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16-05-2025 Vol 19

Attendre Almodóvar : Julieta de Pedro Almodóvar

L’horizon d’attente joue souvent de mauvais tours. Par exemple, le dernier film d’un grand cinéaste devrait soit être à la hauteur de ses plus grands succès, soit posséder les caractéristiques uniques qui font son charme et sa réputation, à défaut d’être aussi délicieux que les précédents. C’est pourquoi, quand on se trouve en présence d’un film de Pedro Almodóvar, on s’attend à un film de Pedro Almodóvar, même s’il n’est pas au rendez-vous. C’est la moindre des choses et ceci expliquant cela, les réactions mitigées faces aux déjantés Amants passagers et au chirurgical suspense psychologique La peau que j’habite n’ont rien de surprenant. Ironiquement, Julieta non plus n’a rien de surprenant.

Avec ce drame romantique doux-amer sur les erreurs du passé et les bifurcations du destin, drame composé d’une riche galerie de personnages féminins, le réalisateur espagnol revient en terrain connu, trop connu. Rien de nouveau sous le ciel donc.

Julieta, une femme d’une cinquantaine d’années, cherche à renouer avec sa fille Antía, qui s’est enfuie l’été de ses 18 ans et qui depuis ne donne plus de nouvelles. Un beau matin, Julieta croise Béa, l’amie d’enfance d’Antía. Et Béa, qui vient de croiser Antía, donne enfin à Julieta des nouvelles d’Antía. Bouleversée par les minces bribes d’informations, entrevoyant une future et inespérée réunion familiale, la mère entreprend d’écrire à sa fille une très longue lettre autobiographique. Cette lettre compose le cœur du film. Un long récit sinueux remonte jusqu’au présent et retrace les étapes clés de la vie de Julieta, de la rencontre avec le père à la fugue de sa fille.

Julieta – Pedro Almodóvar

Julieta prend la plume et commence sa lettre. Elle avertit d’emblée sa fille (et le spectateur au passage) que, jusqu’à maintenant, la pudeur l’empêchait de raconter son histoire. La narratrice suggère ainsi l’idée que si la pudeur la freinait, aujourd’hui elle dévoilerait tout. Fi des tabous! Malheureusement, ce satané horizon d’attente nous joue encore un mauvais tour, puisque cette pudeur transparaît dans la caméra d’Almodóvar, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, sauf quand cette pudeur se transforme en timidité. Almodóvar garde certes une distance respectueuse face à ses personnages, particulièrement dans les scènes à caractère sensuel, mais cette distance et cette timidité nous empêchent d’aller croquer dans le cœur du drame. La pudeur tient le drame en échec, l’empêche d’éclore et contamine le reste du film.

Il est vrai qu’Almodóvar n’a pas son pareil pour magnifier la beauté de ses actrices, ce qu’il réussit avec force pour les deux femmes partageant le rôle de Julieta (Adriana Ugarte au temps passé et Emma Suárez au présent). Attention, car c’est un piège. La beauté est plastique, esthétique, visuelle. Elle n’a rien dans le ventre et s’y attarder risque de détourner l’attention du véritable intérêt du film. Julieta flotte sur l’existence, plus séduisante que vivante. Lorsque la tragédie la saisit à bras-le-corps, l’éclat de sa beauté efface l’éclat du drame.

Julieta – Pedro Almodóvar

Présent au Festival de Cannes 2016, Pedro Almodóvar n’a pas caché l’influence de Luis Buñuel sur son 20e opus, particulièrement Cet obscur objet du désir. Dans les deux films, deux actrices incarnent un même rôle. Toutefois, la Conchita chez Buñuel sème le malheur et la destruction autour d’elle. Julieta, pour sa part, enfouit ses émotions sous la surface impassible de son visage et n’affiche nulle souffrance, gommée et effacée par la retenue d’un réalisateur qui pourtant n’a pas peur de prendre le taureau par les cornes. Pensons notamment à Parle avec elle.

Malgré tout, il y a une certaine sensibilité qui traverse le film, une certaine douceur même. Ce n’est pas assez. On s’arrête trop souvent à la surface des choses. Le récit ne va pas plus loin et s’arrête d’ailleurs abruptement. Pourtant prêt à se dérouler, le dénouement n’arrive pas. La dernière scène l’évoque et le générique commence aussitôt après ce qui aurait dû être l’avant-dernière scène. Il n’y a ni résolution du problème ni moment cathartique.

Julieta – Pedro Almodóvar

C’est peut-être ça aussi, l’idée. Le film, après tout, n’en est pas un sur des retrouvailles de gens qui ne se sont pas vus depuis longtemps. C’est un film sur l’absence et la solitude, sur la séparation, ses différentes formes et différentes causes. Bien que la fin soit décevante, en ce qui concerne, du moins, la portée du drame, comme une fausse note dans la trame sensible de la narration, elle procède d’une logique thématique. Le film nous laisse sur un sentiment de vide comme celui qu’a vécu la mère dès la fuite de sa fille. Ainsi, ce quelque chose qui manque au film, il le manque également au protagoniste éponyme.

Si Julieta est un beau film, il n’est que cela. Dans ce cas, l’équation est proportionnelle : à l’absence de défauts majeurs correspond l’absence de qualités majeures. En somme, Julieta manque de surprise et d’audace.

Julieta est sorti en salle le 27 janvier.

Artichaut magazine

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