Le musée et le curieux

Vague de chaleur à Montréal. On aurait tous aimé que ça dure un peu plus si on n’avait pas été…
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Vague de chaleur à Montréal. On aurait tous aimé que ça dure un peu plus si on n’avait pas été aussi inquiets de voir l’été se pointer en plein milieu du mois de mars. Semble-t-il que cette fois, c’est vrai, il faudra vraiment attendre pour voir les gougounes réapparaître. Heureusement, grâce au pouvoir de la nostalgie, je peux quand même me remémorer ce matin où j’ai enfourché mon vélo sous le soleil cuisant pour aller rencontrer le cinéaste Luc Bourdon, en plein cœur du Mile-End, au Fabergé. Je venais tout juste de voir son plus récent film, Un musée dans la ville. Pas question, donc, de rater l’opportunité d’entendre ce qu’il avait à dire sur son œuvre.

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Un musée dans la ville raconte les 150 ans d’histoire du Musée des Beaux arts de Montréal en une cinquantaine de minutes. Documentaire peu bavard, sans commentaires ou narration, il laisse plutôt parler les artisans de l’institution. Contemplatif, il laisse le spectateur admirer la beauté de l’endroit, au son de la musique, sans trop l’assommer de détails inutiles. En ressort un portrait éclairant sur chaque facette du musée et de son fonctionnement. Même quelqu’un qui fréquente très peu les musées peut facilement y trouver son compte. Ne serait-ce que pour comprendre les rouages complexes qui se trouvent derrière. La portion sur l’architecture des différents pavillons construits au fil du temps est particulièrement instructive, révélant leur caractère unique. On assiste à quelques petits miracles, une ancienne église soulevée pour en faire une salle de concert moderne, entre autres. Peu à peu, les coulisses de ce musée que Luc Bourdon qualifie « d’aussi sécuritaires qu’une banque » s’ouvrent à nous. Réunion d’acquisition d’une œuvre d’art, techniques de conservation, design d’expositions, presque tout y est. Sans être réellement adepte d’art visuel, il se pourrait bien que, comme moi, vous ayez envie de faire un détour par le Musée des beaux arts de Montréal.

Dit comme ça, ça sonne presque comme une publicité gratuite pour le musée. Le documentaire aussi, parfois, donne cette impression d’œuvre de commande. Il n’en est pourtant rien, même si Luc Bourdon a déjà fait dans ce créneau. En effet, deux de ses plus récents films portant sur les institutions montréalaises, que sont le Conservatoire de musique et la Grande Bibliothèque, étaient des projets pour lesquels il avait été embauché comme réalisateur. « J’apprends toujours mon métier, je me propose des défis. Pour moi, il n’y a pas de différence entre une commande et un projet personnel. C’est même un privilège! » Je n’ai aucune difficulté à le croire en le voyant éclater de rire avant d’engloutir quelques patates à déjeuner. Décidément, Luc Bourdon est un cinéaste des plus humbles. Pourtant, lorsque je lui demande s’il se perçoit comme un chantre du milieu artistique montréalais, il rejette rapidement l’hypothèse. « J’aime et je déteste Montréal. Il reste que j’aime la montrer, rechercher des sujets qui vont me faire ressentir quelque chose. » La plupart du temps, ses émotions, Luc Bourdon les trouve dans l’art. Sa curiosité n’est jamais complètement assouvie. Il tripe fort sur les archives, sur l’histoire et si vous voulez lui faire plaisir, il suffit de l’enfermer dans un grenier inconnu. « Tu peux me laisser là une semaine, je vais être heureux », lance-t-il, le regard espiègle, sourire en coin.

Souvent, c’est un évènement fortuit qui suscite son intérêt. Par hasard, il tombe en amour, l’inspiration jaillit. « Des idées, on en a à toutes heures du jour, en mangeant un bagel, en se levant le matin. » Celle d’Un musée dans la ville, il l’a eu en visitant la salle de projection Maxwell du Musée des Beaux arts de Montréal. On le consultait sur l’exploitation de la salle. Pas étonnant, à regarder son parcours de projectionniste, de directeur technique, de programmateur et de directeur de festival de cinéma. Luc Bourdon, le curieux touche-à-tout. « En passant où le visiteur ne va pas, je me suis dit: moi, je vais faire un film. » Ça semble simple comme ça, mais ne faisait alors que débuter une phase de recherche, de financement et d’écriture de scénario. Le tournage s’est échelonné du printemps 2010 au printemps 2011 avec une équipe réduite. Pour la deuxième fois, l’Office national du film était derrière lui.

Avec les récentes coupes des amoureux de F-35, c’était peut-être la dernière. Raison de plus pour profiter une dernière fois du bon travail de l’institution? Je préfère penser au combat qui vient pour la sauver. Car qui d’autre que l’ONF nous ouvrira les coulisses d’un musée vieux de 150 ans? À voir les coupures en culture qui se succèdent, on peut même se demander s’il restera, après le règne d’Harper, un musée vieux de 150 ans et un curieux comme Luc Bourdon pour nous le révéler. Alors que le soleil brille et que je médite ces questions sur mon vélo, je regarde le printemps qui pointe à l’horizon et j’espère qu’il sera assez Érable pour que ce soit le cas.

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Un musée dans la ville peut être visionné à l’ONF.

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.