L’identité se construit avec le temps; elle se construit et elle nous construit. L’exposition Bibelots de l’artiste québécoise Julie Lequin au centre d’art contemporain Optica propose un regard à la fois nostalgique et amusant sur l’identité ainsi que sur le rapport entre l’art et la vie quotidienne. La pratique de Julie Lequin est diversifiée, combinant le dessin, la performance, la vidéo, l’installation et la sculpture.
Son travail s’inscrit dans un rapprochement entre l’art et la vie qu’on a vu apparaître avec la modernité. Bien des artistes s’inscrivant dans cette perspective, notamment ceux impliqués dans le mouvement Fluxus, conçoivent l’art et la vie comme un jeu. Dans le cas de Lequin, très clairement, cette idée du jeu occupe une place prédominante. Dans l’exposition Bibelots, l’artiste présente deux installations, la première s’intitule Confabulatory Chronicles et la deuxième a pour titre Top 30. La culture populaire et les questions identitaires sont des enjeux du travail de l’artiste qui sont bien présents dans cette exposition.

En entrant dans la salle, c’est d’abord Confabulatory Chronicles qui s’offre au regard. Il s’agit d’un projet en évolution depuis 2012. Une grande boîte verte, évoquant à la fois un petit kiosque et un théâtre de marionnettes, est placée au centre de la galerie. Des personnages en papier mâché, un gâteau fabriqué comme une piñata ainsi que des paillettes se trouvent à l’intérieur, donnant l’impression de constituer une pièce de théâtre mettant en scène une fête pour enfants. Certes, la sculpture de papier mâché est un médium qui évoque l’enfance, mais ce matériau fragile et accessible permet ici de mettre en scène un récit autobiographique. En effet, les personnages représentent des hommes ayant marqué l’artiste au cours de sa vie. La fiction de la mise en scène croise donc la réalité de la vie de l’artiste.
Qui plus est, une série de dessins à l’aquarelle sur le mur montre d’autres portraits d’hommes. Les cadres dans lesquels les aquarelles se trouvent sont de facture plutôt banale, ce qui accentue la référence aux portraits de membres de la famille qu’on place habituellement sur les murs. La part autobiographique n’est évidemment pas apparente dans l’œuvre, il est donc nécessaire de lire le texte de présentation de l’exposition pour comprendre cet aspect du travail, ou alors de connaître préalablement la démarche de l’artiste allant en ce sens. D’ailleurs, le titre signifie habilement le rapport de nature ambigüe entre la vie de l’artiste et la fiction, puisque la confabulation est un récit imaginaire insensé, une façon en psychologie d’expliquer qu’on puisse combler les manques dans la mémoire en construisant des récits fictifs qui «deviennent» des faits. De plus, le mot «confabulation» peut avoir une autre signification impliquant l’idée de discuter de manière familière. Cette familiarité de la conversation convient assez justement à cette œuvre dans laquelle l’artiste présente les gens de son entourage dans un nouveau récit, dans une nouvelle histoire. D’ailleurs, les récits se croisent puisque l’artiste a eu recours à des techniques artisanales qu’elle a apprises lors d’une résidence d’artiste au Mexique; il s’agit de techniques pour faire des piñatas. La vie personnelle et la vie professionnelle de l’artiste sont donc imbriquées dans ce récit fabulé auquel nous invite l’œuvre.
L’identité des personnages qui sont représentés repose bien davantage sur l’interprétation des spectateurs que sur leur existence réelle ou imaginaire. La plante en papier mâché, placée en dehors de l’espace scénique de la boîte verte, illustre assez bien le paradoxe de la question du vrai et du faux; cette vraie plante en papier mâché, ou bien cette fausse plante, donne à voir avec éloquence le déplacement de l’art en dehors de son espace initial pour aller vers la vie. L’art semble être pour Lequin un terrain de jeu où elle construit un monde imaginaire en s’inspirant de la vie quotidienne. La main en papier mâché, placée sur le côté de la boîte verte, semble émerger d’un biscuit à la crème. Cette œuvre fabriquée à la main convoque un imaginaire qui n’est clairement pas celui de la fabrication industrielle. Par ailleurs, le fanion en feutrine accroché au mur nous indique la marche à suivre: «Suis-moi». Cet élément indicateur joue un peu le même rôle que le lapin blanc guidant Alice vers le Pays des merveilles.
