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17-04-2025 Vol 19

De père en fille. He Named Me Malala de Davis Guggenheim

Le dernier documentaire de l’oscarisé Davis Guggenheim, He Named Me Malala, se consacre à la jeune militante Malala Yousafzai en mettant l’accent sur sa source d’inspiration et de persévérance: son père.

Lorsque Ziauddin Yousafzai déploie l’arbre généalogique manuscrit qu’il conserve depuis son départ du Pakistan, les noms se suivent et se ressemblent: tous des hommes. Au bas de la feuille, une calligraphie nouvelle vient toutefois inscrire le premier nom féminin. Celui de Malala.

Crédits photographiques: He Named Me Malala
Crédits photographiques: He Named Me Malala

Dans son tout dernier documentaire, He Named Me Malala, Davis Guggenheim pointe le projecteur sur cette relation forte qui unit Malala Yousafzai et son père. Fruit du hasard, le prénom Malala, qu’il a choisi, est celui d’une héroïne du folklore afghan.

Alors qu’on pourrait tomber dans le paternalisme et en conclure que Ziauddin Yousafzai, militant lui aussi, a dicté à sa fille la voie qu’elle devait suivre, le film de Guggenheim suggère au contraire la plus simple expression: tel père, telle fille.

La présence du père éclipse les timides apparitions de la mère, qui s’efface en arrière-plan et apparaît tardivement dans le documentaire. Il s’agit peut-être d’un choix éditorial servant à motiver l’angle de Guggenheim. Mais en réalité, les images de Malala et de son père témoignent d’un lien unique et puissant. Si elle décrit sa mère comme une femme qui n’est ni indépendante, ni libre par manque d’éducation, elle ne cherche pas ses mots pour Ziauddin: «We are one soul in two different bodies.»

Qui est Malala?

Véritable symbole de la lutte pour l’éducation des jeunes filles au Pakistan, Malala se fait connaître le 9 octobre 2012 alors que les talibans du Tehrik-e-Taliban Pakistan, une organisation insurrectioniste responsable de plusieurs attentats au Pakistan, tentent de l’assassiner. Blessée à la tête et au cou, elle est transférée d’urgence au Royaume-Uni.

Un an après les événements, on retrouve Malala dans la résidence familiale à Birmingham, où elle vit depuis avec ses parents et ses deux jeunes frères. Elle n’est pas encore la plus jeune lauréate du Prix Nobel de la paix (qu’elle recevra en 2014 avec Kailash Satyarthy, militant contre l’exploitation des enfants en Inde), mais son histoire en dit déjà long sur son courage et sa fougue.

Rappelons qu’avant octobre 2012, Malala faisait déjà parler d’elle, répondant à l’époque au nom de Gul Makai. Sous ce pseudonyme, elle a publié en 2009 sur le blog de la BBC le Journal d’une écolière pakistanaise où elle dénonçait les violences des talibans, la destruction des écoles, l’emprise du Radio Mullah sur la vallée de Swat, la peur de devenir la cible, l’opposant. Elle avait alors 11 ans.

Crédits photographiques: He Named Me Malala
Crédits photographiques: He Named Me Malala

Dans un récit non linéaire, Guggenheim suit Malala dès l’âge de 15 ans. S’entrecroisent des archives vidéos des médias lors de l’attaque, des extraits de son discours à l’ONU en 2013, de splendides panoramiques de la vallée de Swat et de ses voyages humanitaires dans les écoles de jeunes filles au Rwanda.

La contribution de Jason Carpenter est à souligner: les flashbacks se font sous forme de magnifiques dessins pastels. La musique à la Walt Disney aurait toutefois pu laisser place à une mélodie moins féérique et plus subtile: l’histoire de Malala n’a pas besoin de fioritures pour communiquer la bravoure.

Les moments du quotidien de la jeune militante sont réellement touchants, alors qu’elle explique la difficulté à s’intégrer dans son école de Birmingham. Sous la caméra, Malala éclate de rire et porte ses mains au visage timidement, en montrant ses résultats scolaires très moyens. La moitié gauche de son visage est paralysée, vestige d’une vie qu’elle ne peut plus mener, loin de sa vallée natale. Le portrait qui est fait est celui d’une jeune fille humble, qui ne prétend pas être extraordinaire et qui n’aspire pas aux flashs des caméras, qui la rendent d’ailleurs inconfortable.

S’en dégage l’idée qu’on ne naît pas héros. Malala n’avait pas une aura de destinée. Son père ne l’a pas poussée vers la gloire. «He named me Malala, dit-elle. He did not make me Malala.»

Crédits photographiques: Huffington Post
Crédits photographiques: Huffington Post

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He Named Me Malala de Davis Guggenheim. Documentaire, 88 min. 2015 (Canada)
Le film a été présenté dans le cadre du TIFF à Toronto et au Telluride Film Festival au Colorado. À l’affiche au Québec depuis le 9 octobre 2015.

Article par Valérie Boisclair. Entre freckles et 7e art, elle tente de combler et d’extérioriser son insatiable curiosité par les lettres.

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