Par Emile Mercille Brunelle
Printemps 2011. Alexandra Bégin, étudiante en cinéma à l’Université de Concordia, se cherche un projet d’été avec quelques collègues de classe et amis, notamment le réalisateur et scénariste, Guillaume Collin, ainsi que l’acteur Jesse Kray. Au début du printemps, assaillis par une volonté commune de voyager pour sortir des terrains battus, tous les trois entament l’écriture d’un scénario dans l’optique de réaliser un court métrage à travers un Road Trip.
Finalement, après 50 pages de textes, les trois cinéastes conviennent que le scénario servirait mieux à un film plus long. À travers une période de pré-production très intensive compte tenu des exigences temporelles qui leur sont imposées (trois semaines de tournage), les cinéastes, munis d’un budget de 10 000 dollars principalement octroyé par Kick Starter, rassemblent les fidèles membres de leur équipe technique de toujours: la directrice photo Isabelle Stachtchenko Sirois ainsi que Dejan Pavlovic, Michael Massicotte, Charles-André Coderre et Dan Dietzel. Au total, ils sont sept. De Montréal jusqu’à New York, ils vont parcourir Atlanta, Memphis et Nashville. Après trois semaines de tournage intensif, dont 15 nuits passées à faire du camping aux États-Unis, leur premier long métrage intitulé Soft Gun va prendre vie.
Une quête identitaire
Leur film raconte l’histoire d’une jeune Montréalaise (Alexandra Bégin) qui quitte son appartement à l’improviste pour rendre visite à un cousin (Jesse Kray), qui habite en Georgie, qu’elle n’a pas vu depuis une dizaine d’années. Elle aura tôt fait de le convaincre de participer avec elle à un Road trip à travers le sud des États-Unis afin d’expérimenter de nouvelles épreuves, mais principalement, de se découvrir eux-mêmes.
Road Trip
Malgré quelques interprétations forcées, Soft Gun comporte d’indéniables qualités artistiques, notamment une direction photo très soignée et une trame sonore qui insuffle au film un côté mythique et parfois même envoûtant. Alexandra et Guillaume ne manquent pas de signaler le magnifique travail de leur directrice photo, Isabelle Statchtchenko. Cette dernière capte des images du paysage environnant avec une admirable finesse. La trame sonore s’incorpore avec aisance à ces images gracieuses dans leur banalité. L’effet atmosphérique s’avère très surprenant pour une si petite production, en particulier durant la scène à New York. La caméra capte les deux amis alors qu’ils entrent dans la ville, le tout étant parsemé de plans urbains qui dévoilent une métropole accueillante et diversifiée. La musique accorde alors à ce moment un ton particulièrement charmant. D’ailleurs, chaque chanson a été choisie pour correspondre aux états d’âme des personnages ou à des situations particulières durant des scènes spécifiques. Les pièces musicales ont donc été sélectionnées en fonction des lieux visités par les personnages du film. Un travail très ardu, mais qui porte fruit au résultat final, car les chansons soutiennent très bien les dialogues dans la transmission de l’émotion. Les deux cinéastes ne manquent pas de signaler que le septième art est une composition de plusieurs formes artistiques, notamment la photographie et la musique. On peut dire que cette conception du cinéma est observable concrètement dans Soft Gun par son caractère très contemplatif et pour la construction minutieuse de plusieurs ambiances atmosphériques.
Entrevue avec les deux réalisateurs
Quand on lui demande d’où provient le titre, Alexandra sourit. Un sourire sincère et nostalgique. « Pendant le tournage, nous avions un water gun, et finalement un petit jeu de mots inoffensif s’est transformé en titre catchy » : Soft pour la douceur et la timidité de Jesse, Gun pour l’impulsivité et l’enthousiasme d’Alexandra. Même si elle tient le rôle principal dans son film Soft Gun, Alexandra Bégin ne cache pas sa préférence à travailler derrière la caméra. Elle adore diriger des acteurs sur un plateau de tournage à titre de réalisatrice, et ce, depuis ses débuts dans le milieu cinématographique; elle a souvent travaillé comme directrice artistique et costumière. Cette première expérience d’actrice a cependant été enrichissante pour elle malgré des débuts difficiles durant le tournage. Avec Jesse Kray, ils ont dû travailler fort pour développer une relation naturelle et crédible à l’écran, compte tenu de la profondeur et de l’intimité qui étaient recherchées dans l’interprétation de certaines scènes du film. Quand on lui demande comment elle s’est débrouillée pour développer une interprétation si désinvolte et touchante avec son compagnon, Alexandra rétorque qu’il « faut simplement trouver un bon flow. » Mission accomplie dans ce cas-ci pour les deux acteurs, puisque la relation amicale déployée dans le film atteint une indéniable profondeur durant certaines scènes.
Même si le tournage était difficile au début, Alexandra et Guillaume confient que cette étape a été leur préférée du projet. Selon eux, ce stade est le plus ardu, mais aussi le plus enrichissant pour ce qui est de l’expérience acquise. Cette volonté de recherche d’expérience se reflète directement dans le film, alors que les deux personnages partent pour une véritable quête identitaire. À travers ce voyage, ils feront des choix, commettront parfois des erreurs. Les deux cinéastes conviennent qu’il est nécessaire de « faire des erreurs et de foncer dans un mur, car ce sont toutes des choses qui doivent être expérimentées dans la vie. » Selon Guillaume Collin : « c’est ce que le film tend à illustrer ».
Guillaume ne cache pas qu’il aurait voulu aller plus loin avec ce projet, notamment en explorant des territoires américains plus éloignés et en développant davantage la profondeur émotive de certaines scènes. Si Guillaume fait du cinéma, c’est par amour pour le septième art, plus particulièrement pour le travail d’équipe derrière le processus de création d’un film. Même s’il s’agit de grosses productions commerciales américaines dans lesquelles les cinéastes ont tendance à privilégier le sensationnalisme au détriment d’une profondeur intellectuelle ou émotionnelle, Guillaume manifeste beaucoup de respect pour ses pairs, car l’argent permet effectivement de travailler avec une plus grosse équipe, mais ça demande énormément d’organisation et de responsabilités. Ce dernier a beaucoup de difficultés à dormir la veille d’un tournage, et force est de constater que ses créations cinématographiques lui tiennent à cœur. Lorsqu’un réalisateur éprouve de l’amour pour son propre film, le résultat final en sera inévitablement influencé. C’est le cas de Soft Gun.
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Soft Gun par Alexandra Bégin.
Article par Mélissa Des Groseillers. À défaut d’être sensée, l’animisme lui sert de pulsion créatrice. Monstres nippons et formes épurées se confondent dans son imaginaire d’indécise articulée.
Les Rendez-vous du cinéma québécois présenté du 21 février au 3 mars.