La seconde installation est une œuvre de 2012 qui s’intitule Top 30. Il s’agit d’un triptyque vidéo et d’une série de dessins à l’aquarelle. Le titre rappelle évidemment les fameux classements de chansons les plus populaires. C’est d’ailleurs à partir de chansons que le récit de cette œuvre s’élabore. Le triptyque vidéo présente le récit biographique de Lequin qui passe par ses différents anniversaires et les lieux où elle vivait à ces diverses périodes de sa vie. Des comédiennes incarnent l’artiste; chacune de ces filles et de ces femmes chantent une chanson marquante pour l’année de la vie de Lequin qu’elle performe. Elles jouent à devenir Julie Lequin, en quelque sorte.
L’effet parfois un peu lourd de l’amateurisme de même que les sourires ou les fous rires des protagonistes ne sont pas sans rappeler le karaoké, mais, surtout, cela trahit le décalage identitaire entre la femme à l’écran et le personnage qui devrait bien connaître les chansons qui l’ont marquée. L’esthétique du design des radios et des chaînes stéréo, qu’on peut voir sur l’écran du milieu, évolue en même temps que grandit le «personnage» de Julie Lequin. L’identité s’inscrit aussi dans une nostalgie des objets.
D’ailleurs, les dessins servent de support visuel aux histoires racontées dans la vidéo, un peu comme des illustrations de livre pour enfants. Ces mêmes dessins se retrouvent sur le mur, nous permettant de découvrir divers objets, allant de la pochette de disque au pot d’onguent Vicks®, en passant par un calendrier ou une orange dans laquelle est plantée une paille. Certes, le dessin permet à l’artiste de documenter le réel, mais il insuffle aussi une dose non négligeable d’humour. Notamment, le dessin un peu surréaliste présentant de manière littérale «un sourire sur deux pattes» ne manque pas de nous décocher un sourire. L’alternance entre le français et l’anglais dans l’installation vidéo met aussi de l’avant des questions identitaires. Les femmes, qu’elles soient anglophones ou francophones, doivent incarner Julie Lequin parfois en anglais et parfois en français. La langue peut donc être à la fois un vecteur identitaire et une barrière culturelle. Une certaine nostalgie se dégage aussi des lieux de tournage, puisqu’il s’agit soit de lieux où a vécu l’artiste ou de références aux endroits où elle a été.
L’exposition dénote une certaine naïveté, pour ne pas dire un côté enfantin, mais on voit bien qu’il y a de la rigueur. Les cadrages vidéo sont travaillés, le papier mâché est plutôt soigné et le dessin est fait avec minutie. Si l’esprit est un peu DIY (Do It Yourself ou Fais-le toi-même), en revanche, l’esthétique n’est pas punk ni trash. C’est davantage le DIY qu’on peut associer à l’artisanat qu’à celui du refus du système. Bibelots est une exposition qui se laisse découvrir comme un conte pour enfants, à travers des jeux identitaires et un plaisir flagrant à mélanger la fiction et la réalité. L’identité, pourrait-on dire, se bricole comme une piñata.
——
L’exposition Bibelots de Julie Lequin était présentée du 15 novembre au 20 décembre 2014 au centre d’art contemporain Optica à Montréal.
Article par Yan St-Onge. Doctorant en sémiologie à l’UQAM / Son projet de thèse porte sur la sémiotique et l’esthétique de la poésie-performance / Spécialiste en rien / Artiste / Poète / Performeur.