«Toute ressemblance avec des faits réels n’est que pur hasard», peut-on lire à la fin de La cicatrice, premier long métrage de Jimmy Larouche. Les évènements présentés dans ce film sont peut-être purement fictifs, mais la réalité au fondement de ce récit en est une qui, à différents degrés, est présente dans toutes les écoles : l’intimidation.
Une réalité somme toute bien connue, mais qui ne laisse pas indifférent, surtout lorsque le traumatisme qu’elle a engendré nous entraîne dans une troublante spirale de ressassement psychique, teinté d’onirisme (cauchemardesque), où le passé resurgit sporadiquement pour s’intriquer avec le présent et en tirer les ficelles.
La relative confusion résultant des télescopages spatio-temporels dans La cicatrice n’est pas le seul élément qui contribue à créer l’univers équivoque et angoissant de ce suspense psychologique. En fait, tout le langage cinématographique orchestré par Larouche et son équipe travaille en ce sens. Que ce soit les clairs-obscurs du directeur photo Glauco Bermudez, la pénétrante et anxiogène conception sonore d’Andreas Mendritzki, qui se marie parfaitement bien avec la musique grave, sombre et pathétique de Jorane, que ce soit également les cadrages rigides, austères, pétrifiés, dans lesquels sont emprisonnés les protagonistes, produisant une ambiance suffocante et aliénante, tout concorde à nous plonger dans les tourments de Robert, qui apparaissent de plus en plus inextricables à mesure que l’histoire progresse. Peut-on jamais guérir de ces profondes cicatrices d’enfance qui enracinent l’exclusion et l’isolement au sein même de l’identité de la victime?
Si le récit s’articule autour du motif de la vengeance, il se garde de forger une opposition manichéenne entre agresseur et victime. Les comportements violents des enfants trouvent bien leur origine quelque part… Ainsi, le père de l’agresseur, interprété avec brio par Normand D’amour, permet-il de complexifier la situation et d’illustrer qu’on ne devient pas bourreau par hasard. À travers les renversements des rôles, d’opprimé à oppresseur et vice versa, ce sont des thématiques comme la violence familiale, l’alcoolisme et l’exclusion qui sont notamment explorées. Qui de mieux donc que Marc Béland pour incarner les multiples nuances que le rôle de Robert exige. Patrick Goyette livre également une performance très solide dans la peau de Paul, son antagoniste. En fait, même si plusieurs comédiens, dont la plupart des plus jeunes, en sont à leur première expérience, leur jeu est très juste.
En somme, outre de petites maladresses tels que certains anachronismes (vestimentaires, par exemple) et quelques lenteurs qui auraient pu être légèrement abrégées, Jimmy Larouche a accompli un travail remarquable, et son premier long métrage mérite d’être vu. Il a su mettre l’esthétique glauque et le genre inspiré du film noir au service d’un propos qui est loin d’être futile et auquel on doit accorder une grande importance. Il atteint du reste indéniablement sa cible, car la catharsis opère avec force. La cicatrice, qui était présenté vendredi dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois, fait la tourné des festivals internationaux (Irlande, Californie, Brésil) et sera à l’affiche d’ici quelques semaines dans plusieurs salles au Québec. Il est a espérer que le public québécois sera au rendez-vous et que ce film connaîtra une longue carrière.
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La cicatrice par Jimmy Larouche
Les Rendez-vous du cinéma québécois présenté du 21 février au 3 mars.
Article par Dominic Auger – Chroniqueur pour l’Artichaut, Dominic Auger est également étudiant à la maîtrise en études littéraires. Il en est revenu d’étancher sa soif à coups de tempêtes désertiques, sa quête se portera mieux vers un devenir collectif.