Le climat estival vancouverois, du 6 juillet au 1er août, s’apparentait à un remake du printemps montréalais. Pantalons longs, imperméable et vie d’intérieur. Absolument nul pour la plage mais parfait pour les espaces fermés dédiés à la culture. Compte tenu de la quantité d’expositions dont j’aimerais mentionner l’existence, voici une première partie consacrée aux institutions muséales.
Pourquoi la Révolution Surréaliste avait cessé de paraître [i]
Créée en 1931, prenant place aujourd’hui après déménagement en 1983 dans l’imposant palais de justice au style néo-classique situé en plein cœur du downtown, entre les tours à bureaux et les hôtels de luxe, la Vancouver Art Gallery (VAG), seul musée à proprement dit dédié à l’art visuel à Vancouver, présente annuellement de trois à quatre blocs d’expositions non-permanentes issues de pièces de sa collection (3% de sa collection (de 10 000 œuvres) par bloc [ii]) ou d’expositions en échange interurbain.
Jusqu’en septembre, il est possible de voir une rétrospective du surréalisme, The colour of my dreams/ THE SURREALIST REVOLUTION IN ART, exposition qui rassemble un nombre faramineux d’œuvres diversifiées (peinture, collage, sculpture, photographie, film et archive) et qui soulignent par thème ou par artistes la quête qu’André Breton avait nommé «l’automatisme psychique pur» dans le but d’exprimer le fonctionnement réel de la pensé. Un texte de présentation traditionnel de l’exposition formé de lettres noires en vinyle autocollant sur mur blanc, incluant la liste des commanditaires, dont le surprenant The Ked-Steakhouse&Bar en première ligne, accueille le spectateur, (particulièrement le mardi de 5@9, entrée par donation) avant toute autre exploration visuelle. L’approche choisie par le commissaire Dawn Ades consolide la conception du surréalisme tel que présentée dans les livres généraux d’histoire de l’art du XXe siècle. Scolaire. Donnant l’impression de tourner des pages de manière un peu rigide, autant au niveau de la disposition spatiale qui nous fait passer de salle en salle à la manière «salon» que celui du contenu thématique. L’aspect expérimental fondamental de ce mouvement aurait pu être souligné dans une relation fond/forme novatrice. Il est vrai qu’avec plus de 350 œuvres à présenter, la tâche d’organisation s’avère périlleuse.
Ce nombre d’œuvres qui avait motivé cette mise en garde de la guichetière : «réserve-toi la journée, trois heures ce n’est pas assez», n’a d’ailleurs pas empêché une impression au goût édulcorée de l’exposition et ce, malgré la présence de pièces significatives telles Le cerveau de l’enfant (1914) de Georgio de Chirico et La subversion des images (1929-30) de Paul Nougé et de noms notoires tels qu’André Breton, Salvador Dalí, René Magritte et Joan Miró.
L’impressionnante collection de films incluant, entre autres, le délicieux classique de George Méliès Le voyage dans la lune (1902), qui nous éclaire sur les explorations des nombreux autres artistes qui suivront, tels Luis Buñuel, Hans Bellmer, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Hans Richler, Max Ernst, Man Ray ( et dont les images sur la «lune» rappelle le traitement de certains dessins de Shary Boyle) est d’une richesse incroyable et qui, nécessitant des heures de visionnement, justifie à elle-seule le conseil préliminaire d’une présence de plus de trois heures dans l’enceinte muséale.
Ken Lum : ironie et objets familiers
Mots clés: modernisme et minimalisme espace public vs espace domestique société de consommation race et classe langage identité.
Émerveillée par le déshumidificateur de la dernière salle qui créait une ambiance sonore parfaite avec les sculptures de Louise Bourgeois The Thru Graces (1947), tension entre abstraction et figuratif, je passai au deuxième étage qui accueillait le travail de Ken Lum, Vancouverois de la famille des photoconceptualistes (Ian Wallace, Jeff Wall, Rodney Graham, Stan Douglas, Roy Arden). Un Guide d’utilisatrice m’attendait. Outil de médiation ingénieux, qui me permet de vous parler avec assurance des œuvres et de la démarche de l’artiste.
