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16-05-2025 Vol 19

New Eldorado. L’art à l’ombre de l’art

Depuis l’été dernier, il existe dans Hochelaga-Maisonneuve un lieu où l’art rencontre le paysage urbain. Une ruelle peu passante derrière l’artère Préfontaine a donné l’idée à des résidents d’installer des oeuvres d’art en compagnie de leurs amis, ce qui a donné le projet New Eldorado.

New Eldorado est à l’art ce que Milou est à Tintin, le Congo en bonus.
—Fiona Darbon Van Maercke, collaboratrice du New Eldorado, 2015.

L’activité a démarré après de nombreuses rencontres dans leur appartement tout proche. La murale aux couleurs mexicaines, en face du balcon, était illuminée en permanence par une ampoule qui éclairait l’entrée encastrée dans le mur. En utilisant cette perpétuelle source de lumière et d’électricité à leur avantage, les gens de New Eldorado ont décidé de s’installer au creux de cet espace réduit, exigu, mais qui créait une proximité, confrontait le spectateur à un effet de rencontre.

New Eldorado-

En passant devant cette alcôve, le quidam attentif tombe sur un tableau radical, une installation improbable ou encore les traces d’une performance ayant eu lieu la veille. Le fait d’attirer l’attention du passant sur un point non-spectaculaire du décor a l’avantage de faire circuler un évènement esthétique tout en gardant le charme du secret. L’effet peut en être farfelu, mais il a l’avantage de la fraîcheur. Ici, l’art peut surgir sans se déconnecter du milieu, ce qui lui donne une qualité immédiate.

En fait, le but d’exposer ici n’était pas d’intégrer l’art à l’espace urbain mais plutôt d’avoir un lieu d’art sans dénaturer son contexte immédiat. Il y avait aussi cette idée de voir ce qui pouvait sourdre sans l’égide de l’institution.

En parlant avec les initiateurs du projet, on comprend que la nature des opérations a quelque chose d’éphémère, de situationnel. Par leurs installations, communications et vernissages, les acteurs de New Eldorado ont misé sur l’interaction avec le monde dans sa contiguïté, tous les projets ayant apporté une expérience unique pour chacun. En art comme au sein de chaque médium dirigé par des canons esthétiques, on est souvent dominé par une mémoire qui fait figure d’autorité. La mémorabilité demeurant quelque chose de très relatif, en art comme pour tout le reste, c’est donc une expérience basée sur la subjectivité qui est proposée au spectateur.

Parmi les projets les plus mémorables de la dernière saison, on notera l’installation téléphonique de Tim Dallet, Telephone Booth qui a utilisé un programme informatique pour permettre à quiconque d’appeler n’importe où en Amérique du Nord gratuitement.

Tim Dalett, Cabine téléphonique - Telephone Booth, août 2015, New Eldorado, Montréal  Crédit photo : New Eldorado
Tim Dalett, Cabine téléphonique – Telephone Booth, août 2015, New Eldorado, Montréal
Crédit photo : New Eldorado

On se souviendra aussi de Nathalie Lafortune avec son oeuvre Amours chiennes, qui a sollicité l’attention des voisins, des chats et des chiens dans les environs avec son canin en alluminium qui guettait la porte avec tension.

Natalie Lafortune, Amours chiennes, juin 2015, New Eldorado, Montréal  Crédit photo : New Eldorado
Natalie Lafortune, Amours chiennes, juin 2015, New Eldorado, Montréal
Crédit photo : New Eldorado

Le couple d’artistes Luc et Véro ont renversé quant à eux le point de vue téléscopique du spectateur en imprimant des photographies à même le sol, ce qui a donné l’oeuvre Deux grounds sur sol, riche en textures et en gravats.

