Qui profite de qui dans From Afar, le premier long-métrage de Lorenzo Vigas? C’est la question que le spectateur se pose tout au long du film, mais à laquelle le réalisateur ne donnera jamais de réponse. D’abord parce que la vie pour ses personnages ne se limite pas aux barèmes du bien et du mal, de l’acceptable et du proscrit. Et ensuite parce que Vigas ne cherche pas à établir de bons ou de méchants, d’agresseurs ou de victimes.

Un peu comme les protagonistes du film, le spectateur doit donc se rabattre sur son instinct pour cerner les rapports de force qui se développent au fil du récit, même si pour lui, cette stratégie comporte son lot de risques.
Armando est un prothésiste dentaire qui paye de jeunes hommes, croisés dans les rues de Caracas, pour satisfaire une sexualité refoulée et maladive. Il rencontre un jour Elder, un jeune voyou sans scrupule qui travaille dans un garage à débosseler des voitures. Elder erre dans les rues de la ville, tel un chien perdu sans collier, qui passe de bande en bande avec comme unique motivation son instinct de survie. Pour lui, la vie n’est que cicatrices et blessures psychologiques.
La relation qui se développe entre les deux hommes est aussi énigmatique que malsaine, même si la présence de l’un atténue par moment la détresse de l’autre, et ce, à tour de rôle. Basée sur l’argent et le sexe, cette liaison dangereuse lie le sort des deux amants. Vigas aborde aussi par la bande les questions des relations père-fils, de la masculinité dans un monde latino-américain qui transpire la testostérone – surtout dans les milieux pauvres et cruels de Caracas – et le fait de se soumettre, volontairement ou non, à une autre personne.
Vigas joue sur les effets de focalisation, dictant au spectateur l’endroit où regarder. Utilisant l’espace à la perfection, il place souvent sa caméra juste derrière l’épaule des protagonistes, laissant l’arrière-plan dans le flou. À l’aide de longs plans fixes, entrecoupés de travellings dans les rues de Caracas, avec les personnages tournés presque toujours de dos, la réalisation est aussi économe que nerveuse.

Le long-métrage prend des airs de film mexicain et ce n’est pas un hasard. Scénarisé à partir d’une histoire de Guillermo Arriaga (21 Grams, Babel) et produit par Michel Franco (Después de Lucía), From Afar emprunte au cinéma mexicain ses codes et tangentes, mais garde son caractère vénézuélien propre. La preuve: la ville de Caracas est presque un personnage à part entière. En plus du décor urbain, tous les acteurs sont vénézuéliens. Contrairement aux habitudes scénaristiques d’Arriaga, From Afar tient plus du thriller psychologique que du drame social. Le vice, la déchéance, la pauvreté, l’exploitation et la trahison sont des thèmes centraux du film.
Jusqu’au dénouement que personne ne peut prédire, le premier long-métrage de Lorenzo Vigas mène le spectateur par le bout du nez. Hitchcock apprécierait. Film violent et sans compromis, From Afar frappe fort et laisse complètement pantois quiconque n’est pas sur ses gardes.
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From Afar (Desde Allá) de Lorenzo Vigas était présenté dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, du 7 au 18 octobre 2015.
Article par Gabriel Parent Jutras.