Festival décontracté et convivial, le SPASM donne une place au cinéma de genre, dit « insolite », depuis 2002. D’abord une soirée de courts-métrages d’horreur — d’où ce spasme d’horreur qui lui a donné son nom — le SPASM compte désormais huit soirées (incluant la projection de préouverture de Retour vers le futur III, le party d’Halloween et la collaboration avec le collectif Total Crap). Bière et maïs soufflé à la main, le public se rassemble pour des programmes doubles hétéroclites: science-fiction et inclassables, détraqués et cabaret sexe, inclassables et cabaret trash, grande soirée d’horreur et Evil Dead. Si l’accent est mis sur les courts-métrages québécois et francophones, les films d’ailleurs font également partie de la programmation depuis 2010. Pour sa quinzième édition, le SPASM a encore une fois permis à des films hors-norme d’être présentés en rafale au grand public.
Science-fiction
Les effets spéciaux étaient à l’honneur lors de la soirée science-fiction, une tradition depuis la deuxième édition du festival. Les neuf courts-métrages mettaient en scène le rapport entre l’humain et la technologie, à travers des explorations spatiales (Traveler, Titan, Recursion, Iron Mountain, They Will All Die in Space) ou sous-marines (Ocean Oddity). Avec humour ou sérieux, cette série de courts-métrages imaginait des avenirs technocrates dans lesquels se cristallisent les angoisses et les désirs de nos sociétés en transformation.
Ainsi, le film Lisière, de Simon Saulnier, présentait un état de crise écologique, imaginant les conséquences des politiques capitalistes et environnementalistes actuelles. Réfugiée dans une forêt où règne l’anarchie, la jeune protagoniste part à la poursuite de ceux qui ont dérobé sa nourriture et atteint la lisière de cette forêt. Devant elle s’étend un paysage noir de gratte-ciels et de pollution, un monde où toute nature a été évacuée au nom du développement et de la productivité. Au contraire, dans Titan, d’Alvaro Gonzalez, c’était plutôt l’exploration spatiale et les désirs colonisateurs de l’humain qui étaient explorés. Le film suit Orpheus, un astronaute au destin tragique, à la recherche de vie sur la plus grosse lune de Saturne, Titan. Le film explore les motivations intimes d’Orpheus à participer à cette mission. Proposant une relecture en mode sci-fi du mythe d’Orphée, le film exemplifie la vacuité des destins individuels devant la puissance de la vie.
Le plus intéressant court-métrage de la série était sans doute Uncanny Valley, de Frederico Heller, qui a, justement, remporté le prix du public et le prix du jury pour la meilleure scénarisation. Dans ce film, la réalité virtuelle est devenue une véritable drogue: dans un squat, des accros témoignent de ce qu’ils ressentent dans cet autre monde qui leur permet de satisfaire des pulsions violentes de meurtre. Toutefois, lorsqu’un problème de connexion défait la virtualité de ce monde, un des joueurs réalise que ce qu’il croyait être une fiction est en fait une vraie guerre, que ces robots noirs sont en réalité des civils que les autres joueurs et lui massacrent. Uncanny Valley propose en neuf minutes une réflexion en profondeur sur les dangers de l’instrumentalisation de la réalité virtuelle à des fins politiques et, plus largement, sur la banalisation de la violence dans les jeux en ligne et les films. Parfaitement ficelé, le court-métrage de Heller mérite sans conteste ses deux prix.

Inclassables #1
La soirée « Inclassables #1 » regroupe les films qui échappent à la classification générique traditionnelle. Le meilleur exemple est le film québécois La Voce, de David Uloth, prix du jury pour le meilleur film, qui est un film fantaisiste d’opéra où les émotions des personnages sont démesurées. Travaillant dans un abattoir de cochons, Edgar aime chanter l’opéra et vénère Ginette, une danseuse nue. Cependant, lorsqu’il la surprend avec un autre, Edgar perd la voix et se retrouve avec celle d’un cochon. Film au style marqué, La Voce accentue les effets réalistes, comme les scènes d’abattage, pour contraster avec l’exagération de l’histoire et des émotions des personnages. Il s’agit d’un court-métrage peu commun, notamment par la difficulté technique de la réalisation (plusieurs scènes avec des animaux, des effets de lentilles, des effets visuels, des plans de grue, etc.) et par les effets de montage qui accentuent dramatiquement l’histoire déjantée. Décidément inclassable, La Voce surprend et détonne dans un paysage cinématographique qui privilégie une mise en scène réaliste.

