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15-05-2025 Vol 19

Corbo, la voix d’un oublié de l’histoire. Entretien avec Mathieu Denis

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p align= »justify »>C’est ce vendredi 17 avril que prend l’affiche Corbo, le plus récent film du réalisateur Mathieu Denis (Laurentie, 2011), qui porte sur l’histoire tragique de Jean Corbo, un adolescent de 16 ans décédé en 1966 lors de l’explosion d’une bombe devant la Dominion Textile, à Montréal. Le long métrage suit le jeune Corbo, né d’une mère québécoise et d’un père italien, tiraillé entre ses deux origines.

Sur le plateau de tournage, le réalisateur Mathieu Denis Crédits photographiques: Les Films Séville
Sur le plateau de tournage, le réalisateur Mathieu Denis. Crédits photographiques: Les Films Séville

Élevé dans un milieu aisé, en plein cœur d’un Québec en crise identitaire, Jean se lie peu à peu d’amitié avec deux jeunes partisans radicaux et rejoint le Front de Libération du Québec (FLQ), militant jusqu’à cette nuit fatidique du printemps 1966. On n’aurait pu rêver d’un meilleur contexte social pour accueillir ce film sur l’engagement militant. Alors que les jeunes revendiquent contre le cynisme ambiant, l’histoire de Jean Corbo vient toucher une corde sensible. «J’avais envie d’offrir une résolution à cette vie qui a été interrompue trop prématurément, note d’entrée de jeu Mathieu Denis. Pour moi, cette résolution-là se trouve peut-être à travers le fait qu’il y a quelque chose de Jean qui va subsister à l’intérieur des gens qui verront le film.»

Le réalisateur le déplore d’emblée: Jean Corbo est un oublié de l’histoire. Si la mort de l’adolescent a été très médiatisée en 1966, très peu de gens s’en souviennent aujourd’hui. Outre des écrits sur Octobre 70, très peu de choses subsistent également de l’histoire du FLQ. «Je pense qu’au Québec on ne connaît pas notre histoire. C’est ironique: on est dans une province dont la devise est Je me souviens. La réalité, c’est qu’on ne se souvient pas et parfois, j’ai même l’impression qu’on ne veut pas se souvenir, lance Mathieu Denis. J’avais envie, avec ce film, que Jean Corbo ne demeure pas simplement une note de bas de page historique.»

Pour le réalisateur, l’histoire de Jean Corbo était d’autant plus pertinente qu’elle portait plusieurs thèmes toujours actuels, le plus important étant la question identitaire. «On n’aime pas en parler, on n’aime pas se le faire rappeler, mais au Québec on vit une profonde crise identitaire qui, selon moi, découle d’une période ayant débutée en 1966, une année charnière dans l’histoire du Québec», explique-t-il. 1966 marque la première élection provinciale au sein de laquelle se présentent des partis indépendantistes: c’est la montée du souverainisme, et, estime le réalisateur, le début d’une nouvelle ère qui va durer jusqu’au deuxième référendum de 1995. «Ce qui est intéressant avec l’histoire de Jean Corbo, c’est qu’il est lui-même plongé dans cette sorte de crise identitaire à cause de ses origines mixtes, italiennes et québécoises. Je trouve que cela fait écho à ce nouveau visage du Québec et c’est pour ça qu’il m’a semblé que l’histoire de Jean était pertinente; même si elle se déroule en 1966, elle résonne encore dans le monde d’aujourd’hui.»

Crédits photographiques: Les Films Séville
Crédits photographiques: Les Films Séville

Afin de reconstituer l’histoire de Jean Corbo et de la cellule du FLQ à laquelle il était rattaché, Mathieu Denis a feuilleté les archives de toutes les éditions quotidiennes de l’époque du Journal de Montréal, de La Presse, du Devoir, du Montréal Matin et de La Gazette. «C’était un peu un travail de moine, admet-il aujourd’hui en riant. Reste que le fait de feuilleter toutes les pages de ces journaux m’a donné une idée de l’état d’esprit de l’époque. Ça a été très enrichissant.» Le réalisateur a également rencontré des historiens, des membres de la famille de Jean Corbo, puis des membres du FLQ. Toutes ces recherches lui ont permis de se faire une tête sur les motivations de l’adolescent à joindre les rangs du Front de Libération du Québec. «À cause de ses origines, Jean était toujours un peu à part des autres. Je pense qu’il voulait trouver une sorte de famille, de communauté. J’ai l’impression qu’avec le FLQ, il a trouvé un groupe qui partageait les mêmes idées que lui, un groupe à qui il pouvait ressembler et s’associer.»

Trouver Jean

Pour Mathieu Denis, une chose était claire: celui qui allait interpréter Jean Corbo devrait avoir l’âge du personnage et non, comme c’est souvent le cas au cinéma, être un jeune adulte jouant un adolescent. «Je pense que le jeune âge, c’est quelque chose qu’on ne peut pas interpréter. Il y a quelque chose qu’on porte en nous quand on a 16 ans qu’on perd en vieillissant, croit le réalisateur. Mettre en scène quelqu’un de 16 ans qui tient une bombe et qui marche vers sa mort, ce n’est pas la même chose que d’avoir un acteur de 25 ans qui fait semblant d’avoir 16 ans et de marcher vers sa mort.» Le réalisateur a passé en audition une ribambelle de jeunes acteurs avant d’arrêter son choix sur Anthony Therrien. «Anthony est le premier acteur que j’ai vu de tout le processus d’audition, relate-t-il. D’entrée de jeu, avant même d’avoir dit un mot, il avait quelque chose en lui. J’ai passé plusieurs autres acteurs en audition ensuite, mais Anthony me restait toujours en tête.» Le choix s’est donc imposé tout naturellement.

Anthony Therrien dans le rôle de Jean Corbo Crédits photographiques: Les Films Séville
Anthony Therrien dans le rôle de Jean Corbo Crédits photographiques: Les Films Séville

Avec Corbo, Mathieu Denis n’a pas cherché à faire un film moralisateur ou à condamner qui que ce soit. «Bien sûr, on peut remettre en question certains moyens plus radicaux que Jean et ses camarades avaient pour faire avancer leurs idées politiques, reconnaît-il. Mais une chose que j’ai trouvée fascinante et inspirante, c’est que ces gens-là étaient convaincus qu’ils avaient le pouvoir de changer le monde dans lequel ils vivaient.» Le réalisateur y voit d’ailleurs un certain parallèle avec les luttes étudiantes des dernières années. «Cet engagement politique des jeunes est quelque chose qu’on a un peu perdu à travers le temps. Mais quand je vois cette nouvelle génération qui semble refuser d’accepter bêtement le monde tel qu’on leur tend, ça me donne l’impression qu’il y a espoir de rendre le monde dans lequel on vit un peu meilleur.»

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Le film Corbo de Mathieu Denis sortira en salles au Québec le 17 avril 2015.

Article par Catherine Lamothe – Étudiante en journalisme à l’UQAM. Fan de cinéma et de fromage.

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