Paru en septembre dernier, Entouré par la nuit dans le palais des signes est le deuxième ouvrage du poète Jean-François Bernier, publié aux Éditions du Noroît. Après la publication de son premier recueil, Le dormeur accompagné de son ombre blanche en 2011, l’écrivain poursuit ses réflexions ambitieuses et crée un monde fidèle à sa plume avec ce livre où il entretient un dialogue interne sur la nature du temps et de l’oubli.

En essayant de comprendre la nature de ces deux concepts évanescents et parfois vertigineux, Jean-François Bernier nous livre un recueil composé uniquement de poèmes en prose, ce qui lui permet de révéler son intériorité et d’offrir un vaste échantillon de ses préoccupations. Le rythme qu’impose une telle forme permet de suivre de près l’évolution de sa pensée et, vacillant entre le passé, le présent et le futur, l’écriture de l’auteur prend pied dans plusieurs abstractions qui soutiennent sa réflexion sur le temps, sans pour autant lui donner un sens véritable. Est ainsi préférée une forme qui aide à contextualiser le caractère énigmatique et mouvant des concepts abordés au sein de son écriture.
De plus, l’une des forces indéniables de l’œuvre de Bernier est d’ancrer l’expérience du temps en conjoncture avec l’écriture, plus précisément avec le langage et les symboles que l’écrivain évoque. En effet, à travers les différents poèmes, plusieurs interrogations sur le pouvoir et les formes que peut prendre l’écriture à travers le temps sont évoquées. L’auteur démontre comment le langage peut former des réalités et des imaginaires qui s’inscrivent à l’intérieur du temps, parfois en lui résistant, parfois en lui cédant : «[…] Le langage serait lui-même le dehors: j’y marcherais sans produire le moindre son, je serais l’œil qui discerne des significations égales à un champ de présences merveilleuses.» (p. 27) Ici, l’auteur montre bien comment les mots sont pour lui un outil nécessaire pour délimiter son espace et l’installer plus concrètement dans le présent, tout en le renseignant sur le passé et en lui faisant craindre son avenir. Par contre, les mots ne peuvent pas toujours rendre compte de la réalité. L’auteur témoigne aussi de l’incapacité des mots à fixer le temps et l’espace distinct que forme la réalité, qui semble être pour Bernier une boucle sans fin: «[…] l’univers pâle et dégradé où se posent les phrases n’a pas l’attrait des saisons réelles, mais l’apparence d’un miroir terni qui s’anime, se brouille ou se fige sans jamais conclure.» (p.37).
Cependant, les changements fréquents qu’effectue l’écrivain dans l’espace et le temps peuvent rendre la lecture plutôt ardue, voire étourdissante. En une page, et même en une ligne, il peut traverser plusieurs temporalités et plusieurs lieux. Avec la forme affectionnée par celui-ci, les phrases courtes de la prose rendent ces déplacements difficiles à saisir, notamment avec une surabondance de figures d’oppositions et autres procédés qu’il utilise pour en témoigner: «Car l’idée le hante qu’une tragédie grotesque, inactuelle et composée de voix discordantes, d’apparitions spectrales, se joue à l’arrière de la journée qui commence, pesant lourdement sur l’actualité qu’il cherche à vivre – à l’approche du matin, dans la clarté qui précède.» (p.39). Ce choix a pour effet de rendre la lecture plutôt saccadée et le décodage parfois irritant. Pour l’auteur, mais aussi pour le lecteur ou la lectrice, le temps semble être hors de portée, autant conceptuellement que concrètement, ce qui rend alors les espaces flous et difficiles à discerner. Toutefois, ceci exemplifie très bien le propos de Entouré par la nuit dans le palais des signes, puisque cela met en relief l’essence même du temps: peu importe la volonté d’un individu, le temps va toujours avoir des effets directs sur les espaces; le temps change tout, transforme tout et il est impossible de contrôler les effets de cette notion fondamentale.
En définitive, il semble pertinent de noter que dans le premier roman de Jean-François Bernier, la quatrième de couverture informe les lecteurs et les lectrices qu’ils et elles sont devant une forme de «mythologie personnelle», ce qui définit également – et judicieusement – l’univers du deuxième projet du poète. Dans Entouré par la nuit dans le palais des signes, il effectue plusieurs retours sur sa vie et sur ses propres expériences du temps, avec une plume qui parvient souvent à nous éblouir. L’auteur nous envoûte avec son talent indéniable, décrit avec vivacité et émotion les effets du temps et le rapport qu’il entretient avec la mémoire, avec une originalité dans la forme et dans la façon dont il aborde ce thème. Par contre, certains passages nécessitent une relecture, motivée par une incompréhension liée à un alourdissement des phrases. Les allers-retours entre les différentes temporalités sont effectués de manière saccadée dans un espace trop restreint, ce qui entrave le plaisir de savourer pleinement son œuvre et d’être ancré dans le moment présent qu’est la lecture. Somme toute, Bernier a réussi à créer une œuvre où son imaginaire débordant et ses innombrables qualités poétiques l’emportent sur quelques lourdeurs au niveau sémantique et stylistique.
Entouré par la nuit dans le palais des signes, Jean-François Bernier, Montréal, Éditions du Noroît, 2018, 84 pages.
Article par Vincent Gauthier.