Du poème à l’activisme. Entrevue avec Natasha Kanapé Fontaine

À la question «Qui êtes-vous?», Natasha Kanapé Fontaine a tout simplement répondu: «Je suis Innue de Pessamit, j’ai 23 ans. Je…
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À la question «Qui êtes-vous?», Natasha Kanapé Fontaine a tout simplement répondu: «Je suis Innue de Pessamit, j’ai 23 ans. Je fais du slam, je suis poète, militante écologiste, activiste et voilà!». Son deuxième recueil de poésie, Manifeste Assi, est paru au printemps dernier aux éditions Mémoire d’encrier. L’Artichaut a rencontré Kanapé Fontaine dans un café du quartier Parc-Extension pour une entrevue. Retour sur son parcours, son processus créatif et ses nombreux engagements.

Artichaut Magazine: Vous venez de publier votre deuxième recueil. Votre écriture a évolué, mûri. Comment qualifieriez-vous votre démarche de poète?

Natasha Kanapé Fontaine: Ma démarche d’écriture s’apparente à une recherche identitaire. Je m’intéresse beaucoup à la question de l’identité. Je me suis d’abord tournée vers la mienne, pour me la réapproprier et ce par rapport à ma propre histoire, ma propre réalité. J’ai grandi en ville et j’ai été dans une institution québécoise. J’ai reçu l’éducation québécoise et pas celle de la communauté. J’y ai appris le français et j’ai tout de suite aimé lire. C’est là que j’ai commencé à écrire. Je me suis ensuite ouverte au monde et autres cultures et langues. J’ai compris qu’on pouvait en apprendre plusieurs, et surtout que chaque langue était dépositaire d’une culture. Et je m’en suis rendue compte quand j’ai commencé à réapprendre ma langue maternelle [ndlr : l’innu-aïmun]: c’est comme si l’une et l’autre s’étaient mises au monde, dans un même rapport au territoire.

Et c’est ensuite que je me suis naturellement intéressée au rassemblement des cultures. Comment peut-on les rassembler sans qu’il y ait fusion, mélange qui éteigne l’une ou l’autre, assimilation? C’est cohérent avec ma démarche première, qui consiste à trouver son identité, son authenticité, pour ensuite s’affirmer dans une relation équilibrée: se connaître soi-même pour se connaître dans le monde.

Natasha Kanapé Fontaine Crédit photographique : Sébastien Raboin
Natasha Kanapé Fontaine
Crédit photographique: Sébastien Raboin

A.M. : Et donc la poésie et le slam accompagnent votre rencontre au monde?

N.K.F. Oui! Mes textes de slam ont une énergie complètement différente de ceux de poésie. N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures [ndlr: Mémoire d’encrier, 2012], qui regroupe des poèmes intimes, s’est construit à partir de questionnements nés de différentes relations amoureuses, notamment avec un jeune québécois. Ils ont été écrits à un moment où, pour la première fois de ma vie, je sortais de ma communauté, de ma région où les Innus et les Québécois se côtoient avec beaucoup de racisme. Je suis arrivée dans un endroit avec très peu de présence autochtone [ndlr: Rimouski] et où, même s’ils ont des clichés, les gens ne sont pas haineux d’avance. Au contraire, j’ai rencontré une très grande ouverture d’esprit, ce qui m’a accompagné dans mon épanouissement.

Et c’est lorsque le mouvement Idle no more est né, qu’il a mis feu au pays, que je suis venue à Montréal. J’ai alors senti que j’avais terminé mon adolescence en écriture.

Cela fait longtemps que je n’ai pas écrit de textes de slam, parce je n’ai pas l’impression d’être poussée par le même sentiment qu’il y a deux ans, avant Idle no more. J’ai écrit la plupart de mes textes [de slam] avant que le mouvement naisse, et quand j’ai ensuite essayé d’en réécrire, je n’en ai pas été capable. Comme si le mouvement lui-même suffisait à dire ce que j’espérais. Il m’a menée vers le militantisme environnemental. Je me suis rendue compte de l’importance de ce combat pour les peuples autochtones.

