Vous souvenez-vous du Nintendo 64? De Mario Bros? Ou bien du film Dazed and Confused de Richard Linklater sorti en 1993? L’artiste américain Cory Arcangel se charge de les remettre d’actualité en les altérant par différentes opérations informatiques. C’est en utilisant un ton ludique que l’artiste nous convie à revisiter plusieurs technologies populaires dans les années 1990 que l’on a pour la plupart laissées de côté.
La fondation DHC/ART, située dans le Vieux-Montréal, présente jusqu’au 24 novembre l’exposition Power Points de Cory Arcangel. Commissariée par John Zeppetelli, maintenant à la direction du Musée d’art contemporain de Montréal, l’exposition présente des œuvres tirées de la production antérieure et récente de l’artiste, permettant au spectateur de poser un regard global sur son travail basé sur un art informatique. L’artiste explore différents logiciels tels Photoshop ou QuickTime, en plus d’intégrer à son travail des œuvres cinématographiques, musicales et des jeux vidéo. Arcangel, qui connaît depuis quelques années une notoriété internationale, expose simultanément son travail au Warhol Museum à Pittsburgh jusqu’au 28 avril 2014 et a récemment participé à des expositions aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne.

L’intitulé de l’exposition, Power Points, renvoie au logiciel de présentation du même nom conçu en 1987. Ce programme, étant aujourd’hui le plus utilisé dans son genre, est employé pour présenter un contenu à la fois textuel et multimédia. L’exposition se construit sous un mode similaire, tel un assemblage de diapositives où chacune d’entre elles correspond à un des étages de la fondation, passant des épreuves chromogéniques couleurs produites dans Photoshop jusqu’au Nintendo NES. Chaque palier semble consacré à un médium en particulier tandis que dans le second bâtiment de DHC/ART, où les salles d’exposition sont sur un étage seulement, les œuvres de divers médiums sont rassemblées.

Les propositions de l’artiste investissent chaque fois dans l’informatique et ses diverses technologies qu’il s’approprie pour les détourner de leur usage initial. Cette intervention leur confère une interprétation fort originale. Drei Klavirstücke, Op.11 (2009), par exemple, réunit de courts extraits vidéo tirés de YouTube qui présentent des chats marchant sur des touches de pianos. Arcangel a réalisé à partir de celles-ci un montage dans lequel la trame sonore reconstitue une pièce de la musique atonale de Schoenberg. La rencontre d’une musique d’une telle complexité et de ces vidéos drôles faciles d’accès et anonymement publiées donne lieu à un contraste qui se situe près du ridicule, confirmant par ailleurs une tendance en art à célébrer et rendre publics les événements les plus banaux.
La plupart des créations de l’exposition soulignent un intérêt marqué envers les objets électroniques ayant été prédominants dans la culture il y a quelques années. Aujourd’hui considérés obsolètes ou dépassés, Arcangel les falsifie à l’aide de nouvelles technologies qu’il emploie ou bien qu’il invente (son logiciel Gould Pro par exemple, qui permet de reconstruire en vidéo des partitions musicales). L’artiste s’impose dans certains jeux des consoles Nintendo 64 et Nintendo NES en les détournant, trompant ainsi les attentes du spectateur qui croit redécouvrir quelque chose de familier. Il reprend entre autres un jeu de Hogan’s Alley pour transformer les personnages: les méchants revêtent l’apparence d’Andy Warhol et les citoyens deviennent respectivement Colonel Sanders, le Pape puis Flavor Flav. L’objectif du jeu consiste à tuer Andy Warhol – comme en atteste le titre I Shot Andy Warhol (2002) – à l’aide d’un pistolet lumineux que le spectateur peut saisir. Arcangel pirate également un jeu de Super Mario Bros où toutes les images sont retirées à l’exception des nuages, le jeu devenant ainsi Super Mario Clouds (2002). L’artiste a extrait l’attrait principal du jeu vidéo et ce qui en suscitait l’intérêt, c’est-à-dire la présence du héros Super Mario. Il n’en conserve que ce qui est secondaire et facultatif, accentuant sa désuétude, mais lui octroyant toutefois un aspect inédit. La participation du spectateur se réduit à la contemplation puisqu’il est maintenant impossible d’y jouer. Le jeu vidéo acquiert, ironiquement, un statut d’œuvre d’art.
http://www.youtube.com/watch?v=Nbej4iuUN4Q
Les dispositifs employés par l’artiste sont nombreux, passant du minuscule DVD portatif de piètre qualité sonore à l’écran géant accompagné de puissants haut-parleurs. L’installation vidéo Sweet 16 (2006) est d’ailleurs projetée dans la plus grande salle de DHC/ART sur deux écrans juxtaposés couvrant l’entièreté du mur. L’introduction musicale de la pièce Sweet Child O Mine de Guns N’ Roses joue en boucle, le volume monté au maximum, dans cette pièce sans autre éclairage que celui de la projection. Arcangel semble prendre plaisir à déjouer les attentes du spectateur qui est persuadé que la chanson débutera d’un moment à l’autre. L’artiste remanie un grand classique musical de la fin des années 1980 pour n’en présenter qu’un très court extrait, nous laissant sur notre faim. Il rectifie brillamment l’accessibilité à cette chanson connue de tous en ne conservant que l’introduction à la guitare d’une durée de 16 secondes. Le fait qu’elle se répète sans arrêt lui confère un potentiel aliénant. Pourtant, cette œuvre vient confirmer l’impression ressentie tout au long de l’exposition : celle de n’avoir qu’un accès partiel aux objets et aux productions du passé suscitant nos souvenirs. En les détournant, l’artiste nous procure la joie d’une redécouverte mêlée à la frustration de ne pas pouvoir les revisiter tels qu’ils étaient. Sweet 16 provoque le sentiment d’une attente insatiable qui atteint rapidement son apogée.
Au final, Power Points nous plonge dans un univers familier. L’exposition s’avère fortement accessible puisque l’artiste resurgit des objets qui font appel à certains de nos souvenirs. Or, bien que son travail soit présenté sur des supports variés dans une mise en exposition recherchée, sa démarche derrière l’utilisation des diverses technologies se révèle après un certain temps un peu redondante. Tout au long de notre parcours, nous sommes confrontés à des aspects de la culture populaire à travers divers gadgets tirés des années 1980 et 1990 falsifiés par l’artiste. S’il est pertinent de se pencher sur ces objets désuets revisités par des technologies plus actuelles, ne serait-il pas plus intéressant de diversifier pour nous confronter davantage dans notre rapport à l’obsolescence?
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Power Points, exposition de Cory Arcangel présentée à la fondation DHC/ART, du 21 juin au 24 novembre 2013.
Article par Sophie Daviault. Étudiante au baccalauréat en histoire de l’art.