Inclassable # 2
La catégorie « Inclassables #2» permet en effet au festival d’étendre la variété de ses programmations et offre un répit des autres soirées plus haut en couleur. Dans cette seconde sélection d’inclassables, on y retrouvait un thème récurrent d’individus ou de petites communautés qui vivent dans la marge et dont l’isolation paisible est menacée par divers éléments de notre monde (In the Distance, Oripeaux, Leshy et POOL). Sans films québécois, ce bloc de courts-métrages comprenait toutefois une grande variété européenne (Allemagne, France, Espagne, République tchèque).
Mr. X (J. A. Moreno) et POOL (Benjamin Lussier) étaient remarquables pour ce qui est de leur maitrise. Tandis que Mr. X n’était que récit, POOL mettait plutôt en valeur l’ambiance et l’énergie, deux façons de faire très gratifiantes lorsque réussies. Benjamin Lussier arrive à créer un court-métrage dynamique et propulsif qui parle pourtant de solitude et d’anxiété sociale à travers Willem, un homme souffrant d’anxiété sociale qui erre et commente le monde autour de lui sans jamais trop s’y engager pleinement. Cet intéressant mélange mérite mention, d’autant plus que nous parlons du seul court-métrage canadien de la soirée.
Les films d’animation se distinguaient à travers l’utilisation de leurs styles spécifiques pour construire des univers bien distincts, créant les deux films les plus marquants de cette soirée. In the Distance (Florian Grolig) raconte l’histoire d’un homme qui vit tout en haut d’une tour, au-dessus des nuages. La guerre, même distante, vient déranger son existence paisible, et s’approche au point de devenir invasive et de corrompre le protagoniste aux intentions nobles, mais égocentriques. Sans dialogues ou mouvements de caméra, le court utilise uniquement des ellipses dans son unique plan large pour nous faire vivre le quotidien de cet ermite, laissant son propos et son style d’animation nous faire réagir.
Aussi sans dialogues, Oripeaux (Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu) concerne une communauté en conflit avec son environnement. Habitant en lisière d’une forêt, les villageois ont développé une haine des coyotes qui habitent les bois environnants. La haine est ancrée si profondément qu’ils n’hésiteront pas à tuer à vue. Lorsqu’une jeune fille se lie d’amitié avec les animaux, son père est loin de bien prendre la nouvelle et en exécute plusieurs. Considérant la manigance de la protagoniste par la suite, il est difficile de ne pas faire de comparaison avec la jeunesse queer et la difficulté du coming-out, surtout en village isolé.

Cabaret Trash
Après la tranquille et contemplative (comparativement au reste de SPASM) programmation « Inclassables », le Cabaret Trash nous amène en tout autre territoire avec des courts-métrages qui vont dans tous les sens. La programmation incluait évidemment ce à quoi l’on doit s’attendre de ce genre de soirée : des films qui misent surtout sur le choc visuel de violences ou de sexualités (Fuckers vs Aliens, Crow Hand!!!, Punk Fu Zombie et Gwilliam) ou qui ne sont constitués que de nostalgie et d’iconographie (Kickin’ Jack). Malgré ce lot de courts plus standards, il y avait beaucoup de belles surprises au sein de cette programmation, surtout parmi les québécois. Une rapide mention doit être faite du film de clôture, Manoman (Simon Cartwright), une expérience déjantée comme il s’en fait peu, surtout avec le style d’animation en volumes qui ajoute une texture supplémentaire encore plus déstabilisante.
