Prends ça court! et Danny Lennon : penser autrement, faire autrement

C’est à la Cinémathèque québécoise que se tenait la soirée Prends ça court! Au total, 61 courts métrages se partageaient…
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C’est à la Cinémathèque québécoise que se tenait la soirée Prends ça court! Au total, 61 courts métrages se partageaient plus de 40 prix. Une foule monstre est alors venue assister à l’événement.

Au-delà d’une simple soirée de célébration, la remise des prix n’a pas pour unique but de saluer les films récompensés. Danny Lennon, le fondateur, y voit plutôt un coup de main aux jeunes talents qui veulent continuer à faire des films. Les prix sont pour la plupart octroyés sous forme de services techniques et de location d’équipement. Par exemple, le prix MEL’S équivaut à 15 000 $ en service technique; le prix SPIRA, 30 000 $!

Et plus si affinités, selon Danny Lennon. Les prix permettent ainsi de mettre en contact le gagnant ou la gagnante avec la compagnie commanditaire. Il s’agit de créer des relations professionnelles qui permettront la réalisation de nouveaux films. Et il n’est pas rare de voir ces relations se transformer en véritables collaborations. Alors, la remise de prix, c’est bien plus qu’une simple poignée de main, un joli trophée et un « Félicitations » à peine senti.

La philosophie derrière Prends ça court! en est une d’entraide, mais représente surtout une joyeuse solution de rechange aux structures de financement traditionnelles, gouvernementales et institutionnelles.

Pour l’occasion, l’Artichaut s’est entretenu avec Danny Lennon.

Artichaut Magazine : Pour commencer, parlez-moi un peu de Prends ça court! : qu’est-ce que c’était avant et qu’est-ce que c’est maintenant?

Danny Lennon : Prends ça court! existe depuis 18 ans. Les prix existent depuis 14 ans. J’ai été paresseux pendant 4 ans. Si on recule il y a 18 ans, Internet n’était pas très très populaire. Et on jouait les films en VHS. Ça te donne une idée. 18 ans, c’est long dans une industrie qui change beaucoup.

Il faut toujours se remettre dans le contexte : qu’est-ce qui se passait il y a 18 ans? D’abord, un vide, parce que Kino et Prends ça court! sont nés la même année. Il devait y avoir un manque quelque part. Eux voulaient faire des films et se pratiquer à faire des films. Et moi je voulais jouer des films. C’est ben beau en faire, il fallait une place pour les jouer. Et comme Kino, nous autres, c’était un truc mensuel. Et c’était surtout un truc de rassemblement et de réseautage pour que justement les réalisateurs se parlent, parce qu’on ne se voyait pas ou très peu ou on s’entrecroisait dans un festival une fois de temps en temps. Mais il y a 18 ans, on pensait que les courts métrages n’étaient pas si populaires que ça. Finalement, c’était populaire, parce que Kino et PÇC!, c’était plein tout le temps.

Et veut, veut pas, Prends ça court! est devenu une grosse bibitte, quasiment à l’année. Prends ça court! est le résultat d’un manque dans l’industrie et aussi d’un autre côté, on était fâché de comment l’industrie percevait le court, traitait le court. Et quand on dit le court, on parle de ses artistes, ses artisans, la relève. Le mot relève est large, mais c’était ça. Il y a 18 ans, on ne s’occupait pas du tout du monde du court métrage. Tu disais les mots court métrage, c’était comme si tu avais la lèpre. Combien de fois on s’est fait dire «  Ah, vous autres, les petits films »? On est parti de là. Vous ne voulez pas nous aider, vous ne voulez pas nous écouter, ben on va le faire tout seul.

A.M. : Donc il n’y avait pas cette volonté de mettre les courts métrages en évidence?

D.L. : Pas juste les courts! Le cinéma. Cette jeunesse-là bouillonnait. Il y a 18 ans, c’est tous les gens qu’on connaît maintenant qui sont rendus aux Oscars. Mais c’était ça. Il n’y avait rien il y a 18 ans. Trouver un journaliste ou une journaliste qui aimait les courts métrages… je pense qu’il y en avait un ou deux. Ça, c’étaient les gens qui osaient parler du court métrage. Parce que t’es encore là, donc t’es une petite merde.

On a été chanceux. C’était l’arrivée de Denis Côté. Il a été un bulldozer, le court métrage, il en parlait. Ça prenait ça. Et veut, veut pas, depuis 18 ans, ça s’est transformé.

A.M. : Ç’a évolué énormément, donc.

D.L. : Ben oui! Parce qu’on a patché les trous qu’il fallait patcher. Vous ne voulez pas vous en occuper, on va le faire. Et ainsi de suite. On a aidé les festivals. On a mis la barre haute en disant : « c’est ça, le standard pour le court. » Dans les festivals, il y a 18 ans, le court, c’était une sous-section, une petite affaire sur le côté. On les a forcés à se forcer.

Les gens qui venaient à Prends ça court!, même si j’avais seulement 10 films à présenter, normalement ils en aimaient 9. Et pour le dixième, tu trouvais quelque chose de bien. Alors, comment ça si je vais à un festival et que j’en vois un bon sur 10, je suis content? Ben il y a peut-être quelqu’un quelque part qui ne fait pas sa job. Ç’a forcé tout le monde à arrêter de niaiser et de la jouer paresseuse.

A.M. : Et que le court ne soit plus juste considéré comme un mal nécessaire pour éventuellement passer au long.

D.L. : Exactement. Et on ne se le cache pas, c’est ça. Oui, il y en a qui vont continuer à faire ça. Et maintenant, avec l’industrie et les institutions, c’est moitié-moitié : soit t’es subventionné, soit tu le fais tout seul de ton bord. Mais Prends ça court! veut aider les deux. Avant, si tu n’étais pas subventionné, tu n’avais accès à rien.