Véro et Luc, Deux grounds sur sol, juin 2015, New Eldorado, Montréal  Crédit photo : Luc
Véro et Luc, Deux grounds sur sol, juin 2015, New Eldorado, Montréal
Crédit photo : Luc

Enfin, il existe une intervention loufoque du New Eldorado que nous nous devons de mentionner. Dernièrement, les acteurs du regroupement ont été invités à la Galerie Leonard et Bina Ellen de Concordia. Ils ont décidé de vendre les bouteilles vides récoltées durant leurs vernissages pour monter un projet de bourse d’excellence. Ayant 67$ en poche, ils ont dûment distribué, certificat à l’appui, un total de 67 bourses aux artistes qui le demandaient:

Spécimen de la bourse d'excellence pour les arts New Eldorado
Spécimen de la bourse d’excellence pour les arts New Eldorado

Le public et les organisateurs ont bien rigolé de cette initiative, mais il reste que cette action s’inscrit dans une lignée d’affirmations conséquentes sur la validité institutionnelle de la reconnaissance par les pairs, un pied de nez assez incongru dans un milieu parfois assez collet-monté des instances de reconnaissance symbolique.

Un projet local, comme celui-ci, avait toutes les chances de solliciter une communauté proche. Parmi les ressorts immédiats de la diffusion, le bouche à oreille semble avoir été l’instrument principal de la communication. Chaque vernissage a été l’occasion d’une fête où de joyeux lurons ont bien bu, dansé et ri. Cette proximité est très importante pour le collectif, qui croit qu’il n’existe pas de projet sans courtoisie, ni plaisir.

Les voisins ont été patients et curieux, les artistes ont été enthousiastes, les m’as-tu-vu ont été déçus, les passants ont été dubitatifs, le monde a continué de tourner, nous dit-on.

Saisissant une opportunité éditoriale, nous avons demandé aux gens de New Eldorado si, selon eux, l’art pouvait perdurer sans institution. La réponse nous a quelque peu surpris. En effet, un commentaire politique et une critique sociale découlent de leur initiative, mais ce sont loin d’être des motivations intrinsèques. Ici, ce qui compte, c’est l’expression du rien et de l’autre, de prime abord l’expression dans la mesure de ses moyens. Faire avec ce qu’on a pour être plus heureux, rencontrer son semblable et éliminer le discours parasite, le discours autoritaire comme préalable.

La démarche punk de New Eldorado se distingue parce qu’elle est volontairement apolitique dans son esthétique du ready made. L’affirmation de chaque artiste dépend de la relation qui subsiste dans l’échange avec l’autre. C’est un trait significatif dans la formation de beaucoup de groupuscules indépendants, et il est à parier qu’un projet comme celui-là a toutes les chances de faire des petits à travers la métropole.

Malheureusement, à cause des rigueurs de l’hiver québécois, New Eldorado a décidé de cesser ses activités prochainement. Les membres du collectif ne sont toutefois pas tristes, au contraire. Chacun traîne avec soi une liste de projets à court ou à moyen terme et la liste de leurs activités compte perdurer ailleurs, dans les prochains mois. Quand on leur parle de l’avenir, les artistes deviennent romantiques. On comprend que s’affirmer en tant que sujet, c’est avant tout se réclamer vivant, être un agent à travers sa propre vie pour embellir son espace immédiat.

C’est le principe même de l’esthétique punk: tout donner puis mourir, mourir en ayant tout
donné. Est-ce que nous sommes des punks? Allez savoir… Chose certaine: nous n’avons pas peur de la mort.

En attendant, on souhaite à New Eldorado tout le plaisir dont ils savent si bien profiter. Dorénavant, le message qu’ils envoient est clair: il est possible de se diffuser comme artiste sans avoir l’aval de gens qui ne nous connaissent pas. La reconnaissance passe toujours, et c’est tant mieux, par la relation avec ceux qui nous sont chers. Pour les néophytes comme pour les initiés, c’est un message important qui nous a d’ores et déjà convaincu d’essayer.

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Article par Damien Blass-Bouchard.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM