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17-04-2025 Vol 19

Un immortel au paradis. Heaven Adores You de Nickolas Rossi

Pour la mémoire populaire, Elliott Smith est ce chanteur visiblement mal à l’aise dans son costard blanc, les cheveux gras, précédant Céline Dion lors de la cérémonie des Oscars de 1998. Heaven Adores You retrace le parcours du charmant imposteur.

Octobre 2003, c’est toute la planète musicale indie qui reçoit deux coups de poignard dans le ventre à l’annonce de la mort tragique d’Elliott Smith, une des figures les plus marquantes de la scène folk-rock américaine des dernières années. Onze ans plus tard, Nickolas Rossi revient sur la carrière de cet artiste culte avec son documentaire Heaven Adores You, présenté en première montréalaise dans le cadre du Festival du nouveau cinéma.

Crédit photographique: Heaven Adores You

Pour les fans du chanteur tourmenté, l’appréhension était vive par rapport au projet, puisque les risques que le long-métrage s’attarde davantage aux aspects trashs et racoleurs de sa vie (tels que sa consommation excessive de drogues et les circonstances nébuleuses de sa mort) étaient bien réels. Leurs inquiétudes se dissipent cependant rapidement, car le documentaire est plutôt un hommage et une célébration de l’œuvre du musicien, privilégiant une approche très sobre – peut-être trop – et respectueuse. Qu’on se le tienne pour dit, la sobriété est de mise lorsque l’on traite d’un sujet aussi délicat, mais le résultat ne doit pas non plus être trop terne.

Et c’est là que repose le problème principal du film, c’est-à-dire dans sa forme. En voulant se concentrer presque exclusivement sur l’héritage musical d’Elliott Smith et devant négocier avec une banque d’extraits vidéo et d’images d’archives restreinte, Nickolas Rossi accouche d’un produit un brin austère. Les images en noir et blanc de ruelles délabrées, d’échangeurs d’autoroutes, de murs barbouillés de graffitis et d’immeubles grisâtres se succèdent et se confondent, et finissent par toutes se ressembler. Le réalisateur voulait intégrer les trois ports d’attache du chanteur: Portland, sa ville d’adoption où tout a commencé, New York, la ville de transition, tant au niveau personnel que professionnel, et finalement Los Angeles, où il aura été au plus haut comme au plus bas. Mais en présentant ces villes comme des personnages à part entière, multipliant les images de décors urbains froids et sans vie, Rossi s’éloigne du sujet principal, c’est-à-dire l’artiste même.

Cette distance que le réalisateur établit par rapport à la vie personnelle de l’auteur-compositeur-interprète est évidemment un choix scénaristique, mais le résultat est que le spectateur en apprend finalement assez peu sur l’homme lui-même, particulièrement les fans qui ont suivi de près sa carrière. Nullement nécessaire de passer à la loupe les détails concernant ses addictions, ses démons intérieurs et ses frasques, mais il est tout de même essentiel de comprendre les raisons qui ont poussé Elliott Smith vers une fin aussi tragique, ne serait-ce que pour envisager son œuvre sous un angle différent. Le film n’offre malheureusement aucune réponse à nos questions, ce qui peut être relativement décevant pour les initiés et les admirateurs de longue date du guitariste.

Quelques belles trouvailles ponctuent tout de même Heaven Adores You, comme les extraits du document vidéo (la tv session) réalisé par nul autre que Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood, Magnolia), dans laquelle on voit Elliott dans un studio, accompagné par deux autres musiciens, interpréter quelques titres qui figurent sur ses derniers albums. On retrouve également des bandes-vidéo de tournées, de concerts intimes, de bribes de cette vie d’anti-rockstar que menait le chanteur à la voix tristement douce. Toutes les entrevues réalisées auprès de ses amis musiciens, de membres de sa famille, de collègues de travail, bref, de gens qui l’ont côtoyé de près, sont également intéressantes mais surtout, rapprochent le spectateur un peu plus du défunt musicien. Dommage que le documentaire ne soit pas suffisamment étoffé de ce type de ressources.

Ce que l’on retient surtout du film de Nickolas Rossi, c’est la sensibilité maladive de l’artiste, cette vulnérabilité avec laquelle il devait affronter la célébrité, son talent brut, l’influence indéniable que sa musique a eu et continue d’avoir sur toute une génération de musiciens, et bien sûr, son incomparable et si touchante simplicité. Si Heaven Adores You ne passera certainement pas à l’histoire des grands documentaires musicaux, les mélodies d’Elliott Smith traverseront le temps sans l’ombre d’une ride.

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Heaven Adores You de Nickolas Rossi. 2014. 104 min.

Article par Gabriel Parent Jutras.

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