La loi de la jungle – Le royaume des Animaux au Quat’sous

Cet automne, on peut lire ceci sur les différentes plateformes publicitaires du Théâtre de Quat’sous : « On joue tous un rôle. Venez jouer le vôtre. » L’adage n’aurait pas pu être mieux honoré que par LA FABRIK, qui s’est approprié Le Royaume des Animaux, pièce écrite par Roland Schimmelpfennig dans une mise en scène d’Angela Konrad.
1 Min Read 0 67

Cet automne, on peut lire ceci sur les différentes plateformes publicitaires du Théâtre de Quat’sous : « On joue tous un rôle. Venez jouer le vôtre. » L’adage n’aurait pas pu être mieux honoré que par LA FABRIK, qui s’est approprié Le Royaume des Animaux, pièce écrite par Roland Schimmelpfennig dans une mise en scène d’Angela Konrad.

Crédit photographique: Yanick Macdonald

Mise en abyme du théâtre dans le théâtre, le spectacle nous jette à la gueule les perversités du showbusiness à travers une allégorie animalière où les vices du patronat sont évidents. La pièce nous introduit au Royaume des Animaux, musical joué par les personnages de la pièce. Oscillant entre l’enfantin et le grotesque, leur spectacle nous présente le zèbre, conciliant et respectueux, qui se fait détrôner par le lion, libidineux et narcissique, sous les yeux impuissants des antilopes, genettes, marabouts et autres animaux de la steppe. Un va-et-vient s’opère entre la représentation du spectacle et les conversations de loges.

Les dynamiques qui régissent les relations entre les personnages nous sont totalement dévoilées dans une spirale d’absurde et de tragique. Les mécaniques genrées sont bien présentes et les personnages sont pratiquement des caricatures d’eux-mêmes. Le doyen s’arrache la peau du dos à force de coller et décoller son costume tous les jours, l’homme le plus baraqué se tape la jeune gazelle… Pourtant, personne ne semble avoir vraiment envie d’être là ni de faire honneur au spectacle. Sauf celui qui joue le zèbre.

Les allers-retours entre le jeu et le réel imposent aux corps sur scène une rigueur qui nous garde tendus, ne sachant pas avec quelle brutalité la prochaine scène sera interprétée. Les costumes décuplent l’effet angoissant de la fatigue et du labeur, s’imposant par leur raideur comme une seconde peau qu’ils ne pourraient jamais enlever. Comme si leurs personnages les suivaient partout en les forçant à agir selon leur essence animale. La frontière entre animaux et humains (ou personnages et comédien-ne-s) se brouille au fur et à mesure que l’on découvre les différents conflits de la troupe et nous laisse très rarement respirer à travers cette brousse dense et épaisse.

Le second acte de la pièce de Schimmelpfennig s’ouvre sur l’appartement de Frankie (Philippe Cousineau), où les éclairages coupants et géométriques nous plongent dans une atmosphère qui semble presque sortie d’un film de Kubrick. L’intimité froide du lieu, dénué de meubles et de toute décoration, est une excellente façon d’imager le lieu de vie d’un comédien sous-payé. De là, le parallèle peut se faire naturellement avec le travailleur au salaire minimum qui mange des cannages de beefaroni à tous les repas.

Il s’entretient avec Chris, metteur en scène qui cherche des acteurs pour sa prochaine pub. La scène nous semble connue : une suite de situations où la hiérarchie s’insinue dans le rapport interpersonnel et nous fait penser à toutes ces relations de travail tendues que nous vivons, dont nous entendons parler, ou celles qui nous heurtent jusqu’au burnout. Le comédien négocie sa place, se vend et répond à tous les besoins de son hôte pour mériter un contrat. Bref, il marche sur son ego pour sortir de son contexte précaire.

Les allusions à la difficulté de survivre au microcosme culturel trouvent énormément d’écho dans le public. Évidemment, les salles de théâtre sont souvent habitées par les gens du milieu culturel, et le Quat’sous ne fait pas exception à la règle. Dans la salle, les rires étaient emplis de vécu, des rires jaunes qui frôlent le malaise. On pouvait sentir l’impression de déjà vu et s’imaginer des situations similaires dans un futur proche.

Le texte, allié à la mise en scène, fait la monstration des tensions entre classes sociales, en nous rappelant qu’il y aura toujours une distinction entre les personnes qui fabriquent le pain et celles qui le mangent. C’est la grande force de cette production qui pose chaque personnage comme acteur social, leur conférant une place dans l’échelle humaine. Incluant les personnes assises dans le public. On se sent d’ailleurs partie prenante du royaume dès notre arrivée : le bleu clair de la scénographie s’étend jusque sur les murs de la salle, incluant les sièges des spectateurs et spectatrices dans l’arène.

S’il y a une chose que Konrad nous a fait comprendre, c’est bien le fait que nous avons un rôle à assumer dans notre propre royaume. Le spectacle nous laisse avec l’impression de faire partie, nous aussi, d’une absurde fable animalière.  Surtout, nous en sortons avec la certitude que nous ne pourrons jamais être le lion de cette fable.

——

La pièce Le Royaume des animaux avait lieu du 6 septembre au 1er octobre 2016 au Quat’sous.

Article par Caroline Monast-Landriault.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM