl.fr/etymologie/mascotte
[vii] Adjectif utilisé par les Forces de l’Armée canadienne dans leur campagne de recrutement : Combattez. Source : http://www.forces.ca/fr/media/video#publicitestele-3
[viii] Programmation Montréal :
http://www.feteducanadamontreal.org/index.html
Québec : http://www.feteducanada-quebec.com/
[ix] Site internet du Gouvernement canadien :
http://www.canada.gc.ca/home.html
[x] Pour le faire à la maison : http://www.photofiltre-studio.com/freeware/photomosaique.htm
Article par Arkadi Lavoie Lachapelle.