Quand la musique prend corps. Entrevue avec Félix Boisvert autour de Concerto au sol

Félix Boisvert travaille depuis maintenant près de huit ans à son épopée musicale. Pour ce compositeur issu de l’électroacoustique, les…
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Félix Boisvert travaille depuis maintenant près de huit ans à son épopée musicale. Pour ce compositeur issu de l’électroacoustique, les plus grandes danseuses de la musique ne seraient nulle autre que les mains de chaque musicien. Je le rencontre par une belle journée d’automne aux Écuries. Il n’en faut pas plus pour se retrouver captiver par l’impressionnante démarche de ce musicien qui a décidé de se prendre pour un acteur et un metteur en scène.

L’Artichaut : Corrigez-moi si je me trompe, mais vous venez d’abord et avant tout du monde de la musique. Sachant cela, qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux marionnettes, à la scène et au théâtre?

Félix Boisvert : Le point de départ a certainement été la fin de mes études en composition électroacoustique. Je trouvais que ma musique manquait de corps et impliquait trop de pitons, d’ordinateurs. Ça allait quand même déjà avec la démarche que j’avais en musique. J’ai également été coach de tennis pendant douze ans, on peut donc dire que le travaille sur le corps m’habitait déjà. Ensuite, c’est en regardant un instrument de percussion électronique, rond, plat et qui avait l’air d’une piste ou d’une scène que j’ai eu cette intuition, l’envie de toucher à un autre aspect de la scène. En tant que fan de Genesis, j’avais aussi une fascination pour leurs maquillages. J’ai donc présenté l’ébauche de mon projet en création de fin d’études.

L’Artichaut : Vous parlez d’ébauche, c’est donc dire que vous travailliez déjà sur Concerto au sol à l’époque?

F.B. : Effectivement, ce Concerto au sol est l’aboutissement d’un work in progress en cours depuis plusieurs années. L’idée était abstraite au départ et a beaucoup grossi depuis. Ma résidence aux Écuries avait donné naissance à la version finale du spectacle Lune et l’autre. J’ai ensuite encore retravaillé le projet, ce qui fait au total huit ans de gestation.

L’Artichaut : À quoi le spectateur peut-il s’attendre en allant voir Concerto au sol?

F.B. : Je dirais à un voyage spécial dans un univers inusité dont on ignore la destination. C’est un appel à ouvrir ses oreilles, un spectacle sur la musique dont on pourrait presque dire qu’il s’adresse aux aveugles. J’ai eu la volonté, en préparant ce projet, de fusionner les yeux et les oreilles en un seul organe. C’est un peu aussi un voyage dont vous êtes le héros, une piscine où il faut plonger pour en apprécier la couleur et le goût particulier.

L’Artichaut : Vous avez déjà signifié votre volonté de sortir la musique de sa dimension uniquement sonore. En quoi consiste cette démarche?

F.B. : Je crois que ça débute par une maladie que l’on appelle la synesthésie. C’est à la fois une source d’inspiration et une pathologie et c’est la base de toute ma démarche. À un moment, je me suis mis à avoir des flashs de ce genre. J’entendais, mais en même temps je voyais. Ça m’est arrivé en particulier à Venise, dans un concert. Tu vas peut-être trouver ça pompeux, mais c’est ça pareil! Tout ça pour dire que c’est là que j’ai réalisé que la main était le matériau principal du musicien. Je veux dire par là que la musique a un corps et que c’est souvent la main qui l’incarne. C’est là que la musique devient danse. La main est la plus grande danseuse de la musique. Elle révèle sa personnalité et celle de l’instrument. Prenons le violoncelle, par exemple. Les mains qui en jouent me font penser à une ballerine glissante dansante. On peut s’imaginer le même genre de chose pour chaque instrument. C’est pour ça que j’ai composé la musique de mon spectacle en fonction de sa sonorité, mais aussi de sa beauté visuelle.

Félix Boisvert (Crédit photo Thomas Dupont-Buist)
Félix Boisvert (Crédit photo Thomas Dupont-Buist)

L’Artichaut : L’aspect technique et technologique semble indissociable de votre processus créatif. Pourquoi cette passion?

F.B. : J’ai toujours tripé sur les gadgets en tout genre. Venant de l’électroacoustique, c’est assez normal. Tellement qu’à une époque, quand les gens me demandaient de quel instrument je jouais, je leur répondais : du haut-parleur. Dans ce spectacle, j’utilise beaucoup d’outils pour faire voir la musique, mais le but est quand même que la technique soit transparente. Il n’y a pas de bande-son, tout est en direct, ce qui fait que je deviens à la fois acteur et technicien. Mais rien de tout ça ne doit paraître, c’est pourquoi il faut être bon prestidigitateur!

L’Artichaut : Quand vous travaillez à la création de vos spectacles multidisciplinaires, est-ce la musique ou le récit qui vous vient en premier?

F.B. : Dans ce cas-ci, c’est la trame narrative qui est venue en premier, même si généralement c’est l’inverse. Normalement, le matériau que j’emploie prend la place et dirige ensuite mes choix.

L’Artichaut : La création n’est pas votre seule occupation, vous êtes également formateur pour la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ). Quelle forme prennent ces formations et que représentent-elles pour vous?

F.B. : Il faut comprendre que je suis un passionné de pédagogie. Comme la SMCQ a cette volonté d’aller vers la jeunesse, ça m’a intéressé. Alors on peut dire que je suis passé du tennis à la musique. Les formations que je donnais étaient basées sur un instrument qui s’appelle le Musicolateur, créé par la SMCQ. Il permet de créer de la musique en groupe ce qui stimule et d’enrichit la créativité des jeunes. Ça leur apprend également à interpréter, à apprécier et à inventer. Disons que concrètement, c’est un orchestre de création. D’ailleurs, le Musicolateur sera bientôt sur iPad. Mais pour revenir à la formation, disons que ça va dans le même sens que ma démarche créative, c’est à dire : ouvrir les oreilles.

L’écoute est le sens que l’on utilise le moins, la vue étant le sens que l’on utilise le plus. Imagine un seul instant que l’on appliquerait le même niveau de pollution (sonore) à nos yeux (visuelle). Personne n’y survivrait une seule journée! Ce que je veux, c’est réapprendre aux gens à tendre l’oreille à travers les bruits parasites. C’est pour ça que dans Concerto au sol, je plonge le public dans le son. Tellement que l’essentiel de ma scénographie réside dans le son. On peut donc parler de spectacle tout à entendre!

L’Artichaut : En terminant, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’espace de création que vous codirigez?

F.B. : C’est un projet que j’avais avec ma copine qui est marionnettiste. C’est parti du désir de réaliser ce spectacle dans les meilleures conditions. On a donc transformé un garage en studio, une espèce de grosse boîte noire qui peut servir entre autres à la musique, le théâtre et la marionnette. Je l’ai pas mal mobilisé jusqu’à présent, mais là on va commencer à s’ouvrir sur l’extérieur. Il faut que ça devienne un espace qui nous dépasse!

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Concerto au sol de Félix Boisvert sera présenté aux Écuries du 15 au 26 octobre. M.E.S. Félix Boisvert et Jean-François Boisvert, avec la collaboration de Karina Bleau.

Ce spectacle participe au programme Carte Prem1ères, leurs abonnés bénéficient d’un rabais de 50 % sur le prix de leur billet durant la première semaine de représentations.Abonnez-vous et soutenez le théâtre émergent!

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.