Entrevue avec Frédéric Dubois
Parfois, on se demande comment certaines personnes font pour mener à terme toutes les activités dans lesquelles elles s’impliquent. Elles s’engagent dans mille-et-un projets en même temps. Il en est ainsi du metteur en scène Frédéric Dubois avec qui j’ai eu la chance de m’entretenir, alors que ma vie ressemblait à un long fleuve tranquille. C’est donc dans cet état tout à fait contrastant avec son rythme de vie que j’ai fait la connaissance de ce talentueux et excentrique metteur en scène.
Récipiendaire du prix John-Hirsch en 2008, prix remis pour souligner le début d’une carrière prometteuse et singulière, Frédéric Dubois ne prend jamais de pause depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec. Même avant sa sortie, il était déjà assoiffé de mise en scène. Dès 1997, à l’âge de seulement 20 ans, Frédéric décida de s’investir à titre de directeur artistique de sa propre compagnie de théâtre, le Théâtre du Fond de Tiroir (TFT). Puis dès 24 ans, il multiplia les mises en scène, s’intéressant autant aux pièces classiques (des pièces de Shakespeare ou de Ionesco) qu’aux pièces contemporaines (de Réjean Ducharme, par exemple). Depuis 2011, Frédéric occupe également la fonction de coordonnateur artistique du Théâtre Périscope.
Rigoureux, rieur et surtout audacieux, cet artiste de Québec laisse sa trace dans le domaine du théâtre. Pour lui, «les salles de répétitions sont les endroits les plus trippants au monde». C’est suite à sa dernière mise en scène de Le roi se meurt et en attendant celle d’À quelle heure on meurt?, que l’Artichaut à eu la chance de s’entretenir avec lui.

Artichaut : Est-ce que vous enseignez encore?
F.D. : Je n’enseigne pas vraiment, ces temps-ci. C’est sûr qu’avec le Périscope, c’est plus compliqué. Ça va toujours être important pour moi l’enseignement. C’est ce que j’adore faire. Je dirige les étudiants comme des acteurs professionnels, et surtout, ce que je fais, c’est de les faire réfléchir sur l’engagement. En fait, sur l’importance d’être engagé, pas seulement dans ce qu’on est en train de faire, mais dans le monde dans lequel on vit. L’importance d’être curieux aussi. C’est vers ça que je veux les amener le plus possible.
Artichaut : Vous êtes également impliqué depuis quelques années en tant que membre du conseil d’administration du conseil québécois du théâtre de 2003 à 2005 et avez également été président de l’association des compagnies de théâtre durant 4 ans. Qu’est-ce qui vous pousse à vous impliquer autant?
F.D. : Je suis fils de syndicaliste, j’ai peut-être des gènes. (Rire) En fait, je pense que c’est important de défendre ce que l’on fait. Quand il y a eu des plateformes dans lesquelles je pouvais m’investir, j’en ai profité. Mais tu sais, l’engagement ce n’est pas juste en rapport avec son métier. C’est aussi l’engagement citoyen, de bien comprendre que l’art dans la ville n’est pas détaché de la vie quotidienne. Je trouve que c’est important comme artiste de comprendre ça.
Artichaut : Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre propre compagnie de théâtre aussi tôt dans votre vie?
F.D. : En fait, c’est une opportunité qui s’est offerte à moi. J’habitais en banlieue de Québec et pendant mes études, il s’est ouvert un petit café théâtre à côté de chez nous. Je suis donc allé les voir et je leur ai demandé s’il était possible de les visiter durant l’été. C’est un peu arrivé de manière impromptue. J’ai réuni du monde et, finalement, on a tripé. Ça me permettait de sortir de ce que j’apprenais à l’école. L’école, c’est plutôt rigoureux. Ça me permettait aussi de m’affirmer plus en dehors de ce que j’apprenais à l’école. En effet, c’était de mettre à profit ce que j’avais appris et de me l’approprier le plus possible. À cette époque-là, je ne savais pas ces choses-là. J’en prends conscience aujourd’hui. Je pense que c’était surtout pour triper au départ et que le trip dure encore.
Artichaut : Vous et votre frère Patrice Dubois avez travaillé à maintes reprises ensemble. Vous êtes tous les deux dans le domaine et vous performez également très bien tous les deux. Y-a-t’il quelque chose dans votre enfance qui a fait que vous vous êtes intéressés aussi tôt aux arts ?
F.D. : C’est drôle parce qu’en vieillissant, je constate beaucoup de choses. Par exemple, il y a deux ans je me suis retrouvé chez mon oncle et il s’est mis à nous raconter des histoires. Il nous a tenus éveillés jusqu’à 3h30 du matin. Je me suis rendu compte que cette fibre, ce plaisir-là de raconter quelque chose, de «puncher», de monter son suspense, de faire rire et de déstabiliser. J’ai fait « ha! c’est drôle! » On dirait que c’est en nous, dans notre tissu, notre fibre familiale. Par contre, il n’y a encore personne d’autre, hormis Patrice et moi, qui en avons fait un métier. Ma mère est très théâtrale! (Rire) Elle a toujours été très admirative envers le travail de l’artiste. Je me rappelle que quand on était jeune et qu’on regardait, par exemple, un artiste jouer du piano, elle nous disait « Regarde comment c’est beau! ». Elle mettait beaucoup de lumière autour du geste de l’artiste. Elle connaissait les artistes. Elle dirigeait notre regard vers ça, sans être impliquée dans le domaine. Mais en fait, mes parents sont des gens qui nous ont extrêmement stimulés, éveillés, obligés à être curieux et je crois que c’est ce qui fait ce qu’on est aujourd’hui ce qu’on est, Patrice et moi.
