J’ai parfois tendance à observer la cause féministe avec agacement. Je n’y peux rien, c’est plus fort que moi, malgré les chiffres consternants qui circulent à propos de l’équité salariale. Loin de moi l’idée de vouloir les nier, seulement voilà, mes impressions récalcitrantes refusent d’y adhérer complètement. Comme si je considérais le combat comme gagné depuis longtemps. Ça vient probablement de l’enfance et du modèle familial. Foutue psychanalyse. N’empêche que ma mère m’en a tellement parlé, de ce fameux combat. Pendant qu’elle et mon père préparaient à souper. Elle était toujours un peu plus enflammée quand elle parlait d’inégalité. Surtout celles qui touchaient directement les femmes. Chez moi, les passe-temps comme les devoirs n’avaient généralement pas de sexe. Sauf lorsque ça requérait des forces ou des intuitions innées à l’un ou l’autre des deux pendants humain. N’en venons tout de même pas à nier les attributs qui caractérisent l’homme et la femme. L’égalité oui, bien sûr. S’imaginer que ces deux bêtes brillantes sont pareilles en toute chose, sûrement pas!
J’estime que ce sont ces valeurs d’égalité que m’ont transmises mes parents qui sont ironiquement responsables de ce vague désintérêt face à la cause féministe. Il me faut donc, à moi comme à plusieurs, de perpétuels rappels de cette condition, afin de ne pas oublier le chemin qu’il reste à parcourir, au Québec comme ailleurs dans le monde. Un peu comme un téléspectateur de Vision Mondiale qui s’étonne chaque fois de la pauvreté dans le monde. Eh oui, ces problèmes, on me le confirme, semblent longs à régler.
Ce rappel ponctuel, j’y ai eu droit en visionnant le dernier film de Paule Baillargeon qui vient tout juste de recevoir un Jutra pour l’ensemble de sa carrière. Toujours est-il que je ne connaissais pas la grande dame du féminisme québécois, faute qui pourra sans doute être placée sous le compte de mon jeune âge. Je ne connaissais pas non plus sa carrière des plus riches, que ce soit comme comédienne, réalisatrice ou dramaturge. Ayant travaillé comme actrice avec ceux que l’on reconnaît généralement comme les plus grands du cinéma québécois (Claude Jutra, Denys Arcand et Léa Pool), elle s’investit également au théâtre en fondant le Grand Cirque ordinaire, première troupe de création collective avec entre autres Pierre Curzi que l’on connaît aujourd’hui pratiquement plus comme député démissionnaire du Parti Québécois que comme acteur. Mais Paule Baillargeon n’est pas la femme d’un seul projet et réalise aussi de nombreux longs métrages qui marqueront notre cinéma. Ses deux œuvres les plus marquantes restent Anastasie oh ma chérie ainsi que La cuisine rouge, toutes deux marquées par des revendications féministes très fortes et une réflexion pertinente sur le rôle de la femme. On se souviendra entre autres de scènes où une femme se fait habiller de force, violée à rebours. Ou encore des femmes de La cuisine rouge faisant la grève de tâches ménagères, laissant leurs hommes dans leur crasse.
Tout ça pour dire que son nouveau film, Trente tableaux, autobiographie impressionniste, arrive sur nos écrans le 23 mars prochain. C’est une occasion en or pour ceux et celles qui ne connaissent pas encore Paule Baillargeon. Prenant la forme de 30 souvenirs mis en images dans le désordre, Trente tableaux nous dévoile la femme de contraste qu’est la cinéaste. Tantôt assoiffée de vivre, pleine de revendications et de colère, elle n’hésite pas non plus à se montrer au bout du rouleau, la corde presque au cou, traitant des multiples pensées suicidaires qui ont traversé sa tête. Peu à peu, on comprend le personnage à la fois extrêmement sensible et fortement militant qui se tient debout à l’écran, envers et contre tous. Chaque fois, la mémoire est fouillée pour raconter au présent une anecdote marquante de sa vie à un âge précis. Sa rencontre-choc avec une littérature osée, le jour où elle a voulu dessiner Robin Hood et ses premiers écrits virulents. Paule s’occupe de nous raconter le tout, narrant les animations, les scènes tournées et les images d’archives qui composent le documentaire. À travers ses propres dessins et les extraits de ses films, on découvre l’artiste derrière la femme. Ou ne serait-ce pas le contraire, la femme devant l’artiste? À voir l’envergure des deux, on ne sait plus.
Projet assez audacieux,Trente tableaux, a toutefois parfois l’air bricolé. Si certaines animations des plus magnifiques s’insèrent parfaitement dans le récit, d’autres donnent l’impression de n’être là que pour combler l’espace. La qualité de plusieurs scènes tournées dans le Nord québécois laisse à désirer, faisant penser à celles que l’on aurait tous pu tourner dans un chalet avec une caméra MiniDv. Recherche-t-on ici une intimité bricolée avec quelques archives familiales? Le résultat ne convainc pas parfaitement. Malgré ces quelques détails Paule Baillargeon tient un pari difficile, celui de raconter elle-même sa vie, tout en nuances. L’essentiel est là et si contrairement à elle, je n’estime pas que toute vie se doit d’être racontée, je suis bien d’accord que la sienne en vaut la peine, et pas simplement parce qu’elle est cinéaste en résidence à l’Office national du film depuis deux ans. Plutôt parce qu’elle a su se battre contre la condition de sa grand-mère, celle de sa mère, la sienne et se bat toujours pour celle de sa fille.
« Je porte ma mère, et je porte symboliquement toutes les femmes. On a fait la révolution parce qu’on était indignées par ce que nos mères vivaient, par le manque de reconnaissance de leur travail acharné dans la maison, 24 heures par jour », explique-t-elle dans une entrevue accordée à Nathalie Bissonnette de la Gazette des femmes.
J’estime que la vie de Paule Baillargeon mérite d’être contée parce qu’elle a su être critique quand il a fallu l’être. Au sens le plus fort du mot. Parce qu’elle a su trouver sa voix dans le milieu hautement masculin qu’est traditionnellement le cinéma.
« J’ai été radicale et ça m’a nui. Pourtant, les hommes radicaux qui assument leur révolte, on les aime. »
Faut le faire quand même, réveiller le féministe qui sommeillait en moi. De l’agacement à l’émerveillement. Il ne faut parfois qu’un rappel ponctuel. Sauf que les rappels à la cause féministe ne possèdent pas tous la même qualité que Trente tableaux.
[Paule Baillargeon 2011, Québec, 81 min, V.O. française, Dist.: ONF]
Trente tableaux de Paule Baillargeon prend l’affiche le 23 mars à l’Excentris.