Jonny c’est un cave (Alexandre Savard et Samuel Boisvert) et Camping cosmique (Jimmy G. Pettigrew et François Mercier) semblaient très prévisible sur papier, mais la réalisation et la passion mises dans ces films qui cherchent à se réapproprier des sous-genres du cinéma américain à la saveur québécoise furent un point fort de cette soirée. Souvent, lorsque les cinéastes cherchent à faire du rétro, ils se perdent dans l’hommage et n’arrivent pas à être autre chose qu’une pâle copie du cinéma qu’ils admirent et imitent. Jonny c’est un cave raconte pourtant une histoire cocasse autour de son hommage aux films d’action et, autant en ce qui a trait au langage qu’à l’environnement, ne pourrait se passer ailleurs qu’au Québec. Camping cosmique était un délire total, refaisant un Spaceballs avec des icônes plus locales, où l’enthousiasme des effets spéciaux ne visait pourtant pas plus haut que leurs moyens.
Au cours de cette soirée (et probablement de tout le festival), le coup de cœur d’Olivier fut Michaël Desbiens-Clayton : Candidat VJ Recherché 2016 (Charles-Alex Durand, Jonathan Larose et Philippe Morel), le meilleur film style « found-footage » qu’il lui ait été donné de voir, court ou long métrage. Une prémisse si simple – l’enregistrement d’une candidature pour l’émission de Musique Plus – poussée jusqu’au bout, avec en son centre un homme si difficile à saisir. Le film mérite une mention honorable simplement pour la performance de l’acteur principal, Charles-Alex Durand. Son jeu est d’un naturel fulgurant et, dès que l’on croit avoir saisi ce personnage, il nous surprend avec une couche de profondeur inattendue. Dès les premières minutes, sa posture et sa façon d’être laissent sous-entendre quelque chose de louche, et c’est avec beaucoup de subtilité dans son langage et ses maniérismes qu’il construit en moins de vingt minutes un personnage complet. Le scénario s’amuse ensuite à jouer sur cette ligne entre la comédie et l’horreur en nous coinçant avec cet individu de plus en plus instable. Le court-métrage est disponible en ligne.

Le Cabaret sexe
Après la programmation des Détraqués, qui met de l’avant une série de films troublants, et où la tension était à son comble, le Cabaret sexe dénoue les muscles et fait retomber les épaules qui, parfois, se soulèvent en secousses provoquées par le rire. Alternant entre des courts-métrages qui abordent de biais ou de front la question de la sexualité et des performances de drag queen, cette soirée au mythique Café Cléopâtre a fait salle comble. La plupart des films de cette série sensuelle proviennent de projets Kino kabaret : lors de ces laboratoires expérimentaux de création, les équipes disposent d’un temps restreint (72 h à 5 jours) pour réaliser un court-métrage. Les films Rosa, de Jean Vital Joliat (première nord-américaine au SPASM), et Finger Night, de Mara Joly, proviennent de ces expérimentations. Le film Rosa s’ouvre sur la phrase de Georges Sand: “Il n’y a rien d’impossible quand on s’aime.” Explorant la question de la sexualité d’une femme âgée, c’est le jeu de la magnifique Jeanne Ostiguy qui donne au film sa profondeur. Le personnage de Rosa assume sa sexualité et exprime son désir d’être touchée et caressée, et la beauté de ce film réside justement dans la reconnaissance du désir de l’homme plus jeune pour la femme âgée. Les réactions du public, rires nerveux et expressions de dédain, prouvent que la sexualité des personnes âgées est encore un sujet tabou, et c’est en ce sens que le film Rosa constitue une étape vers le dialogue et l’acceptation.
Dans Finger Night, tout est ramené au registre d’une main. Une main d’homme trouve un match sur l’application Finger, et voilà qu’une main de femme arrive chez lui et que les rapports sexuels s’ensuivent. Ridiculisant les nouveaux modes de sociabilité que les applications de rencontre ont fait émerger, Finger Night joue habilement avec l’humour pour illustrer la superficialité des rapports entre les (hu)mains.
Un autre film mérite d’être mentionné pour sa qualité visuelle et l’originalité de son sujet; le moyen-métrage québécois La Peau sauvage, d’Ariane Louis-Seize. Dans ce film, la silencieuse protagoniste qui vit au-dessus d’une discothèque découvre un python dans sa ventilation et l’adopte. Tandis que le serpent mue et devient de plus en plus gros, la nature reprend le dessus sur l’appartement. Une sorte de jungle envahit l’espace et des rêves sensuels impliquant le python habitent les nuits de la femme. Le film inverse le mythe de la Genèse; la femme séduit un homme qu’elle ramène chez elle en offrande au serpent puis, au matin, elle entre dans la jungle, et retourne à la nature et à la pureté.

