Femmes de mots et de chair. Volcaniques: une anthologie du plaisir sous la direction de Léonora Miano

L’année dernière paraissait chez Mémoire d’encrier un recueil de littérature érotique dirigé par l’écrivaine Léonora Miano. Intitulé Première nuit: une…
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L’année dernière paraissait chez Mémoire d’encrier un recueil de littérature érotique dirigé par l’écrivaine Léonora Miano. Intitulé Première nuit: une anthologie du désir, cet ouvrage mettait à l’honneur dix écrivains des mondes noirs et souhaitait célébrer la positivité de corps ayant subi la dépossession et la domination coloniales. Volcaniques: une anthologie du plaisir est le deuxième volet de cette démarche, toujours publié chez Mémoire d’encrier. Léonora Miano a cette fois-ci convié douze femmes, leur demandant d’explorer le plaisir féminin: corps, sensualité et sexualité.

Volcaniques: une anthologie du plaisir

Être une femme noire c’est se retrouver tout en bas d’une échelle de domination. Deux fois discriminée, elle subira une double oppression. Mais d’oppression il n’est nullement question dans ce livre-ci, bien au contraire. Léonora Miano, qu’on connait pour son discours militant et sa farouche exploration de la question afro-descendante, se saisit du plaisir féminin comme elle explore l’esclavage dans La saison de l’ombre: en replaçant l’individu et son humanité au cœur du sujet. Non plus objet de fantasme exotique ou corps marchandise, les auteures qui composent cette anthologie sont avant tout des créatrices joueuses et inventives qui explorent l’érotisme et le célèbrent dans toutes ses nuances.

12 écrivaines, 12 nouvelles, chacune menée par une narratrice. C’est ainsi la parole féminine qui prévaut. Ces femmes aiment, découvrent, mais surtout jouissent. Et elles jouissent parce qu’elles le veulent, selon des gestes et mots qui leur sont propres. Les mots sont choisis, la langue est souvent belle, tantôt crue, tantôt lyrique. La plupart des femmes rassemblées ici sont des auteures confirmées, et si c’est parfois l’effet escompté, on comprend à la lecture de Volcaniques qu’il est plutôt question d’explorer le plaisir féminin que de produire un contenu excitant.

Adolescente, octogénaire, cœur brisé, femme adultère, hétérosexuelle, lesbienne, les personnages sont multiples. Des premiers émois aux derniers souvenirs c’est une sensualité plurielle qui est mise en scène.

«J’appris avec lenteur, quelques fois dans la frustration, que certains mots faisaient grimper le plaisir dans la tête trop vite, une drogue trop forte, provoquant ensuite une vague nausée suivie d’un certain empressement à passer à autre chose. D’autres, plus subtils, vous emportaient telle une marée. Au début tout semble trop lent, puis, d’un coup, l’on est submergé, presque pris au dépourvu par la montée des eaux pourtant attendues1

Nafissatou Dia Diouf («Maître ès») s’aventure dans des terrains animistes en jouant avec l’érotisme nocturne et celui du monde éveillé. Fabienne Kanor («Rayon hommes») met en scène avec un cynisme jubilatoire une femme de la haute société qui croque les hommes à chacun de ses déplacements tandis que son mari pataud fait mine de ne rien voir et de ne s’intéresser qu’aux cravates qu’elle lui rapporte à chaque retour. Blessée, comme l’héroïne de la nouvelle de Léonora Miano («Full cleansing. La quête de Kweli») qui fût violée dans son enfance, ou jouisseuse comme la rayonnante Bahia, dont l’auteure Axelle Jah Njiké («Païenne») signe la première nouvelle, les femmes de Volcaniques entretiennent des rapports à la sexualité et à leur corps variés et animés par des motivations diverses. Certaines cherchent à guérir d’un chagrin d’amour tandis que d’autres s’émancipent d’une norme sclérosante, et enfin certaines font l’amour pour atteindre l’orgasme, tout simplement.

Alors que l’anthologie précédente rassemblait des textes qui, pour la plupart, privilégiaient un méta-discours sexuel plus que l’évocation du sexe lui-même, les écrivaines n’ont ici pas froid aux yeux. Beaucoup plus que dans Première Nuit l’écriture est charnelle, décomplexée, et souvent profondément joyeuse.

Les textes se teintent parfois de provocation, la provocation de la femme nue et qui regarde celui ou celle qui la désire droit dans les yeux. Il ne s’agit pas d’exhibition vaine et volontairement choquante mais d’une intention émancipatrice. Elle réside dans l’idée même de faire écrire des femmes noires sur le plaisir. En leur remettant les clefs de la chambre sans leur donner d’autres contraintes que celle d’écrire à partir du mot « Volcaniques », Léonora Miano leur offre la possibilité de se positionner comme bon leur semble face à un horizon d’attente.

Les auteures peuvent alors défaire les clichés. Il est impossible ici de ne pas penser à celui, sur-investi, de la femme noire hypersexuée que les féministes noires contemporaines s’affairent à démonter. Volcaniques y participe en proposant différentes façons de vivre la relation au corps, à soi, à l’autre. Elle pluralise l’expérience sexuelle, allant donc contre un stéréotype englobant.

«Oui, elle était une païenne, si cela voulait dire qu’elle était faite pour l’amour, qu’un cœur lui battait aussi dans la chatte, que son corps était un temple, une cathédrale où venaient vibrer les sons, les souffles, les trompettes de sa jouissance. Mais Dieu que c’était bon! Cette fougue inouïe en elle qui ne demandait qu’à sortir, à jaillir! Cette chair qui palpitait, désirait avec ferveur, en disant oui au monde, à l’univers! Ce plaisir tout à la fois déroutant, impulsif, tellurique et cosmique qui l’emplissait chaque fois de gratitude. Si c’était cela être une femme dans la sexualité, alors oui, elle était païenne2

Profondément féminin, et parfois frontalement féministe, Volcaniques pouvait dérouter par son ambition: rassembler uniquement des femmes issues des mondes noirs, n’était-ce pas revendiquer une différence dans le corps et donc flirter avec l’eugénisme? Mais parce que les textes évoquent des femmes variées et des plaisirs distincts, c’est l’inverse qui se produit: elles sont humaines dans leur sexualité.

  1. Hemley Boum, «Le dealer», dans Volcaniques, Montréal, Mémoire d’encrier, p. 14-15.
  1. Axelle Jah Njiké, «Païenne», dans Volcaniques, Montréal, Mémoire d’encrier, p. 205.

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Volcaniques: une anthologie du plaisir, recueil de nouvelles donnant toute la place à des voix féminines et assumées, est paru chez Mémoire d’encrier. Il fait suite à Première nuit: une anthologie du désir, paru en 2014 chez le même éditeur.

Article par Alice Lefilleul – Doctorante en littérature Comparée. Chroniqueuse culturelle chez Touki Montréal.

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