La marionnette est un pan des arts vivants qui, bien qu’il n’ait plus à faire ses preuves, reste dans l’ombre et traîne une image en décalage avec la réalité du milieu. Bien souvent, cette perception se limite à une idée que la marionnette se résume à des jeux d’enfants ou à un théâtre pour la jeunesse sympathique qui ne s’adresse pas aux adultes. La période d’effervescence marionnettique montréalaise approche et c’est donc le moment par excellence pour s’y plonger ou pour tenter l’inconnu. Le 4 mars prochain débute le premier de deux événements annuels intrinsèquement liés et qui sont devenus incontournables pour les adorateurs du 11e art, c’est-à-dire le Festival de Casteliers et son off, le OUF! 2017.

Bref historique : Casteliers en est à sa 12e édition, qui se déroulera du 8 au 12 mars 2017. Les spectacles sont présentés au Théâtre Outremont et dans des salles avoisinantes. C’est l’occasion pour Montréal de recevoir des troupes de divers pays et de découvrir ce qui se fait ailleurs dans le monde dans l’art de la marionnette ainsi que d’assister au travail de compagnies québécoises et canadiennes. Casteliers accueille des pièces et des courtes-formes pour un public de tous âges. En décortiquant la programmation, j’ai sélectionné trois pièces pour adulte dont je vous ferai un compte-rendu. Voici un aperçu pour les personnes curieuses de découvrir l’univers marionnettique.
Loin d’ici par le Théâtre du Bolchoï (Russie)
La première œuvre est d’une troupe russe fondée il y a près de 85 ans, le Théâtre de marionnettes Bolchoï (BTK). Ils décortiquent deux contes de fées en déconstruisant l’image bienveillante que nous avons de ce style littéraire. Au contraire, vivre un conte de fées implique des moments psychologiques douloureux et des épreuves à l’issue incertaine.
Schweinehund du New-Yorkais Andy Gaukel
Dans cette pièce, le seul support auditif est une bande sonore qui vient accompagner l’histoire vraie de Pierre, un français déporté dans les camps de concentration parce qu’il était homosexuel. Gaukel utilise une combinaison entre la vidéo et la marionnette sur table pour raconter la terrible histoire de cet homme.
Nordicité, coproduction entre le Théâtre Incliné (Laval) et le Nordland visual Theater (Norvège)
José Babin met en scène un texte de son cru en collaboration avec Pascal Brullemans, texte dans lequel elle explore les différentes voix du Nord. Entre la vidéo, la marionnette, la danse et les objets, les artistes explorent les facettes de notre imaginaire nordique.

OUF! 2017
En marge du Festival de Casteliers se trouve une niche foisonnante de créateurs et créatrices. Une bande de crinqués, déjantés. De fous curieux qui embrassent l’insolite, le laisser-aller artistique, la folie fragile des mers infranchies et affranchies de la créativité des petites choses, des matériaux, des mains habiles et des monticules patentés. Cette année, j’ai l’occasion de participer à cette réunion de la famille marionnettique annuelle et j’ai eu envie de partager ce qui se trame sous le castelet. J’ai été m’entretenir avec Amélie Poirier-Aubry, directrice musicale et des communications de la compagnie Belzébrute, qui produit le OUF! et où se réunit cette communauté tissée serrée. Nous avons décortiqué la naissance d’un petit festival qui fait de plus en plus jaser.
Naissance. Hiver 2014…
Une table. Trois personnes. Un élan de folie. Des idées qui volent et rebondissent. Voilà la combinaison qui a mené à la naissance du off du Festival de Casteliers. Louise Lapointe, directrice artistique de ce festival, confie à Jocelyn Sioui et à Carl Vincent qu’elle rêve d’avoir un off. Idée qui semble mûrir depuis un moment puisqu’elle a même une proposition de nom, le OUF!
Il ne faut parfois qu’un fou pour attraper un rêve au passage et en faire une réalité. C’est ce que les deux extravagants protagonistes ont pourtant été et ont fait, car le OUF! accueillait ses premiers festivaliers près de deux mois suivant le moment de cette discussion. Et surtout, malgré ce court délai, le OUF! recevait une réponse forte de la communauté de marionnettistes montréalais. Une vingtaine de propositions artistiques ont été présentées, telles des courtes-formes, des spectacles, des parcours ludiques et des animations lors de la première édition.

