Dans le cadre du festival Phénoména, Peter James a présenté une soirée intitulée Le chant du singe au Théâtre La Chapelle. Le principe est d’explorer sur le thème de l’improvisation, ce que crée l’artiste lorsqu’il se met en danger. Le résultat, il faut malheureusement le dire, ne donne pas une soirée agréable.
Danseur, chorégraphe, circassien, dramaturge de 60 ans, Peter James est un grand lecteur de philosophes, d’historiens et d’historiennes de l’art et un artiste qui se penche sur l’inépuisable question du lien entre l’art et la vie. Ce faisant, il a opté pour la formule du happening qui, rappelons-le, provient des années 50-60 (une époque de transition entre ce que l’on nomme aujourd’hui encore « art moderne » vers ce que nous considérons toujours comme « art contemporain »). Généralement improvisé, performatif, interdisciplinaire et engageant le public, le happening posait une question essentielle: quand une situation ou un évènement deviennent-ils art? C’était bien souvent un objet non-identifié qui permettait d’explorer les limites de la création artistique contemporaine.
Peter James a donc invité trois performeurs pour se joindre à son programme de soirée « posthappening »: Émile Pineault, circassien, Lara Oundjian danseuse et artiste vidéo, et Thomas Saulgrain, artiste interdisciplinaire.
La première partie du spectacle présentée par Peter James est une improvisation d’une quarantaine de minutes. À l’inverse de ses prestations habituellement exubérantes, drôles et viscérales, c’est un moment ennuyant et sans réelle complexité qui se déroule sous nos yeux. Le chorégraphe affirme avoir voulu se mettre en danger, se permettre l’incertitude sur scène, mais il est difficile de comprendre ce que l’artiste a désiré partager. La performance est parsemée de temps morts, de temps d’attente. L’artiste, entouré d’une foule d’objets sur scène, les déplace et interagit avec ceux-ci comme dans une salle de jeu où un enfant se lasse rapidement du jouet apparu à sa vue. Sa présence scénique habituellement forte et captivante n’est malheureusement pas suffisante pour nous garder alertes et éveillés.
La représentation se poursuit après l’entracte avec les propositions de trois jeunes artistes. Trois créations « expérimentales » dans lesquelles il manque manifestement de travail de fond.
Avec plus d’encadrement et avec un travail chorégraphique plus recherché, la quatrième pièce de Thomas Soulgrain aurait pu s’élever et révéler davantage son potentiel gestuel. Quant à elle, la proposition de Lara Oundjian laisse perplexe. Entre des morceaux musicaux de raggaeton, une description à voix haute du déroulement des actions et une improvisation stérile, il est difficile de saisir où la performeuse désire nous amener. Quelle est sa démarche? Pourquoi choisit-elle de nous montrer cela? Que veut-elle partager?
C’est d’ailleurs une série de questions que ce spectacle de plus de deux heures soulève. Qu’est-il permis de faire lorsque l’on présente de l’improvisation? Que se passe-t-il si l’inspiration n’est pas là ou qu’elle se présente de façon particulièrement interne et introversive, ce qui peut rendre le partage avec le public ardu? En quoi l’artiste est-il redevable au public et l’est-il vraiment? La liberté artistique, la liberté de création, la liberté d’aborder des sujets variés et multiples et celle de prendre des risques dans les présentations publiques sont extrêmement importantes sur les scènes contemporaines. En revanche, on peut se demander quelle est l’entente passée avec un public qui paie son billet pour assister à cette représentation? Bien que plusieurs critiques, artistes et diffuseurs avancent que l’artiste contemporain tend à s’éterniser et à se perdre dans sa démarche, ce qui rend parfois la finalité inintelligible, ou encore renie le concept même de finalité, ce qui peut rendre alors la proposition hermétique. Le travail en amont, intellectuel ou corporel, est essentiel à la mise en œuvre d’un échange pertinent avec le public. Si le potentiel individuel peut tout à fait être présent, sans encadrement nécessaire, sans recherche, sans travail de fond, il ne se déploie pas. Et c’est ce qui semble se dérouler ici.
Le happening était une forme artistique pertinente dans les années 50 et 60 pour la liberté qu’il a permise dans l’exploration des possibilités de création et d’expérimentation artistique. Il a été un espace où se sont mêlées les disciplines, où des questionnements sur les processus de recherche ont été posés ainsi que des interrogations sur la place de l’art et de l’artiste dans notre société. Qu’en est-il aujourd’hui? Ces questionnements seront bien sûr constamment à actualiser. Renouveler les manœuvres, les modes de représentation, de création ou de participation sont une matière inépuisable. Toutefois, est-ce que cette formule précise, qui plus est aseptisée, dans un cadre de théâtre avec gradin à l’italienne, est la bonne? Le chant du singe de Peter James ne nous permet malheureusement pas d’y répondre.
Le chant du singe, une pièce de Peter James, avec la participation d’Émile Pineault, Lara Oundjian et Thomas Saulgrain, était présenté à La Chapelle dans le cadre du festival Phénoména du 10 au 13 octobre 2017.