ENTRETIEN AVEC CLAUDE POISSANT
Durant la session d’automne, j’ai eu l’occasion de rencontrer Claude Poissant, l’un des piliers du théâtre québécois. L’agitation était palpable. Des questions griffonnées la veille ont permis d’alimenter une discussion portant sur le rôle du metteur en scène, mais surtout, sur cette étincelle difficilement explicable, ce je-ne-sais-quoi ou plutôt ce je-ne-sais-pas entre le texte dramatique et la représentation. Bref, cette chose sans nom au coeur du processus de création.
Claude Poissant est connu pour le théâtre PÀP, compagnie qu’il a cofondée en 1978 et dont il est aujourd’hui le codirecteur artistique et le directeur général, mais également pour ses nombreuses mises en scène comme Je voudrais me déposer la tête de Jonathan Harnois, Unity 1918 de Kevin Kerr, Le Ventriloque, Abraham Lincoln va au théâtre et The Dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay. Il se distingue également comme défricheur de paroles émergentes avec notamment l’auteure Fanny Britt pour Couche avec moi, c’est l’hiver, Etienne Lepage et Rouge-Gueule ainsi que David Paquet qui a écrit Porc-épic. Au-delà de ses nombreux accomplissements pour le théâtre québécois, il détient ce souffle mystérieux propre aux metteurs en scène, capable d’animer le texte dramatique pour engendrer un spectacle vivant. Claude Poissant a donc raconté, entre les murs gris d’un local de l’UQAM, cette démarche plus que lumineuse.
ENTRE LE METTEUR EN SCÈNE ET LE COMÉDIEN
«Travailler avec l’humain qui l’entoure, déceler ce qui est sensible et présent dans chaque humain, voilà ce qui peut le mieux faire naître et vivre les situations dramatiques», a-t-il dit spontanément. Il ne détient pas une vision précise, fixe et immuable; il possède plutôt cette confiance qui nourrit et qui rallie comédiens et concepteurs. C’est d’ailleurs cette équipe qui l’aide à nourrir sa vision du texte. Lorsque Poissant a revisité The Dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay en 2010, il a multiplié en cinq voix le monologue de Gaston Talbot, ce célèbre personnage québécois, mais qui s’exprime en anglais. Guider une pièce de théâtre où cinq comédiens se partagent un monologue est un véritable travail sur l’être humain. Puisque le théâtre est un art qui exige cette force collective, c’est un processus qui tend à la naissance d’un esprit d’équipe et qui souhaite, au final, une symbiose au sein du groupe. Il n’y a pas de méthode écrite, tout dépend de la personnalité du comédien et du personnage qu’il interprétera. Dans The Dragonfly of Chicoutimi, les comédiens ont dû atteindre une certaine humilité pour trouver leur chemin vers un personnage partagé. « Peut-être parfois faut-il provoquer certaines choses, faire naître des émotions chez le comédien. D’autre fois, il est préférable de laisser le processus s’enclencher de lui-même.» Les interventions de Poissant visent à accompagner le comédien dans un processus d’identification du personnage. Il faut souvent laisser tomber les préjugés du quotidien, c’est-à-dire l’idée parfois superficielle que nourrit un comédien quant à son personnage, pour qu’il dépasse une interprétation au premier degré, pour qu’il décèle l’essence du personnage et pour qu’il accède à une interprétation plus juste. Poissant nous a aussi parlé d’une «caméra imaginaire», caméra avec laquelle les comédiens ont tendance à s’analyser au lieu de confronter la situation dramatique. Or, le comédien cherche le chemin vers un épanouissement qui le fera abandonner cette «caméra imaginaire». Au final, l’objectif est de s’abandonner sur scène pour faire surgir ce moment quasi magique où corps et intellect sont sur le même diapason.
L’INCONNU
Le comédien n’est pas le seul dans ce processus d’abandon, car la mise en scène en est également issue. «C’est véritablement se lancer dans le noir!», a même ajouté Claude Poissant qui accepte cet état d’incertitude et le caractère inconnu de la mise en scène. Si rien n’est définitif au départ, il conserve cette confiance à l’égard du processus créateur; c’est aussi d’accepter que la nature de la pièce de théâtre surgisse en temps et lieu. Bref, c’est un sacré travail sur sa confiance à l’égard de son processus créatif! «C’est aussi en cherchant en soi et en s’ouvrant aux autres membres de l’équipe que l’on trouve des éléments qui éclairent le parcours», poursuit-il. Parfois, Poissant trouve des pistes intrinsèques, des éléments en lui, à partir d’une situation, d’un personnage auquel il s’identifie. Ce processus d’identification s’est produit, notamment, lorsqu’il a monté Le Prince Travesti de Marivaux en 1992. C’est le personnage de La princesse dans cette pièce de théâtre qui s’est révélé être l’élément déclencheur. Bien sûr, ce n’est pas à La princesse même qu’il s’est identifié, mais au sentiment vécu par ce personnage et à la situation dans laquelle il évoluait. Ainsi, le metteur en scène apprend constamment sans méthode sclérosée et fixe, mais plutôt grâce à son instinct, à son intuition qu’il gagne à écouter, en acceptant de ne pas toujours comprendre pourquoi.
En écoutant ses propos j’ai constaté que de «se lancer dans le noir» en 2011-2012 nécessite une confiance singulière, singularité qui frôle la marginalité, puisque qu’aujourd’hui, les projets qui se frottent volontairement à l’incertitude peuvent sembler absurdes voir péjoratifs dans d’autres domaines comme en politique, en économie, en production, en marketing, etc. Depuis la maternelle, on nous dit quoi faire et comment le faire. Aujourd’hui, ne pas savoir ce que nous réserve notre avenir, ne pas avoir de plan de carrière, même ne pas détenir d’assurances vie-maison-santé-auto-dentier comporte son lot d’étrangetés. Or, l’inconnu, l’incertitude ne sont pas bienvenus dans la mise sur pied de projets; il n’y a pratiquement que l’art qui s’en nourrit sans retenue. Heureusement, car même si l’abandon de soi comporte sa part d’insécurité, elle est, au fond, salvatrice pour un metteur en scène, qui a l’opportunité, enfin de vivre son je-ne-sais-pas en toute quiétude.
Article par Noémie Roy.