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15-05-2025 Vol 19

Une écriture de la mort rose flash. Traversée de Drama Queens de Vickie Gendreau

Lorsqu’elle a appris qu’elle était atteinte d’un cancer du cerveau, l’écrivaine Vickie Gendreau a voulu raconter sa vie, montrer ses sentiments, bref, se mettre à nue comme elle le disait elle-même. Après la publication de l’autofiction Testament, ses lecteurs attendaient avec impatience la mise en marché de sa seconde œuvre, Drama Queens, aux éditions Le Quartanier. L’écriture crue et poétique du premier ouvrage laissait pressentir une deuxième publication d’aussi grande qualité. Bien que le premier titre, Testament, soit porteur d’une imagerie lugubre, la personnalité pétillante de l’écrivaine s’est transposée dans le roman avec une écriture à la fois émouvante et amusante qui allège le lourd propos de la mort, comme l’ont fait plusieurs autres auteurs avant elle. Or, Vickie Gendreau se distingue de ces derniers, car ses romans s’inscrivent dans l’actualité montréalaise.

Après avoir publié dans Testament ses réflexions sur sa maladie et la mort, ses souvenirs ainsi que ses idées sur les relations sociales et sur la vie en général, la jeune auteure prévoyait déjà la publication de son second roman Drama Queens. Trop malade, Vickie Gendreau recevra l’aide de son ami Mathieu Arsenault pour parachever l’œuvre qui fut finalement publiée posthume en avril 2014. Ce texte se présente ainsi comme un prolongement de la première œuvre. On y retrouve le même type d’univers parfois triste et d’autres fois amusant, le même vocabulaire, les mêmes lieux. Par contre, Drama Queens se différencie du premier texte par les formes littéraires exploitées qui sont différentes, voire plus recherchées, tandis que le propos est revisité avec plus de légèreté.

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«Au Salon du livre de Rimouski, une dame a pris mon livre pour lire la quatrième de couverture. Elle l’a reposé en évitant mon regard. C’est lourd, le cancer, la mort pis ces affaires-là.» (Vickie Gendreau, Drama Queens)

Drama Queens raconte la vie quotidienne du personnage Victoria Love d’une manière extrêmement détaillée: «Dans quinze minutes, je vais avoir mon premier lavement. J’ai quinze minutes pour me mettre nue et entrer dans le bain.» (p.168) Ce faisant, elle nous fait part de ses habitudes, de ses bizarreries et de ses désirs: «Je tue toutes mes plantes, je n’ai pas de cartes d’identité. Je n’ai pas de carte bancaire depuis trois ans, je vais au Insta-Chèques quand j’ai un chèque à déposer, je me fous du trois pour cent qu’ils prennent. Je suis punk, trop punk pour avoir un enfant. Et puis, il faudrait que je fasse enlever mon stérilet et que je fourre avec un gars fertile sans capote.» (p.101) Aussi, dans cette littérature où l’on trouve plusieurs références à Facebook, Instagram, Wikipédia, iTunes, etc., on découvre également une écriture crue où les sacres et la vulgarité s’additionnent à une poésie nostalgique qui rapproche l’auteure de sa famille, de ses amis et de son lectorat. La variation des niveaux de langage – familier, soigné et vulgaire – ainsi que l’utilisation du franglais imitent le langage montréalais, ce qui corrobore le réalisme de l’œuvre, participant du coup à l’aspect authentique de l’ensemble. L’écriture poétique et les diverses métaphores permettent à l’auteure d’insister sur l’émotivité du texte, indépendamment du récit raconté. Le texte lui-même soutient le caractère sensible du roman.  Bien que l’œuvre comporte des passages plus légers et  humoristiques, il demeure que Drama Queens explore avec nostalgie la vie d’une jeune femme malade.  L’œuvre est donc nécessairement empreinte d’un caractère pathétique, même si elle est moins tragique que Testament.

Contrairement à son premier ouvrage qui se présente davantage comme une sorte de correspondance sous forme de fichiers textes entre la narratrice et ses proches, et dans lesquels se trouvent souvenirs et anecdotes; Drama Queens offre de la narration, des mini-scénarios cinématographiques et quelques poèmes brefs. Le second roman dévoile ainsi une liberté créatrice (tant dans les genres que dans les formes) plus grande, plus audacieuse que dans Testament. Cette variété des genres et des formes révèle le processus créateur de l’auteure, qui a d’ailleurs avoué que le titre initial de l’œuvre devait être Cinéma expérimental. Cet intitulé explique les passages à saveur cinématographique qui complémentent la narration plutôt romanesque. Les formes multiples que prennent les différents passages du roman illustrent le savoir-faire créatif de l’auteure. On pourrait croire que cette diversité affecte la linéarité du récit, mais les divers poèmes, scénarios ou passages narratifs se répondent, permettant au texte d’être homogène. En puisant dans ses intérêts personnels, l’auteure s’inspire de la poésie, du cinéma et du théâtre pour écrire son œuvre qui elle aussi  explore différentes disciplines.

Vickie Gendreau Crédit photographique : Jorge Camarotti
Vickie Gendreau
Crédit photographique: Jorge Camarotti

La parution de Drama Queens et la mise en scène de Testament par Éric Jean au Théâtre du Quat’sous ce printemps dernier ont contribué au travail du deuil. Si la mise en scène du premier roman complémente le texte en recréant son univers, permettant ainsi aux spectateurs de pénétrer physiquement dans l’atmosphère parfois festive et autrefois lugubre de Testament, la publication de Drama Queens, quant à elle, poursuit le parcours mémoriel débuté dans Testament: «Tu réussis à dresser la liste des souvenirs, mais tu sais que tu es en train d’en oublier, tu te fâches contre toi-même, contre ta mémoire de poisson rouge.» (p. 62) Cette idée de continuité évoque de manière utopique la possibilité de plusieurs autres publications par cette auteure, où plus précisément d’une dizaine comme le dirait le personnage de Victoria Love. En quelque sorte, cela laisse le lecteur en soif d’autres romans par Vickie Gendreau, ce qui place cette auteure dans nos mémoires. En somme, Drama Queens est une œuvre très émouvante qui raconte le difficile parcours de la maladie à la mort, mais aussi le cheminement au quotidien d’une jeune écrivaine: «Je me dis que c’est mieux d’être intéressant pour le monde entier, les affres de mon quotidien, puisque c’est tout ce que je réussis à écrire. Mon quotidien. Le mien. Pas celui  d’un  personnage.» (p. 144)

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Vickie Gendreau, Drama Queens, Le Quartanier, Montréal, 2014, 200 p.
Vickie Gendreau, Testament, Le Quartanier, Montréal, 2012, 166 p.
Critique de Testament de Vickie Gendreau, sur l’Artichaut Magazine.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM