Mais le souffle continuera de bruire au cœur de la forêt. Une lecture de Chien de fusil d’Alexie Morin

Dimanche après-midi, le soleil de mars au-dessus de l’épaule, à travers la fenêtre. Un soleil encore dur, à cause de…
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Dimanche après-midi, le soleil de mars au-dessus de l’épaule, à travers la fenêtre. Un soleil encore dur, à cause de la neige. Le printemps qui n’arrive pas. Envie de lire un peu de poésie. Envie de lire Alexie Morin, son recueil qui vient de paraître au Quartanier. Envie de découvrir ce qui se trame sous cette couverture à la couleur inouïe, aussi attirante que son titre : Chien de fusil.

D’abord ça se lit vite. L’autre couvert, je l’ai rejoint avant même que le soleil ne faiblisse. Faut dire qu’on a avancé l’heure. Mais après, ça se lit plus lentement, pendant que la lumière glisse, devient oblique, jusqu’à plisser les yeux pour relire la même page, une deuxième, une troisième fois, parce que c’est beau, parce que ça ne dit pas tout, mais que ça dit toujours plus :

Un chat est entré tout blanc avec un mulot, Vincent cligne des yeux, frissonne, pense à elle, le chat dépose le mulot sous la chaise, il regrette, ç’aurait été beau devenir un squelette, phalanges, phalangines enroulées autour de la tasse avec la forêt dedans.

Dans Chien de fusil, on est immergés dans la forêt, hors des sentiers battus, on suit les sillons d’eau fraîche des ruisseaux, on chasse au collet, l’odeur de mort.

la terre se draine
de moi je pars
entre les pierres
il reste des os

Mi en prose mi en vers, la poésie de Morin se donne d’abord comme un souffle, parfois long, parfois court, haletant ou prolongé, un souffle qui se trouve mis en scène dans le texte, et qui cherche et donne à vivre en respirant un peu plus la mort à chaque bouffée : « […] je peux retenir mon souffle deux minutes et alors je crois me rappeler comment faire pour devenir invisible, pour de bon. » La volonté de s’effacer traverse le texte, donne le ton à chaque page ; fuir pour contempler, embrasser pleinement le nature, la forêt dense ou tout naît et meurt, disparaître en elle pour de bon, car il devient « […] trop honteux de se tenir là, encore si énorme et si voyante. » « J’espère m’effacer, devenir grise, un galet dans la terre. »

Alexie Morin, Chien de fusil

Une figure ténébreuse rassemble en elle ce désir paradoxal, le désir ardent de la vie qui fait souhaiter de la mort les aspects les plus beaux : le silence, l’immobilité, la douceur de l’achèvement. Vincent est un arbre, une rivière, une roche ; il est dévoré par la forêt comme la maison qu’il a fait sienne – « Ils l’ont quittée parce qu’elle n’était plus habitable, et maintenant les branches l’enserrent jusqu’aux fenêtres, les feuilles entrent par les carreaux brisés et meurent par manque de lumière – des raisons pour l’aimer et s’enfuir ». On aimera Vincent aux orbites de feu, avec qui l’on convole, recouvrant « le ciel d’amour et de mort ». Mais à l’instar de cette maison fuie parce que devenue inhabitable, il faudra le délaisser :

Ça cesse comme ça a commencé. Je supporte un autre jour avec toi, mais je n’y arriverai plus très longtemps, on ne peut rester si près d’une telle magie sans se laisser contaminer, ça fait trop peur et je ne veux pas mourir. 

* * *

La manière dont j’ai voulu partager cette poésie ne lui rend pas justice, je suis le premier à le reconnaître. De manière sans doute trop narrative, j’ai voulu tracer à grands traits les mouvements qui habitent le texte de Morin. Mais il y a bien plus dans son écriture que ce qui peut être raconté, et toute explication rationnelle se heurtera au propre de l’écriture poétique réussie, l’ineffable souffle qui anime les mots.

[…] et je me demande si ça sort de lui ou bien si ça le traverse, si je verrais la même chose en me regardant dans le miroir, un rayon, une flamme qui voyage, s’ouvre un chemin jusqu’à l’eau, plonge, s’il verrait, lui, la même chose dans le miroir, ou bien si c’est seulement moi, si c’est moi la sorcière, la plus puissante, avec la meilleure vue, sans bouche sauf celle des fantômes et des animaux morts.

J’ai refermé le livre à présent, le soleil s’est glissé doucement derrière la corniche de l’immeuble de l’autre côté de la rue, ne m’offrant plus qu’une lumière diffuse, grisâtre, un peu maladive, mais persistant néanmoins. Je me questionne sur la vie à l’origine du texte ainsi que celles à qui l’on doit d’autres textes récents qui paraissent chercher à rejoindre, à l’extérieur de la ville, une part manquante et nécessaire à l’expression d’une intériorité qui ne tient ni au béton ni au verre, qui n’exsude pas de l’asphalte et que l’acier ne peut réfléchir. Une tendance que je crois reconnaître chez plusieurs écrivains contemporains montréalais m’amène à proposer une hypothèse : sommes-nous en présence d’une nouvelle forme de littérature de l’exil ?

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Alexie Morin, Chien de fusil, Montréal, Le Quartanier, 2013, 65 p.

Article par Simon Levesque. Tigres de papier & autres créatures sibyllines occupent son esprit amusé par l’objet inexistant.

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