A.M. : Donc, vous faites un peu le pont entre la jeunesse, la relève, qui n’a pas nécessairement de facilité à trouver du financement, surtout quand tu commences, et les institutions, ou du moins les gens qui attribuent du financement.

D.L. : Sont dépassés! Mais pas dans le mauvais sens. C’est tellement gros, ces institutions-là! Sont obligés de gérer plein d’argent. Pis c’est fait tout croche. Et ça fait des années et des années. Ils ne peuvent pas se retourner sur un dix cents. Souvent, ils vont nous approcher : « On n’est pas au courant, on n’est pas sur le terrain, ç’a-tu de l’allure, ça? » Et ça va nous faire plaisir de les guider. Mais on ne le fait pas que pour eux. Le reste de l’industrie aussi, des producteurs et des productrices qui cherchent des jeunes talents, des gens qui sont en publicité, ainsi de suite. Ils veulent un filtre.

A.M. : Comme un gros bassin de jeunes cinéastes.

D.L. : Prends ça court! est un peu devenu ça. Mais il n’y avait pas de plan de match. On a vu un vide. Et là, on parle juste du Québec. On a les deux mains dedans tout le temps. Ça devient tellement facile de nous poser une question. Ce n’est pas « Ah, attends, je te reviens dans deux semaines. Je vais chercher. » Nenon. Le gars, j’y ai parlé hier. Soyez amis.

Si on revient à ce qu’on disait au début, vous ne voulez pas nous aider, vous nous traiter de même, ben nous, on va faire nos affaires. Les prix, c’est un peu un gentil doigt d’honneur à l’industrie. Il y a 18 ans, le grand prix, pour un court, c’était 250 $, dans un festival x que je ne nommerai pas. Et tu avais le plus laite ti-crisse de trophée de marde. Très souvent c’était un prix « hors d’ondes ». T’sais, le fameux prix « décâlisse », c’était un p’tit peu ça.

Et ç’a pris 4 ans pour vraiment nous fâcher, et on est arrivé avec la première année, le grand prix, c’était 5 000 $. On voulait monter la barre. Ben vous n’aurez pas le choix, fini là les 250 $ pis les p’tites crisses de niaiseries.

A.M. : Même un court métrage, avec 250 $, tu ne peux pas faire grand-chose.

D.L. : Non! C’était n’importe quoi! Mais là au moins, depuis 14 ans, les festivals sont rendus plus sérieux. Et très souvent les commanditaires des prix vont aller dans un autre festival et continuer à donner, parce qu’avec Prends ça court!, ils se rendent compte qu’ils rejoignent du monde et qu’il y a un résultat direct. Dès l’année suivante, il y a un film qui est fait et c’est ça qu’on veut. C’est ben beau donner des prix, pis c’est ben beau une belle petite photo, mais on veut aider l’industrie.

Affiche du 14ème gala de Prends ça court!

A.M. : Et dans les 18 années de Prends ça court!, avez-vous senti une évolution du court métrage?

D.L. : Oui, mais on n’est pas encore rendu où ce que je voulais aller. Je voudrais que l’industrie et le gouvernement changent leur façon de faire, et, comme au hockey, mettent de l’argent dans les jeunes joueurs. Faut les bâtir. Et maintenant, il y a tellement peu d’argent pour le long. On ne veut pas qu’il y en ait un qui arrive en se disant « je vais expérimenter. » Non, tu veux qu’il expérimente, qu’il déconne et qu’il vire fou dans le court. Les artisans aussi, pas juste les réalisateurs. Tu veux que tous les gens de l’industrie travaillent leur métier.

Mais il y a du positif. Il y a eu des belles idées. Téléfilm, avec Talent tout court. C’est un truc qui existe depuis 8 ans. Ils font des projections de courts métrages, tout nouveaux, tout chauds, dans tous les gros marchés du monde entier : Cannes, Berlin et ainsi de suite. Et ils invitent les artisans. Rien n’est payé. Fini l’État-providence. Sauf que tu vas venir. On va t’informer avant. Tu vas prendre de l’expérience. Il faut aller à Cannes pour rencontrer les gens de l’industrie du Québec. Et du Canada. Et de l’international. Faut aller voir ce qui se fait. Tu n’as pas été pris à Cannes? Ben arrête de chialer et va voir les dix films qui ont été pris. Et après ça, va à la Semaine de la critique, va à La Quinzaine des Réalisateurs, parle au monde, rencontre les gens. Rencontre aussi du monde qui font des films au Québec, mais aussi au Canada. Il y a beaucoup de moyens ici. Beaucoup de compagnies qui sont prêtes à donner des prix.

Faque arrête de chialer. Prends tout ce négatif-là et transforme-le en positif. Et mets-le dans ton cinéma. C’est ce que tu fais qui va parler pour toi. Ce n’est pas en restant chez vous et en chialant. Sors, va rencontrer le monde. « Ah, je ne suis pas à l’aise! Téléfilm, c’est trop gros! » Ben, tu peux lui parler à Carolle Bradant. Tu peux lui parler à Michel Pradier. Sont là! Ils vont même regarder ton film. C’est rendu de même. Ça fait 8 ans qu’ils font ça. Ça, c’est du positif. Il y a plein de belles histoires comme ça. On parle souvent du négatif. C’est fou. Cette semaine, je me suis encore fait dire : « Aye, c’est bon, du court métrage! » Non, je n’aime pas ça entendre ça! Et le fait que tu ne vois pas du bon court, ça me fait chier, parce qu’il y en a plein partout. Et c’est ça qui me tape sur les nerfs.

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Article par Francis Lamarre.

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