L’illustre physicien Stephen Hawking n’a jamais écrit de pièce de théâtre. Peut-être l’a-t-il parfois souhaité, en une forme de fantasme aussitôt réprimé. Peuplé de trous noirs, de matière sombre, d’étoiles distantes et de comètes fuyantes, son univers aurait pourtant un potentiel dramatique indéniable. Voilà le problème: les scientifiques n’expriment que très rarement ce qui les habite sous une forme quelconque d’art. Certains, comme le poète des nombres Daniel Tammet, arrivent à transmettre la beauté d’une formule mathématique aux pauvres profanes que nous sommes. Mais la plupart du temps, le potentiel artistique et philosophique contenu dans des recherches scientifiques de tous horizons reste perdu pour la majorité d’entre nous. C’est dans cette perspective qu’est venue à Geoffrey Gaquère l’idée de la pièce Le dénominateur commun. Le projet était simple, mais comme pour toutes les bonnes idées, il s’agissait d’y penser. En présentant des scientifiques à des auteurs dramatiques, on pourrait enfin entendre la science par l’entremise de l’art.
Et Geoffrey Gaquère ne s’est pas trompé puisqu’une lecture publique de la pièce a été présentée l’an dernier au Festival du Jamais Lu avant d’être finalement montée ces jours-ci à La Licorne. De ces rencontres fructueuses avec quatre savants [Jean-François Arguin (physicien des particules), François-Joseph Lapointe (généticien), Solange Lefebvre (théologienne) et Nicolas Lévesque (psychologue)], les dramaturges François Archambault et Emmanuelle Jimenez ont composé de savoureuses saynètes.
L’ensemble lorgne plutôt du côté du rire, composant une mosaïque de dialogues absurdes s’inspirant des grandes questions et des plus actuelles ébauches de réponses fournies par la science. Le résultat est assez drôle et plutôt bien esquissé même si l’entreprise eut certainement pu mener ces explorateurs un peu plus loin. Dans une scénographie dépouillée aux jeux de lumière surprenants, les saynètes s’enchaînent, inégales comme le sont les performances des comédiens. Benoît Dagenais et Maxim Gaudette étant impeccables dans chacune de leurs apparitions, le jeu de la section féminine n’en paraît que plus faible. En effet, là où Dagenais déchaîne le rire, en parfait contrôle, la voix posée et la mimique alerte, Muriel Dutil semble trop en faire, s’empêtrant. Il en va de même pour Johanne Haberlin, dont l’interprétation se montre forcée, là où Gaudette est d’un naturel confondant. Les choix musicaux et les environnements sonores soulignent à grands traits les différentes scènes, créant des ambiances plaquées, presque factices qui détournent le spectateur d’un texte qui aurait gagné à être mieux mis en valeur.
Il n’en demeure pas moins que l’on passe un bon moment, que ce soit à écouter deux mécaniciens discourir éloquemment de l’origine de la voiture ou encore à tâcher de régler l’épineux problème de la désuétude du fameux truc mnémotechnique permettant de nommer les planètes de notre système solaire. Comment remplacer le célébrissime «Mon-vieux-tu-m’as-jeté-sur-une-nouvelle-planète» maintenant que Pluton n’est plus une planète? L’angoisse face au cosmos, à la relativité du temps et à l’expansion de l’univers donne également lieu à quelques beaux monologues. Et de voir Benoît Dagenais dans le rôle d’un Dieu désabusé créant l’univers a quelque chose de particulièrement réjouissant, d’autant plus qu’il ne tardera pas à interpréter l’une de ces pauvres créatures cherchant un sens à sa vie et le trouvant dans la distribution de sa semence au plus grand nombre. Bref, rien ici qui changera notre vision du monde, mais de quoi bien rigoler. C’est déjà ça de pris.
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Le dénominateur commun de François Archambault et Emmanuelle Jimenez, présenté du 13 au 31 janvier 2015 (supplémentaire le 3 février) au Théâtre de La Licorne. M.E.S. Geoffrey Gaquère.