Mikella Nicol réalise un véritable tour du chapeau avec sa troisième œuvre intitulée Mise en forme. Publié en mars aux éditions Le Cheval d’août, ce récit est un équilibre harmonieux entre l’autofiction et l’essai. Dans celui-ci, Nicol relate chronologiquement ses ruptures et sa dépression ainsi que l’évolution de son rapport à l’entraînement et au corps féminin. Le corps de la femme, explique-t-elle, n’appartient pas qu’à elle-même, mais à la collectivité. En effet, il est ici présenté comme un objet d’État, de société, que l’on tente sans cesse de façonner et de perfectionner. Dans son essai, Mikella Nicol admet avoir voulu travailler son corps à la perfection, pour tout oublier. Dans une pratique presque masochiste de la mise en forme, elle avait tendance à utiliser la souffrance musculaire pour oublier les effets psychologiques d’une séparation difficile. Elle est loin d’être la seule ; il suffit de scroller quelques minutes sur le #fittok (contenu de la plateforme TikTok traitant de fitness, de nutrition et de bien-être) pour voir des dizaines de vidéos de gym bros et girls utilisant leurs ex comme motivation dans leurs entraînements, en glorifiant le concept de revenge body. L’autrice utilise cette (re)mise en forme physique comme outil de contrôle, puisqu’elle ne se sent pas capable de reprendre le dessus sur ses émotions. Elle procède également à une mise en forme textuelle, en utilisant l’écriture pour survivre. Dans l’écriture de son récit, Nicol essaie de tracer la ligne entre la dépendance et la détermination. Elle montre le revers de la médaille du sport et de la beauté, en ne niant jamais qu’ils possèdent aussi des avantages. Dans notre culture grossophobe et capitaliste où la productivité est de mise, la recherche de la perfection est une quête sans fin. Celle qui pratique le sport est belle, elle est capable. Pourtant, le discours sociétal sous-entend aussi que celle qui travaille son corps et qui l’exhibe demande à se faire remarquer, à subir des micro-agressions, du harcèlement, des regards mal intentionnés. Dans son essai, Nicol expose de façon brillante le lien subtil, mais frappant, entre la violence faite aux femmes et l’industrie du fitness, en se demandant si la souffrance, la brûlure, est la seule issue pour les femmes.
Dans la première section de son livre, Nicol remet en question à la fois l’étrangeté de l’univers de l’entraînement et celle des relations de couple. Que perd-on de nous-mêmes dans le système du couple, dans la grossophobie et dans le male gaze internalisés ? L’autrice compare par ailleurs le sport et l’écriture. Elle affirme que, pour elle, le sport représente davantage la structure et la discipline, alors que l’écriture encourage le laisser-aller des émotions. Cela peut sembler surprenant, dans un monde actuel où on nous vend le fitness en tant qu’activité self-care qui aide à « guérir » une santé mentale défaillante. Elle apporte aussi une réflexion intéressante sur l’occidentalisation des pratiques comme le yoga, encore une fois dans un objectif capitaliste et mercantile. Nicol questionne l’existence d’un fitness inclusif, qui n’invisibilise pas les personnes grosses et qui ne tient pas compte des attentes corporelles dictées par les hommes. Alors que la société est obsédée par l’obésité morbide, l’autrice présente plutôt l’autre extrême, soit le surentraînement, la comparaison maladive, les restrictions alimentaires et la recherche vaine de la perfection ; tout cela dans le but de combler un manque et de se conformer aux attentes corporelles de son genre. En effet, selon l’idéal de beauté, la femme doit rester mince, sans toutefois être musclée et forte. La vulnérabilité physique des femmes est à la fois réelle et inconsciente, et Nicol se demande où nous devons aller chercher cette force qui est nécessaire à la lutte féministe, ou du moins nécessaire à contrer en partie la peur existentielle des femmes.
Dans la seconde section, l’autrice décrit ce Regard qui nous suit partout, à l’image de Big Brother, pour s’assurer que les femmes restent minces, jeunes et sans moyens, dans une culture qui glorifie la figure de l’adolescente par le biais de la pornographie et du mannequinat. Elle plonge plus en profondeur dans son intérêt tout particulier pour les femmes disparues ou assassinées. Nicol rappelle le risque que représentent les aventures diverses telles que la course, la randonnée et le voyage, pour les femmes seules, qui se retrouvent devant une impossibilité de circuler et de vivre librement dans l’espace public. Ce danger est aussi présent dans la sphère intime, et c’est avec tristesse que l’autrice nous rappelle les cas de féminicides marquants des dernières années. Entre la mort et l’effacement du sujet dans la beauté canonique, la ligne est mince, sans vouloir faire un mauvais jeu de mots.
Dans la dernière section, le récit aboutit à l’isolement forcé de 2020, menant à l’obsession et à la démocratisation de l’entraînement à la maison, qui est monté en flèche lors de la pandémie. Elle raconte sa honte de l’entraînement compulsif et de l’aliénation au discours de cette pratique, qui est devenue un rituel malsain pour elle et pour plusieurs autres femmes de son entourage. Dans ce monde d’algorithmes omniprésents, on reproduit nos schémas toxiques, on consomme tous les jours ce qui nous tue, nous culpabilise et nous divise à petit feu. L’autrice déplore le manque de représentations saines de l’entraînement dans la culture littéraire québécoise. Pour clore son récit, elle nous rassure en rappelant le caractère très humain du désir de transformation et de retardement de l’inévitable, c’est-à-dire de la mort et de la vieillesse. L’important reste de vivre et de bouger, peu importe quand et comment.
Nicol, Mikella, Mise en forme, Montréal, Le Cheval d’août, 2023, 164 p.
Article rédigé par Mérédithe Naud