C’est comme si tout cela était arrivé au bon moment dans ma vie, parce que je pouvais déjà dire: «Je suis Innue, je suis qui je suis, je sais qui je suis et je sais ce que je vais faire à partir de mon identité». Je me suis rendue compte que mon destin ne pouvait pas se détacher de l’activisme.

A.M. : Et c’est là qu’est arrivé Manifeste Assi?

N.K.F. : Oui, Manifeste Assi nait de tout cela. Ce livre est né de ce moment où j’ai compris que j’allais faire cela [ndlr: l’activisme] de ma vie. J’avais le choix, c’est sûr, mais c’était plus fort que moi, cela semblait sortir de mon corps! J’ai alors décidé de mettre mon talent au service de l’activisme, comme si mes compétences me montraient que je n’étais pas née pour autre chose. Et j’ai aussi l’impression qu’on a tous besoin d’un certain sentiment de contribution à l’humanité; j’ai trouvé la mienne!

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A.M. : Est ce que votre activité poétique et votre activité militante sont nécessairement imbriquées l’une dans l’autre? Ou bien, est ce que vous les envisagez de deux façons différentes?

N.K.F. : Afin de savoir si c’est possible, j’envisage de les séparer l’une de l’autre.

Pendant que j’écrivais Manifeste Assi je me voyais porter plein de colliers en bois d’orignaux, de caribou, comme des protections. Chez les Innus, ce sont les habits traditionnels des hommes, des guerriers, et ils m’ont habillée le temps de l’écriture. Après avoir exorcisé ma rage et ma douleur dans ce recueil, je me suis dit qu’il fallait enlever ces vêtements-là, pour me donner du repos mais aussi pour voir ce que je pouvais faire d’autre.

J’envisage donc deux sortes de recueils. Un premier qui parlerait avec amour, tendresse, affection des gens qui m’entourent et des bons moments passés ensemble. Cela me permettrait d’être autre chose qu’une porte-parole, d’être seulement moi, Natasha. Et un second, dans lequel je reviendrais à une question que je me pose depuis longtemps: Comment les Premières Nations et les Québécois peuvent-ils habiter sur le même territoire? Que fait-on de nos luttes environnementales? On a beau dire: «Je ne veux pas de ça, d’Enbridge, etc.», mais que fait-on avec les gens qui habitent là et qui vivent simplement leur vie?

A.M. : Vous travaillez également avec des groupes de musique issus d’autres cultures: haïtienne (Rara Soley), et Mapuche [peuple autochtone du Chili] (Kon-Fusion). Pourquoi?

N.K.F. : J’ai croisé Rara Soley et Kon-Fusion par hasard, pendant des spectacles et événements. Nous avons discuté et sommes immédiatement tombés en amour. On s’est rendus compte qu’on pouvait créer ensemble quelque chose de très vivifiant, vivant. Il y a entre nous une grande énergie créative.

Nous allons même essayer de lier ces deux groupes. La musique traditionnelle haïtienne a un fondement rythmique autochtone, que je reconnais, que mon corps reconnaît, quand je danse et quand je chante. Et chez les Mapuches, il y a un tambour semblable à celui des Innus. C’est quand même étrange qu’à trois endroits différents dans les Amériques il y ait un son qui revienne: le son du battement de la terre. Qui sommes-nous? Nous sommes les enfants de la terre! Tout ce que nous avons à faire c’est de répondre à l’appel de la planète.

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Natasha Kanapé Fontaine, Manifeste Assi, Montréal: Mémoire d’encrier, 2014, 87 p.
Natasha Kanapé Fontaine, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Mémoire d’encrier, 2012, 76 p.
Blogue de l’auteure
Critique de Manifeste Assi, sur l’Artichaut Magazine.

Article par Alice Lefilleul – Doctorante en littérature Comparée. Chroniqueuse culturelle chez Touki Montréal.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM