Pour sa couverture de la 22e édition du Festival Fantasia, Caroline Bergeron propose les critiques des longs-métrages Hurt (Sonny Mallhi) et Louder! Can’t hear what you’re singin’, Wimp! (Satoshi Miki) ainsi que du programme de court-métrages « Technologies Réelles et Fictives »
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Hurt– Sonny Mallhi
Cette année, l’Halloween risque d’être mémorable, pas uniquement pour les frousses que Rose (Emily Van Raay) donne aux enfants, mais bien parce que son conjoint, Tommy (Andrew Creer) est fraichement revenu de guerre. Toutefois, ce retour à la vie normale semble difficile car celui-ci est encore ébranlé par son traumatisme. Et quel meilleur moyen pour enterrer ces mauvais souvenirs d’horreur si ce n’est perpétuer de veilles habitudes. Toutefois, dans le cas présent, la tradition est d’aller à un carnaval de l’horreur et de la mort. Cette fête morbide, qui a lieu à la tombée de la nuit dans une zone forestière, présente des spectacles macabres, des simulations de pendaison et une maison hantée dans laquelle des atrocités sanglantes sont mises en scène. Un contexte qui à tout pour éveiller de mauvais souvenirs… Rose devra donc aider Tommy dans ce cheminement personnel, à moins, bien sûr, qu’elle n’ait de plus gros ennuis.
Les premières minutes du film de Sonny Mallhi nous introduisent à la petite ville campagnarde de New Caney, au Texas. C’est dans un rythme lent et au travers de longs dialogues que le quotidien de Rose nous est présenté. La trame sonore (dans un style de pop country) s’éloigne des ambiances musicales angoissantes des films d’horreur pour nous plonger dans la réalité des protagonistes. Si vous n’aviez pas préalablement vu le mot horreur associé au film, vous croiriez alors certainement qu’il s’agit d’un drame sur les difficultés d’un retour chez soi après un traumatisme. Comme nous le savons, il s’agit bel et bien d’un film d’horreur et, alors qu’un conflit éclate, préparant le massacre à venir, le film ne réussit pas à susciter terreur ou angoisse, devenant rapidement lassant.
Avec une introduction d’une telle durée (il se passe un peu moins d’une heure avant que l’action débute), on pourrait s’attendre à ce que l’histoire et la personnalité des personnages soient développés. Hurt n’a pas cette finesse, présentant plutôt des personnages secondaires insignifiants dont la seule contribution au scénario est la mort. Même l’intérêt initialement suscité par le personnage de Rose ne survit pas au carnage de ce tueur. Alors qu’elle est introduite comme une farceuse un peu tordue qui n’a pas froid aux yeux, dans la seconde partie du film, elle ne révèle pas de trait de personnalité particulier, devenant une victime générique.
Sonny Mallhi joue avec les codes du slasher qu’il choisit de ne pas toujours respecter. L’astuce fonctionne dans la mesure où le scénario réussit à leurrer son auditoire, mais ce déroutement est décevant. Effectivement, l’histoire et les thèmes installés dans la première partie du film sont abandonnés au profit d’un dénouement stérile et un peu grotesque. Ce qu’on ne peut enlever à Hurt c’est d’être visuellement remarquable. Les compositions habilement pensées contiennent des indices intrigants qui participent au développement de l’histoire. C’est donc avec une main de maitre que le film prend son auditoire pour le diriger… nulle part.
Louder! Can’t hear what you’re singin’, Wimp! – Satoshi Miki
C’est devant une salle comble que Satoshi Miki a présenté la première mondiale de son film Louder! Can’t hear what you’re singin’, Wimp! La projection était très attendue au festival puisque le réalisateur n’en est pas à sa première participation à Fantasia. En effet, en 2008, il a gagné le meilleur script avec son film Adrift in Tokyo.
Alors que Fuki (Riho Yoshioka) et son groupe de musique peine à attrouper un public pour leur spectacle de rue, une masse de fan en délire se rassemble devant la scène ou Sin (Sadao Abe), une célébrité rock, se produira. Pour l’un comme pour l’autre, la soirée ne se déroulera pas comme prévue. Pendant que Fuki se fait larguer par ses musiciens qui trouvent sa voix trop faible (voix qui s’approche plus du murmure que du chant), le spectacle de Sin se révèle un peu trop explosif. En effet, les injections de stéroïde que le chanteur prend avant ses concerts pour gonfler ses cordes vocales ne sont pas sans conséquence et alors qu’un incroyable jet de plusieurs litres de sang gicle sur son public, il lui sera désormais difficile de rester nonchalant. Cependant, l’insouciance de Sin est inébranlable et c’est en tentant de fuir les conséquences de ses controverses qu’il fait la rencontre de Fuki. La rockstar s’engage alors à aider la jeune femme à découvrir sa voix.
Il peut être difficile de classer Louder!… dans une seule catégorie, car s’il s’agit d’une comédie, Satoshi Miki se joue des genres pour créer un film mixte. Alors qu’une séquence se rapproche plus de la comédie musicale, la suivante pourrait tout aussi bien proposer une scène d’action, de comédie romantique ou de burlesque.Par cet exercice de genre, le film crée ses propres règles et réussit à établir un univers fantasmatique dans lequel tout peut arriver.Étonnamment, ces transitions ne créent aucune confusion puisque le passage d’un tableau à un autre ne fragilise pas la trame narrative.
Le rythme du film, à l’image de ses personnages, est plus grand que nature. Une telle rapidité ne laisse aucune place pour la distraction ou l’ennui. Si cette rythmique est utilisée pour susciter le rire, elle est loin d’être le seul processus humoristique déployé. Louder! …regorge de références populaires, d’humour physique, visuel ou parfois même un peu macabre. Dès le début, le geyser de sang qui couvre les pauvres groupies effrayées révèle une disproportion qui sera maintenue jusqu’à la fin du film. Tout est grand, rapide, bruyant et, au milieu de ce charmant excès, se développe une histoire simple: celle de la relation entre un mentor et sa protégée. Bien que le scénario propose des intrigues et des opposants, la quête intérieure des personnages est plus importante que l’histoire et les situations dans lesquelles ceux-ci évoluent. D’ailleurs, s’il y a un élément que l’on peut reprocher au film, c’est que ces mésaventures manquent parfois de précision.
Comme l’histoire repose essentiellement sur la progression des personnages de Sin et Yuki, il était essentiel que leur interprétation ait la justesse et la force de soutenir le scénario. Ce que Sadao Abe et Riho Yoshioka accomplissent habilement par la richesse d’un jeu qui s’adapte aux transitions de genres. Cela dit, il faut également reconnaitre l’importance des seconds rôles, qui avec leur dynamisme et leur personnalité éclaté ne laisse aucun temps mort (Shoko Ikezu, Ryô Iwamatsu, Suzuki Matsuo).
Les Fantastiques Week-Ends du cinéma québécois – Programme « Technologies Réelles et Fictives »
Cette saison encore, et pour une douzième année consécutive, le Festival Fantasia met de l’avant le talent local lors des Fantastique Week-end du cinéma québécois. Chaque projection présente une série de courts métrages de réalisateurs émergeants rassemblés sous un thème commun.Passant de réalités à deux pas de la nôtre à des univers surnaturel, le programme « Technologies Réelles et Fictives » propose une vision parfois inquiétante, parfois amusante, de votre avenir.
Parmi les films de ce programme, Luna Negra, d’Alvaro Salvagno, se déroule dans la ville de Montréal. Alors que, dans le ciel, apparaît un objet inhabituel à l’allure d’une éclipse (la luna negra ou lune noire), le jeune Louka (Louka Amadeo Bélanger-Leos) semble absolument captivé par le phénomène. Il passe ses jours et ses nuits à écouter le bruit qu’intercepte un petit microphone précaire qu’il a bricolé. La curiosité qui l’habite est bien trop grande pour que son père ne le décourage d’en apprendre plus sur cet étrange astre. Dès les premières secondes du film, la trame sonore d’Alexandre Côté et Mathieu Grégoire nous plonge dans une atmosphère d’étrangeté onirique. Celle-ci est constituée, en grande partie, de bruit blanc et par moment de sons inhabituels.L’histoire est simple, intrigante et nous pousse à nous demander jusqu’où l’intérêt de Louka le mènera.
Après s’être promené à travers le Québec et avoir fait un passage en Corée du sud (Asian Short Fest), Retour de qualité, un film de Daniel Abraham et Pierre-Alexandre Girard, était de retour à Montréal. Germain (Marc-André Coallier) décide d’aller consulter son médecin (LeLouis Courchesne), car rien ne semble aller dans sa vie. Pragmatique, il se dit souffrir de dépression. Cependant, lorsque les machine distributrice ou les porte automatique ne répondent plus à votre présence, peut-être votre problème se cache-t-il plus profondément ? Mélangeant drame et humour, ce film réserve une surprise tout à fait étonnante et invraisemblable. Marc-André Coallier et LeLouis Courchesne offrent tout deux une excellente interprétation et arrivent à faire d’une situation des plus absurde une épreuve banale.
Dans le même programme, Tapping Tango, une animation de Nancy Snipper, il faut s’attendre à se prendre d’affection pour des objets aussi anodins que des cabines téléphoniques. Comme le dit le proverbe: quand le chat n’est pas là, les souris dansent. Et que ce passe-t-il quand le métro n’est pas là? Les cabines téléphoniques se lancent dans un tango. Avec un amusant clin d’œil au métro de Montréal, Tapping Tango aborde l’obsolescence en faisant revivre un objet de notre quotidien qui, au yeux de la majorité d’entre nous, est mort depuis longtemps. L’histoire est d’une simplicité remarquable, mais dans un style amusant avec cette personnification de cabines joliment exécutée.
Dans Asleep d’Oleg J, nous sommes invité à réfléchir à notre rapport à la technologie et aux relations humaines. À toujours chercher à perfectionner notre environnement, qu’advient-il de nous? En se réveillant, Rachel (Mélanie Elliott) décide que quelque chose doit changer dans sa relation avec son conjoint (Tom Lay). Bien sûr, elle pourrait en discuter avec lui, mais elle a une solution beaucoup plus simple et surtout beaucoup plus efficace. Asleep pivote habilement entre l’intimité d’une relation amoureuse, la douceur des souvenirs et la froideur des relations marchandes.
Finalement, La Tinque Sacré de Thomas Rodrigue est un heureux mélange de jeu vidéo des années 80 et d’ambiance de bar western. Partis pour aider leur ami prit en panne au milieu d’une route de campagne, Jonathan (Dayne Simard) et Rosalie (Mélissa Merlo) aperçoivent un bar un peu louche. Bien qu’à l’intérieur de celui-ci personne ne semble en mesure de les informer sur leur ami, ils décident d’y rester le temps d’une partie de soccer sur table. Un détail qu’ils regretteront bientôt, car la tradition locale veut que le perdant y perde sa tête (littéralement). Malgré une histoire aux accents macabres, avec ses effets sonores et visuels de jeux La Tinque Sacré reste sur le ton de l’humour. Si par moment l’histoire est prévisible, l’ambiance proposée par Thomas Rodrigue captive et intrigue.
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Article par Camille Bergeron.