Photographie (entre document et mise en scène) + texte (entre narration et poésie)
Panneaux signalétiques pour commerce + texte
Miroir + texte (We’ll see who gets the last laugh, 2002)
Labyrinthe phénoménologique (miroir) + texte (Mirror Maze with 12 signs of depression [iii], 2002)
Sculpture (Furniture Sculpture, 1986)
Sculpture espace public (Monument for East Vancouver, 2010)
Performance (Entertainment for Surrey, 1978)
L’exposition est consistante et in-téressante (tentative de re-sensibilisation du mot). La performance de 1978 semblait être la prémisse du travail futur. Prostré à côté d’une grande artère (Sururban Express) en direction d’une banlieue de Vancouver à la même heure (de grand trafic) pendant cinq jours, son corps devenait une référence spatiale. La sixième journée, il remplaça sa présence par une silhouette de carton, intégrant un nouvel élément signalétique pour un public spécifique, conducteurs qui cherchent désormais ce point de repère, cette marque dont l’information communiquée est le témoignage de leur propre passage quotidien.
Exposition incontournable pour s’initier au photoconceptualisme et réfléchir dans les miroirs de tous les jours.
Si un artiste sculpte un ours en pierre à savon, crée-t-il nécessairement de l’art Inuit?
Quelques mots, pour conclure, sur le musée d’anthropologie (MOA) qui offre à voir plus de 38 000 objets de diverses cultures du monde [iv] et spécialement des autochtones de la côte Ouest dont la superbe collection de totems qui racontent les histoires des familles qui les ont érigé en mélangeant les figures animales et humaines.
L’exposition qui a retenu particulière mon attention est celle organisée par les étudiants en anthropologie sur la relation entre l’art Inuit et le marché de l’art, Faces and Voices of the Inuit Art Market, dans une portion de la galerie Audain du MOA. Les questions concernant les notions de valeur et d’authenticité sont intelligemment soulevées en soulignant l’idée que la notion «d’art» dans la culture inuit est une tradition construite par le marché, posant à priori comme contradictoire les notions d’art et d’authenticité.
À l’aide de postes audio où ces problématiques sont discutées par des artistes inuit, de graphiques et de recherches ingénieuses, il est possible de concevoir la complexité de cette relation qui a été engendrée par James A. Houston dans les années 1950 en vendant les premières œuvres inuit après ses visites du Nord canadien auprès des communautés Inuit. Dans ces mêmes années, il y retournera, à l’aide du support gouvernemental, avec des outils pour l’art d’impression dans le but de donner des moyens de production et une source de revenus aux Inuits, dans un contexte où le gouvernement canadien met en application son programme d’assimilation et d’acculturation des Inuits à l’aide, entre autres, d’institutions scolaires et religieuses [v]. Une lettre exposant les critères exigés aux Inuits pour plaire aux blancs remet en cause cette idée du «sauveur» blanc suggérée dans l’exposition Inuit Prints: Japanese Inspiration, présentée dans la portion principale de la galerie.
La rencontre est brillante par la beauté des œuvres présentées, le point de vue critique soulevé et la cohabitation des deux «miroirs», culturel et économique, qui pose le spectateur dans un conflit entre séduction et aversion, informé désormais de la possible création des œuvres en réponse à ses critères de «blanc» depuis plus de 60 ans. Du coup, il peut remettre en question ses propres critères d’appréciation, possiblement le fruit de tout autant de manipulations.
À suivre…
Prochaine chronique : Archives, Ex-Yougoslavie et technologie LAYAR : regard sur la programmation estivale de centres d’artistes et de galeries.
[i] La Révolution Surréaliste N°12, 15 Décembre 1929, p.1
Cité dans : http://melusine.univ-paris3.fr/Revolution_surrealiste/Revol_surr_12.htm
[ii] Source VAG: http://www.vanartgallery.bc.ca/about-us/about-us.html
[iii] #1 I cry for no reason #3; There is no future for me #4; I feel alone in the world; #11 I am afraid of doing something bad.
[iv] Source : http://redalyc.uaemex.mx/redalyc/pdf/147/14712771006.pdf
[v] Pour plus d’information : Affaires autochtones et développement du Nord du Canada : http://www.ainc-inac.gc.ca/ai/rs/pubs/rsh4_1-fra.asp#chp3
Article par Arkadi Lavoie Lachapelle.