Tristesse Animal Noir, écrite par l’Allemande Anja Hilling, nous rappelle d’entrée de jeu comment une vie peut basculer sans crier gare, comment la bêtise et l’inconscience humaine peuvent mener à une chute soudaine. Présentée à l’Espace Go et mise en scène par Claude Poissant, la pièce met en lumière les travers que peut amener notre désir de trouver la légèreté quand la vie semble trop empreinte de lourdeur. L’œuvre pose le constat selon lequel l’art peut venir à notre secours quand tout semble éteint… ou enflammé.
La légèreté, c’est ce que recherchent trois couples d’amis, urbains montréalais, décidant de s’expatrier au fin fond d’une forêt le temps d’un chaud soir d’été. Il y a Flynn et Jennifer, Paul et Miranda (et leur petit poupon), puis Martin et Oskar. Ils ont apporté tout ce dont ils ont besoin pour profiter de la belle soirée : bière, nourriture, BBQ. Pourtant, ils sont au cœur du drame qui va se jouer. Ils en sont en fait le cœur même.
La pièce se présente en deux temps. Se déploient dans la première partie un décor épuré – une simple toile verte posée sur le sol en guise de gazon – et des dialogues crus, directs, reflétant authentiquement les échanges quotidiens. C’est la partie dans la lumière de la vie, dans l’avant-drame. Pourtant, on ressent après coup que c’est le moment le moins fort de la création. Peut-être est-ce le trop-plein de banalité, de quotidien, qui lasse rapidement. Les spectateurs sont dans l’attente. Il manque un élément, une quête, une étincelle. Cette étincelle, ce sera l’incendie.
L’inévitable se produit alors que tous dorment. Après 34 jours sans précipitations, la forêt est sèche et disposée à un formidable incendie. Le BBQ des six insouciants, encore chaud, relâche une étincelle de trop. C’est la Volks de Paul, dans laquelle dort le poupon, qui agit comme moteur du feu et relaie rapidement l’incendie.
C’est dans cet univers de fumée, de chaleur, d’incertitude, que se réveillent les six personnages. Le décor a maintenant changé, avec l’incendie – pâle lumière orange – se profilant au fond de la scène. Les ombres des personnages se détachent sur la toile orangée. La forme de narration évolue elle aussi de façon surprenante. Plutôt classique depuis le début de la pièce, elle devient plus fragmentée. L’autre raconte l’autre tour à tour, les éclairages mettant en évidence l’un après l’autre les différents narrateurs. Les dialogues entre les personnages sont plus courts et font appel aux instincts naturels. Chair. Eau. Sang. Femme. Odeur. Bébé. Le temps ralentit, la douleur est vive, l’homme est plongé dans l’obscurité. Il devient animal. La tristesse de l’animal noir rejoint enfin le spectateur. Et c’est ici que tout devient plus proche de ce que nous sommes.
L’écriture est à ce moment poussée à son apogée et toute la création s’en ressent. Les comédiens, le décor, les éclairages et la mise en scène agissent tous en une parfaite symbiose. C’est le moment le plus fort de la pièce. Il aurait été intéressant de pousser plus loin cette intensité quitte à en englober toute la création. C’est ici qu’on assiste à la présentation d’un style bien particulier. L’écriture, plus exigeante certes, gagne grandement en richesse, car elle fait appel avec force à nos réflexes humains. On se sent vraiment dans le réel, dans le vécu humain.
Impossible de manquer l’action de deux personnages suite à l’incendie : Flynn poursuit sa carrière de chanteur à l’étranger et Oskar présente une exposition témoignant de la trace que l’incendie a laissée en lui. Les deux hommes transforment ainsi leur expérience traumatisante en création artistique.
La leçon : quand tout va mal, expions notre douleur par la création. Cela mène forcément à la rédemption. La tristesse de l’animal noir en nous finira par se commuer et se consumer.
Tristesse Animal Noir, d’Anja Hilling, dans une mise en scène de Claude Poissant.
À l’Espace Go, jusqu’au 11 février 2012.
Article par Félix Delage-Laurin.