Après vingt ans de bons et loyaux services, peut-on en vouloir à une formule qui a choisi de se laisser mourir afin de mieux renaître de ses propres cendres? 2014 restera une année ingrate dans la longue et belle histoire des Contes urbains. Ingrate parce qu’il aurait fallu une édition grandiose pour clore deux décennies de paroles à la fois irrévérencieuses et incroyablement justes. Ingrate parce que l’on sent déjà Urbi et Orbi dans leur future formule, ne subsistant dans l’ancienne que quelques douloureuses réminiscences. C’est peut-être parce que j’ai trop aimé les Contes urbains que je pose aujourd’hui un dur regard sur cette mouture, mais je me dois de souligner qu’en huit ans d’assistance à cette tradition, je n’ai jamais vu une édition aussi faible.
Confirmant la perte de l’esprit initial des Contes urbains, Brigitte Poupart confiait plus tôt à la journaliste Marie-Hélène Chartrand: «Pour moi, c’est 8 courts métrages en noir et blanc avec un environnement sonore ressemblant beaucoup plus à celui du cinéma qu’à celui du théâtre». Là où des musiciens comme Éric Assouad arrivaient à créer l’ambiance si particulière des Contes, mi-malsaine, mi-magique, il faut se contenter cette année de bidouillages électroniques qui tentent d’évoquer des atmosphères au lieu de laisser la force du jeu les matérialiser. En voulant créer une unité entre ces histoires hétéroclites, la metteure en conte ne fait que démontrer la faiblesse du fil rouge qui est censé les lier. Si les intermèdes musicaux des précédentes versions allongeaient le spectacle, c’est bien parce qu’ils avaient pour fonction de laisser respirer le spectateur d’une folie à l’autre. En enchaînant tous les contes, sans entracte qui plus est, on se sent pressé vers la fin sans pouvoir se pénétrer de chacune des histoires. Bien sûr, les thématiques se ressemblent d’un numéro à l’autre, mais cela ne suffit pas à lier ces destins multiples. J’irais même jusqu’à dire que cette homogénéité dans les sujets est plutôt lassante. Cancers et meurtres égrènent leurs malheurs d’un conte à l’autre, donnant un ton bien sombre à cette édition.
Cela dit, on retrouve tout de même, dans cette mouture consacrée aux femmes, quelques fulgurances rappelant les gloires passées des Contes urbains. Ouvrant la soirée agréablement, Diane Lavallée se transforme en Lavalloise convertie, sous la plume de Stéphane Jacques. Irrévérencieux et délicieux. Ça se gâte avec un texte de Stéphane Lafleur sur les disparités sociales d’Hochelaga, interprété de façon plaquée par Brigitte Poupart. Léa Simard s’en sort plutôt bien avec un texte somme toute assez faible composé à partir d’un fait divers. Arrive ensuite un texte prévisible et convenu sur le cancer, suivi du témoignage décousu de Michelle Blanc au sujet de son changement de sexe. Justin Laramée nous tire de l’impasse grâce à un conte tout en poésie et en parabole, le destin d’un homme qui brise tout ce qu’il touche. Le cancer et le meurtre reviennent finalement nous hanter, cette fois-ci de façon beaucoup plus convaincante grâce au tandem Marcel Pomerlo/Sandrine Bisson. Cocaline, conte d’Yvan Bienvenue ici repris pour clore en beauté, nous reconnecte avec cet esprit gentiment décalé permettant de mettre en scène une vieille dame qui n’a rien oublié des ardeurs de la jeunesse et décide de se payer un gigolo. France Arbour y est d’ailleurs sublime.Avec une grande tristesse, enterrons ici les Contes urbains (du moins la tradition qui nous les présentait chaque année à l’approche des Fêtes) et prions pour que ce que nous prépare Urbi et Orbi soit à la hauteur de ce grand disparu.
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Contes urbains est présenté du 2 au 20 décembre 2014 au Théâtre de La Licorne. M.E.S. Brigitte Poupart.