Grande soirée d’horreur
Prenant place au Club Soda, la soirée de l’horreur a plus une ambiance de spectacle rock ou métal que de projection, avec des hôtes déguisés, une table remplie d’accessoires d’Evil Dead trônant devant la scène et un animateur de soirée au maquillage de Freddy fait par le maquilleur professionnel Rémi Couture (poursuivi en justice il y a quelques années pour ses effets trop réussis). L’atmosphère réchauffe la foule pour réaction maximale aux films d’horreur construits justement pour jouer sur nos nerfs.
Dans le monde de l’horreur, puisque nous avons souvent affaire à du surnaturel, les courts-métrages doivent souvent construire leur propre mythologie interne. Pour ce faire, leur utilisation de raccourcis peut soit être paresseuse ou faire confiance en son public. Avec des courts-métrages qui comptaient sur notre intelligence et notre connaissance du genre, la grande soirée d’horreur a offert une programmation d’une qualité considérable et constante.
Les courts-métrages québécois étaient encore une fois en grande forme, avec The Babysitter (Frédéric Chalté), La fracture (Olaf Svenson) et No Tommorrow (RKSS). Le premier, un film de fin d’études, démontrait une compréhension de la ligne entre fétiche du rétro et création originale, utilisant une esthétique pour les biens de son récit sans se limiter à un hommage vide et insignifiant. La fracture réinvente The Texas Chainsaw Massacre en 8 minutes dans l’isolation de la forêt québécoise, avec une maîtrise et une efficacité digne des meilleurs courts. No Tommorrow fut une agréable surprise, considérant la qualité discutable du long métrage auquel il est associé. Ce vidéo-clip dans l’univers de Turbo Kid corrigeait beaucoup des problèmes du film, créant quelque chose de beaucoup plus original que leur hommage gore de 90 minutes. Il devient de plus en plus clair que le monde de RKSS est plus efficace sous forme de courts-métrages.
La soirée présentait aussi deux films portugais de Jeronimo Rocha, qui préférait miser sur l’ambiance sonore que sur des dialogues et qui réussit son pari avec brio. Arcana et Dédalo mettaient aussi en vedette deux femmes, une sorcière et une astronaute, respectivement, qui tentent de se sortir d’une contrainte qui met leurs vies en danger. Arcana était à 75 % constitué de sons déplaisants pour mettre les nerfs à vif, et il est rafraîchissant de voir un cinéaste comprendre le pouvoir du son dans l’horreur. Cette sorcière coincée dans un cercle de sel doit se débrouiller avec les moyens du bord pour se défaire de sa prison et, sans que rien nous soit expliqué, le scénario rudimentaire nous permet de nous laisser emporter par l’ambiance dérangeante et tendue. De son côté, Dédalo se veut plus un hommage à Alien, de Ridley Scott, avec la dernière survivante d’une infestation extra-terrestre qui doit lutter pour sa survie. Le synopsis en révèle plus que le film sur la situation, mais cela n’empêche pas pour autant le court d’être efficace, avec une exécution qui met les enjeux en place avec clarté.

Les 15 ans de SPASM furent la première expérience du festival pour les deux collaborateur.trice.s et ne sera surement pas la dernière. Décontracté et sans prétention, le festival se démarque des autres événements cinématographiques à Montréal en n’étant pas synonyme de surcharge et d’épuisement. Aussi plaisants que soient les nombreux festivals de films montréalais, il est facile de s’y perdre et d’être dépassé par le nombre de films à voir. Avec un nombre de soirées limité, SPASM permet donc de voir beaucoup de films en très peu de temps, sans sentir qu’on doit y dédier toute sa semaine. Avec une programmation excitante et diversifiée, il garde quand même la qualité de tout bon festival : un sens de la découverte et de l’aventure qui nous prend au dépourvu et nous montre des bijoux de films que nous n’aurions jamais eu la chance de voir autrement.
Le festival SPASM a été couvert par Olivier Maltais et Soline Asselin.
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Le festival SPASM avait lieux du 20 au 29 octobre et sera de retour l’an prochain.
Article par Soline Asselin.