Émergeant d’un long processus de création, la pièce Complexe R, de la chorégraphe et spécialiste montréalaise de danses de rue Alexandra ‘Spicey’ Landé, était dévoilée au Montréal, Arts Interculturels (MAI) et a fait trois soirs combles. La technique était renversante et l’interprétation honnête pour de jeunes danseuses, dont quatre viennent tout juste de passer par les programmes de danse de l’UQÀM.
Spicey est une professeure et interprète reconnue pour son implication dans le milieu des danses de rue, notamment pour sa longue participation à Bust a Move, un concours de danses de rue qu’elle a créé et qui figure parmi les plus grands au Canada.
Elle a donc choisi de rassembler une b-girl, deux waackers et deux danseuses de hip-hop pour former la compagnie Ebnfloh (Christina Paquette, Axelle ‘Ebony’ Munezero, Marie-Reine Kabasha, Sandy Béland et Lakessha ‘KIKI’ Pierre-Colon). Cette toute nouvelle troupe exclusivement féminine rallie un éventail de styles de danses de rue: house, waacking, break, etc., et chaque interprète travaille à révéler une forte personnalité dans une théâtralité non-verbale. Chacune possède ses forces, mais certaines sont plus naturelles et justes dans leur interprétation. Toutefois, tout au long de la représentation une solidarité de groupe se fait sentir et les danseuses arrivent à nous plonger dans leur univers en bousculant nos codes et nos repères de représentation de danse contemporaine.
Ce soir-là au MAI, le public a réagi de façon bruyante et instinctive tout le long du spectacle. Des exclamations fusaient lors de prouesses techniques et quelques applaudissements ont surgi à la suite de séquences spectaculaires. Ce n’est donc pas dans l’habituelle ambiance calme et attentive que se déroulait cette pièce, qui poursuit une volonté de décloisonnement et de déhiérarchisation des styles, intégrant du hip hop à la scène contemporaine, un processus peu naturel pour des actrices du milieu.
Les cinq danseuses semblaient être toujours très conscientes les unes des autres, mais aussi en communication avec le public, se nourrissant des moindres réactions et encouragements. Elles ont débuté en faisant une entrée théâtrale pour s’installer dans une frontalité qui semblait un petit peu construite et nous ont fait découvrir brièvement leur spécialité technique et leur personnalité singulière. Les dynamiques au sein de la troupe étaient fluides, étroites et à l’écoute. Plusieurs costumes, éclairages et trames sonores rappelaient l’univers carcéral. C’est telles des prisonnières qu’elles ont exécuté des solos, comme pour prouver quelque chose au reste du groupe. Ces solos se fondaient en un trio pour se mêler ensuite à l’ensemble. Leurs performances se sont illustrées parfois sous forme de conflit, d’opposition et de résistance les unes aux autres, ce qui évoquait l’idée des battles, la forme par excellence des présentations de danses de rue. Les performances étaient bourrées de spontanéité et d’authenticité. La danseuse Axelle «Ebony» Munezero, aussi membre du duo Forêt Noire, était exceptionnelle. La maîtrise du waacking dont elle a fait preuve, sa rapidité d’exécution, la détente dans son interprétation étaient frappantes.

La pièce a été étroitement construite selon la musique. C’est avec Shash’U, DJ réputé du milieu des danses urbaines montréalaises, que Spicey a collaboré pour composer la trame sonore, suivant une esquisse de scénario préétabli. La troupe a ensuite travaillé la gestuelle et généré le mouvement à partir de la musique, l’impulsion est donc très souvent donnée par le rythme musical, une manière de faire qui n’est plus très commune dans la danse actuelle, tel qu’on en présente notamment sur les scènes institutionnelles.
En cherchant à élaborer un spectacle qui puisse s’inscrire sur la scène de danse contemporaine, c’est aussi le rythme, la performance, les liaisons, les déplacements et l’interprétation que la chorégraphe a dû modifier pour permettre la consolidation d’une pièce d’environ une heure. Généralement, les prestations de danses urbaines demandent aux interprètes de se dépasser en intensité, d’être continuellement dans un climax et cela s’est beaucoup ressenti dans Complexe R, une pièce qui tient constamment le spectateur en haleine. Au MAI, les transitions étaient parfois plus lentes, mais toujours fortes en émotions. Il serait intéressant de voir Spicey prendre le temps de positionner ses personnages, ses tableaux ou ses liaisons tout au long de la représentation, et pas simplement au début de la pièce. Cela ferait naitre une narration et une structure plus fluides et originales qui donneraient l’occasion à certains spectateurs de mieux s’approprier la pièce. Cependant, en faisant le choix qu’elle a fait, la chorégraphe reste fidèle à l’énergie de la culture hip-hop et à ses conventions.
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Complexe R de la chorégraphe Alexandra ‘Spicey’ Landé était présenté au Montréal, Arts Interculturels (MAI) du 12 au 14 novembre 2015.