Iels sont au compte de cinq à faire la danse buissonnière, celle qui « s’écarte des sentiers battus et fuit la contrainte » (Larousse en ligne). Ces interprètes et chorégraphes émergent·e·s qui sont parti·e·s jouer hors de l’école. Sur scène, iels s’élancent, tournoient, résonnent en cinq nuances de beauté et de talent.
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Dans la tempête, le vent gronde et quand la nature parle, tout le monde l’entend mais encore faut-il savoir l’écouter
Laura Brisson est seule en scène baignée d’une lumière bleutée. Son corps bouge tantôt fluidement, tantôt par saccades et élans brisés. Sa gestuelle a des allures de créature. Soudain, le vent se lève et des feuilles de métal se mettent à voler et se répercutent sur son corps, sous la lumière. Enfin, elle n’est plus seule à danser. Le bruit du papier fin qui craque s’ajoute à la musique d’oLivier Landry-gagnon. Ensemble, iels donnent à voir une partition musicale et une chorégraphie viscérale, tout en textures. Dans la tempête, humain, son, lumière et matériaux interagissent ensemble pour créer des images fortes de fin du monde.
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Le corps est une prison et une arme, la gourmandise des loups est une atteinte fondamentale à notre survie
Une jeune femme, seule en scène, fait face à un projecteur. Kaia Portner recule en ondulant ses hanches. Sa sensualité semble tout droit portée vers cette unique lumière, comme un interlocuteur, un regard lubrique. La part d’ombre que crée son corps agit sur la lumière comme un technicien éclairagiste. L’artiste met en scène les codes de l’hyperféminité et du striptease, non pas pour critiquer, mais plutôt pour mener les spectateur·trice·s à réfléchir à ce corps hypersexualisé dont les filles sont dotées malgré elles à la naissance. Dans la recherche du plaisir, qui jouit vraiment? En amplifiant les mouvements des hanches, des fesses et du dos, la silhouette d’abord sans visage de l’interprète retrouve une certaine autonomie lorsqu’elle revient parée d’une couronne de plumes. Kaia Portner rapporte avoir « été inspirée par un article de Sayak Valencia paru dans le Working Issue of Lampoon Magazine, dans lequel elle déclare “la féminité en tant que performance est devenue un travail, un lieu d’autoproduction où le capital social se déplace vers le capital érotique [1].”»
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Les objets les plus quotidiens murmurent à nos oreilles pour celles et ceux qui savent porter attention à leur frémissement
Sarah Roy s’avance avec un cône autour du cou, comme un chien malade. Elle peine à respirer. Seule une petite lampe de chevet l’accompagne. Rapidement, la lampe et la danseuse deviennent semblables. La première s’anime sous les doigts de la deuxième; ou l’inverse, le public ne sait plus trop. Teinté de douceur et d’une candeur enfantine, ce numéro de Danses Buissonnières est une incitation à prendre de grandes inspirations, ouvrir la lumière et tendre l’oreille à la poésie des petites choses.
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Si les colibris savent voler sur place, ce n’est pas parce qu’ils battent des ailes rapidement, c’est parce qu’ils battent des ailes dans tous les sens
Entremêlant slam et break, Léo « Hit » Coupal montre l’étourdissement et la perte d’équilibre d’une époque surstimulée et essoufflée. Constatant la petitesse d’une existence singulière au milieu du désastre environnemental et de tout ce qu’il y a à faire dans cette courte vie, l’artiste s’engage dans une quête de sens aussi bien intime que politique. Lorsque l’on s’éparpille comme une chambre d’enfant mal rangée, on a parfois de la misère à se discerner. Mais battre des ailes dans tous les sens, c’est aussi trouver des petits bouts de soi partout : dans la parole qui circule, dans le corps en mouvement et dans un monde en dérive qui a besoin de lumière.
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Tout ce qui bouge est forcément vivant
C’est dans un tourbillon ininterrompu qu’Achraf « Eywaa » Maadaoui Terrab espère s’immobiliser dans le présent. Ce numéro de Danses Buissonnières semble emprunter quelque chose au rituel, aux mouvements que l’on reprend inlassablement pour se recentrer et pour entrer en harmonie autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de soi. Ne pas arrêter de bouger pour repousser le mal et pour partager une connexion avec celles et ceux qui osent entrer dans la danse.
Chacun·e de ces jeunes artistes a su se démarquer grâce à un langage chorégraphique propre ainsi qu’une démarche artistique aboutie. Cinq univers différents dans lesquels le public se surprend à vouloir être invité pour la nuit, à rester plus longtemps que les dix minutes allouées. Que ce soit grâce aux colibris, au vent, à la spirale, à une lampe de chevet ou aux showgirls, chaque danseur·euse a fait preuve d’originalité dans le traitement et à l’élaboration de son numéro.
Danses Buissonnières est un programme annuel de Tangente, spécialement destiné aux chorégraphes en début de carrière. Il permet une première opportunité professionnelle en danse contemporaine (toutes les formes de pratiques chorégraphiques qui intègrent le corps et le mouvement). Sélectionnées parmi 35, ces cinq œuvres bouleversent et touchent profondément celles et ceux qui ont eu la chance de les voir.