Dans le cadre de sa série sur les évènements culturels, L’Artichaut est allé assister à une lecture publique où le partage est à l’avant-scène et où les comédiennes interprètent enfin leur propre rôle. Retour sur la soirée Chapitre 14 : Tu peux toujours rêver du collectif Les Intimistes.
Le collectif interculturel Les Intimistes, composé de huit autrices-interprètes, base sa pratique sur une interrogation en apparence candide : « si nous avions continué à écrire les passages de notre intimité après l’âge ingrat, qu’aurait l’air notre journal intime une fois adulte? ». Chaque mois, une thématique, un défi d’écriture est lancé afin de livrer de nouveaux textes, toujours autobiographiques, avec peut-être un peu de fiction « mais on vous dira pas où ».
La soirée s’est promenée dans plusieurs salles depuis 2017 – au bar Sporting Club, au café Chez l’Éditeur même au Resto Végo, et sa quatorzième édition se tenait à La petite marche, un « restaurant bistro-bar franco-italien ». En d’autres mots, tout le contraire de l’ambiance tamisée et embrumée de beaucoup de bars qui offrent des soirées de lecture – un micro au fond de la salle, une atmosphère familiale et des serveuses qui passent sur une base régulière demander s’il y a assez de parmesan (la réponse est rarement non, avouons-le).
Ce mois-ci, c’était autour de la thématique du rêve qu’allaient s’articuler les quatre récits du chapitre. Il y avait quelque chose d’un peu étrange à écouter des inconnues partager leur intimité au micro alors que les gens des tables situées au fond du restaurant trinquaient et discutaient, mais cela rendait aussi le tout bon enfant, décontracté. Audrey Lavigne nous a proposé « Pas de puce, pas de punaise », un texte qui s’ancrait dans l’époque où elle avait tous les items glow in the dark disponibles sur le marché de l’enfance. Le récit débouchait ensuite sur ses insomnies, ses nuits peuplées de cauchemars et sur la peur que finalement, ce serait peut-être les insomnies qui la tueraient prématurément.
La thématique du rêve a semblé ouvrir grand la porte à l’enfance et à la désillusion de l’âge adulte. Par exemple, dans « J’y crois encore », Sandrine Quynh nous avouait qu’enfant, ses deux plus grands rêves de vie d’adulte étaient de devenir une grande actrice et une maman. Par conséquent, elle était maintenant remplaçante en service de garde et comédienne pour faire des « petits rôles de française chiante ».
Nous avons ensuite eu droit à un intermède délicieux, comme un petit sorbet : une lecture commune où elles énonçaient la liste de leurs rêves les plus fous, allant du classique « marier Leonardo DiCaprio » à « chier des pépites d’or ».
Patricia Rivas, avec « Apprendre à découper parfaitement les contours », a poursuivi l’exploration des désillusions d’une carrière en théâtre, en se présentant comme une enfant qu’on traitait de laide et qui « avait pris l’habitude de tripper sur les meilleurs de la classe chaque année » (faute de l’être), elle à qui on avait fait croire que les acteu·r·ice·s pouvait incarner n’importe quoi. Durant ses études en théâtre, on lui fait d’abord jouer un rôle de femme séduisante, puis un autre… et encore un autre. Elle arrivera dans son cours d’improvisation théâtrale et voudra être « Steve », se donner le droit d’incarner quelque chose de réellement différent pour elle, ce qu’on lui reprochera. Désillusions, disions-nous? Sa parole est forte : « Je veux pas devenir la fille dont ils rêvent, je peux pas, je suis venue ici pour être autre chose… je peux pas être une roche? Un ruisseau? » En abordant la question du male gaze, celle de la projection d’idéaux féminins et du manque de diversité dans les rôles, sa lecture venait, avec sensibilité, se frotter à des enjeux qui l’ont personnellement atteinte.
Enfin, dans « Tout ce qui scintille », Laurence A. Perreault nous racontait avec douceur et sensibilité sa première histoire d’amour, lorsqu’elle avait trois ans et qu’elle a rencontré sa belle-mère, « son parent préféré », suivi du récit d’une scission : d’un côté un père toxicomane et de l’autre, en présence de sa belle-mère où il devient « un père le fun ». Paysage éloigné de celui du rêve, où l’on espère une sécurité toute simple : « au fond, mon plus grand rêve, c’est d’avoir des parents adéquats. »
Il y a une force particulière dans la formule de la soirée, qui donne le droit aux comédiennes d’adopter un ton de stand up sans toutefois devoir nous faire rire à tout prix. Qui dit que oui, on peut jouer professionnellement, mais qu’on peut aussi jouer son propre rôle, . Ce soir-là, quatre femmes dans la trentaine nous ont ouvert la porte, tendu des perches et sont allées jusqu’à nous faire écrire sur de petits bouts de papiers les rêves auxquels nous avons renoncés, pour en fin de spectacle nous les lire ponctués de petits coups de bec comme « ben crime messemble qu’il est pas trop tard, pour celui-là » et « ben là enweye » (sauf concernant « me pendre sur la lune », pour celui-là, il n’y a pas eu d’encouragements).
Le collectif Les Intimistes présentera de nouveaux textes regroupés sous le titre Sans dessous à l’occasion du Festivulve 2, le 8 juin à 20h au Centre De Loisirs Communautaires Lajeunesse (7379 Lajeunesse).
Instagram : @lesintimistes
Facebook : Les Intimistes
Site : www.lesintimistes.weebly.com