J’ai eu l’occasion d’assister à un des premiers spectacles du OUF! en 2014, mais ma première incursion dans les coulisses du festival date de cette année. J’avais des interrogations quant à la réponse des artistes à participer au OUF! au fil des années et au sujet de l’évolution du festival depuis ses débuts. Amélie m’explique que la participation des marionnettistes est, en fait, fulgurante, et les chiffres parlent d’eux-mêmes. La première édition accueillait une vingtaine d’artistes — et rappelons ici que le délai était de deux mois avant le début d’un festival qui en était à sa première année —, la 2e édition, une cinquantaine et la 3e, une centaine. Notre discussion s’oriente vers la justification de cette augmentation exponentielle de la participation. Les conclusions tirées par Amélie qui travaille dans le milieu depuis plusieurs années se lient à un manque d’espaces de représentations accessible pour la communauté marionnettique montréalaise. Il en existe tout de même quelques-uns, par exemple le Café Concret ou encore les soirées Mâche Puppet, mais la forte réponse des artistes démontre un intérêt grandissant pour cet art et un besoin de lieux de diffusion. Le OUF! est ainsi devenu une occasion de faire une fête à la marionnette en réunissant le temps d’une semaine la communauté et de lui offrir différents lieux et différentes manières de l’occuper. La ville d’Outremont prête dorénavant gratuitement le pavillon du parc St-Viateur, ce qui permet au OUF! d’avoir un quartier général où les spectateurs viennent assister à des spectacles; voir des marionnettistes qui ont déplacé leur atelier pour quelques jours afin de démystifier leur métier et montrer au public les dessous de la construction de marionnettes; observer les spectacles d’ombres installés dans la tourelle et regarder des performances extérieures autour de la patinoire. Le pavillon devient aussi un lieu rassembleur pour les festivaliers de Casteliers qui viennent y prendre un verre après une représentation. Le pavillon généralement peu utilisé annuellement devient le cœur névralgique le temps de la semaine de relâche.
Un des aspects incontournables dont me parle Amélie est l’ambiance familiale qui règne tout au long du festival, mais aussi dans l’équipe au courant des mois précédant le début du OUF! Il faut souligner que personne ne reçoit de salaire et toute l’organisation se fait par une équipe de bénévoles passionnés qui est à l’image d’une famille qu’on a choisi et qui nous choisit. Une famille accueillant à bras ouvert tous et toutes pour les emporter dans la fête d’un art toujours en marge.
Quand je vais voir un spectacle de marionnettes, j’invite souvent des amis néophytes. On blague, on déconne sur Guignol, sur Passe-Partout et Bibi et sur l’image de théâtre pour enfant que la marionnette a. Mais quand les lumières s’ouvrent à la fin de la représentation et que mon regard détient cette petite étincelle de bonheur, je me tourne curieuse de voir les yeux de la personne qui m’accompagne. Généralement, ils brillent tout autant que les miens. La surprise, l’ébahissement, le wow! C’est ce qu’ils me disent. Et je me dis, un curieux affamé de plus!
Ce que je peux vous conseiller, c’est de profiter de cette belle fête pour venir découvrir un petit monde incongru et chaleureux où quatre-vingt-cinq artistes prendront d’assaut les différents espaces que le OUF! 2017 occupe pour des prix très abordables. On fête les quatre ans du OUF! cette année. Ce n’est pas un anniversaire avec un chiffre rond, qui sonne grand et aussi honorable que 375, mais pour un festival où le directeur artistique est payé aussi cher que la personne qui passe le chapeau, c’est un chiffre qui résonne! Surtout que les années passent et l’équipe d’acharnés bénévoles et d’artistes dévoués s’agrandit encore.
Festival Casteliers. Du 8 au 12 mars au théâtre Outremont
OUF! Du 4 au 12 mars au pavillon du parc Saint-Viateur
Article par Sara Sabourin.