La peur du mouvement. Andreï ou le frère des Trois sœurs d’Olivier Aubin et Justin Laramée

Il arrive que l’expérimentation prenne le pas sur le récit. Dans ce cas, il ne reste qu’à espérer un concept…
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Il arrive que l’expérimentation prenne le pas sur le récit. Dans ce cas, il ne reste qu’à espérer un concept béton, capable de faire oublier que l’accent a été mis sur le comment plutôt que le pourquoi. Une fois de retour dans les froides rues de Montréal, à la sortie d’une représentation dAndreï ou le frère des Trois sœurs, rien de plus ne vient enjoliver cette pensée. De glace. L’impression de ne pas comprendre ce que Justin Laramée a bien voulu communiquer à ses spectateurs. Si réellement la découverte des Trois sœurs de Tchekhov (dont Andreï s’inspire) a été pour l’équipe de création une « révélation », pourquoi en avoir fait quelque chose d’aussi décousu? Les bonnes idées ne semblaient pourtant pas manquer, la production en était truffée. S’il faut oser supposer les raisons de l’échec, je pencherais du côté de la cohésion manquante, de la vision d’ensemble perdue.

Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)
Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)

Mais avant de détailler ce qui cloche dans cette pièce, rappelons d’abord d’où elle prend sa source. Anton Tchekhov, en 1900, écrit les Trois sœurs. Fidèle à ses habitudes, il met en scène les grands problèmes de la bourgeoisie russe. En sondant l’âme de ces richissimes humains, il découvre leur plus grande angoisse : l’ennui. Ses personnages sont soit dépourvus de volonté, soit écrasés par les ambitions qu’on leur prête. Les trois sœurs; Macha, Olga et Irina s’ennuient à la campagne et rêvent d’aller vivre à Moscou (où ils trouveront bien le tour de s’ennuyer aussi). Leur frère Andreï, promis à un avenir radieux en raison d’un don quelconque pour la chose intellectuelle, n’arrive finalement jamais à se réaliser, enfermé dans sa peur du mouvement.

Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)
Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)

Partant de cette base, Justin Laramée et Olivier Aubin ont voulu actualiser la pièce en braquant les projecteurs sur Andreï, personnage secondaire de l’oeuvre originale. La proposition est bien de son temps : la littérature et la dramaturgie québécoise regorgent de ces angoisses de trentenaires. Autoapitoiement chronique, que j’ai malheureusement pris en grippe il n’y a pas si longtemps. Le capital sympathie que j’ai pour ce genre de personnages est déjà bien bas, ce qui peut partiellement expliquer l’agacement croissant que j’ai ressenti tout au long d’Andreï.

Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)
Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)

On assiste donc au long dépérissement du pathétique Andreï, évaché devant sa télévision à regarder des soaps, prêtant l’oreille aux mauvaises langues que sont ses sœurs et faisant mollement la cour à Natacha, femme sans autre substance que sa beauté. Tchéboutykine, seul véritable compagnon de détresse d’Andreï, semble hanter ses jours plutôt que de les égayer, ne lésinant jamais sur la bouteille. Quand je disais plus tôt que la production n’avait pas manqué de bonnes idées, c’était pour désigner les quelques choix courageux qu’ils avaient faits. On pense à la présence des sœurs incarnée par une radio sur laquelle Andreï se repasse leurs remarques, aux livres que le père jette en tous les sens sans aucun égard pour l’intérêt que son fils leur porte. Niveau scénographie, on apprécie l’esthétique d’un agrégat de projecteurs descendant du plafond, l’utilisation des multiples portes et un lancé de dés spectaculaire. On a même fait le pari risqué de confier la technique du spectacle aux acteurs qui sortent périodiquement de leurs rôles pour aller jouer après la console.

Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)
Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)

L’ennui, c’est que ces bonnes idées n’ont pas été exploitées de façon à servir le récit. On ne comprend rien des épisodes télévisuels ou radiophoniques alors que ce sont eux qui auraient pu donner un peu plus d’épaisseur à la trame narrative. Le jeu d’Olivier Aubin, Émilie Gilbert et Denis Gravereaux paraît souvent fabriqué, comme si chacun ne savait pas trop comment ces gesticulations pouvaient s’inscrire dans la progression du récit. On les sait pourtant bons, peut-être n’ont-ils seulement pas su trouver de ligne directrice à leurs interprétations. De la même manière, je n’ai pas su trouver un sens satisfaisant à Andreï et n’en garderai probablement qu’un vague souvenir d’ennui partagé.

Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)
Andréï ou le frère des Trois soeurs (Crédit photo: Théo Gravereaux)

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Andreï ou le frère des Trois sœurs d’Olivier Aubin et Justin Laramée (d’après Tchekhov), présenté du 30 octobre au 9 novembre à l’Espace libre. M.E.S. Justin Laramée.

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.