Artichaut : Pouvez-vous nous résumer l’histoire d’À quelle heure on meurt?
F.D. : C’est un collage qui à été fait à partir du roman Le nez qui voque de Réjean Ducharme. En fait c’est l’histoire de deux jeunes, Milles Milles et Chateaugué, qui s’enferment dans un appartement. Ils veulent refaire le monde. Ils ne veulent pas abdiquer, surtout pas devant ce qui nous oppresse. Ils veulent rester purs, uniques et singuliers dans notre regard. Ils s’enferment et tripent vraiment. Ils vont écrire, jouer, faire des spectacles, lire de la poésie. Ils décident de s’inventer un monde, de se créer leurs propres règles comme un peu dans toutes les œuvres de Réjean Ducharme. Les protagonistes ne veulent pas vieillir, ne veulent pas devenir adultes.
Artichaut : Avez-vous travaillé avec Martin Faucher pour la pièce? Avez-vous refait une réécriture ?
F.D. : Je n’ai pas été très en contact avec Martin. Je sais que lorsque j’avais fait la pièce à Saint-Hyacinthe avec les finissants de l’Option théâtre, il était venu et était très content du travail qu’on avait fait. Je crois sincèrement qu’inconsciemment, sans se parler, moi et Martin on partage le même amour de l’œuvre de Réjean Ducharme. Nous sommes fortement inspirés par la thématique de la non-abdication et du plaisir à tout prix. On partage certainement cette affinité artistique.
Artichaut : La pièce avait en effet déjà été montée à Ste-Hyacinthe au mois de décembre 2010 avec les finissants de théâtre de l’école. Est-ce que les comédiens ont changé? La mise en scène a-t-elle changé?
F.D. : Ils sont presque tous là. Tous les gars jouent Milles Mille et toutes les filles jouent Chateaugué. Ils sont tous en même temps le même personnage, pour permettre de multiplier la voix et de déconstruire le temps. Ça me permet de les faire vivre en simultané plein de choses. Oui, on a changé des affaires, car au Cégep on n’avait pas de frais de main-d’œuvre. Maintenant, puisqu’on est une jeune compagnie, on n’a pas les mêmes moyens, le décor est plus petit, mais l’essentiel reste là.
Artichaut : Pourquoi la remonter une deuxième fois?
F.D. : C’est la gang. On a tripé en la faisant, en la montant. Et c’est eux qui, en sortant du spectacle, m’avaient dit qu’ils voulaient la reprendre. C’est plus eux. Mais, je ne me suis pas fait prier.
Artichaut : Vous avez monté plusieurs pièces de Ducharme ( Ha ha, Le Cid magané, Ines Péré et Inat Tendu). Qu’est-ce qui vous attire dans le travail de Ducharme?
F.D. : C’est un amour d’adolescence qui nous marque à jamais. Quand on a 17 ans, on lit L’avalée des avalés et on comprend qu’on peut envisager le monde autrement de ce qu’on voit à la télé ou dans les revues. Être différent. Ne pas nécessairement vouloir être beau, parfait, avoir des REER et avoir une super belle retraite. Il y a quelque chose qui fait que ça fait partie de mes racines, de mes premiers élans fondamentaux. Il m’inspire une manière de faire du théâtre et me donne une raison de faire ce métier-là. Ce qui fait que pour moi, il y a toujours quelque chose de jouissif dans cet aspect de la jeunesse, cette énergie combattante. Ducharme, c’est comme un rappel à la vie et évidemment, son regard et sa manière de présenter sa vision de ce qu’il a. Les mots pour dire les choses, il n’y a personne comme Réjean Ducharme qui les trouve, qui les dit. C’est donc vraiment un amour profond. Ça donne l’impression que l’on peut vivre d’une autre manière, tout comme mes mises en scène l’expriment.
Artichaut : Est-ce qu’on pourrait s’attendre à de l’écriture bientôt?
F.D. : J’aimerais ça écrire, sauf que j’ai encore beaucoup de pudeur. Par contre, le prochain spectacle de la compagnie va être une création collective en collaboration avec le Théâtre Expérimental de Montréal. Et c’est nous qui écrivons l’histoire. C’est sûr que je vais mettre la main à la plume, mais pas tout seul. Ça n’empêche pas que j’écris beaucoup même si je suis très secret par rapport à ça. Ça va encore attendre.
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À quelle heure on meurt?, collage de Martin Faucher, présenté à la salle Fred-Barry au Théâtre Denise-Pelletier, du 13 mars au 30 mars 2013. M.E.S. Frédéric Dubois.
Article par Jennifer Pelletier. Étudiante en communication et politique. Amatrice de théâtre.