L’Artichaut magazine était présent pour le rendez-vous littéraire de l’année, le Salon du livre qui célébrait pour l’occasion ses 40 ans d’existence. Pour couvrir l’évènement, le magazine a délégué deux de ses membres pour être vos yeux et vos oreilles durant quelques-unes des centaines d’activités organisées du 15 au 20 novembre, et pour vous offrir un compte rendu complet du Salon. Retour sur une semaine folle !

Mercredi 15 novembre – Jour 1
Le Salon du livre de Montréal a ouvert ses portes mercredi matin. Avant même d’arriver à la salle des exposants, nous sommes transportés dans l’exposition « Le Lactume ». 198 dessins et textes réalisés par Réjean Ducharme sont exposés sur les murs qui bordent l’allée au Salon du livre. Envoyé à Gallimard en 1966 par Ducharme, « Le Lacutme » était, à la base, destiné à être publié sous forme de livre. Oublié, celui-ci n’est publié que 51 ans plus tard aux éditions du passage. Extraits de leur cadre livresque, ces dessins colorés aux allures enfantines ont donc pris la forme d’une exposition éphémère donnant le ton au Salon dès notre passage des tourniquets.
Inauguration du 40e Salon du livre de Montréal
Passés l’exposition, nous accédons à la salle des invité.e.s d’honneur où nous défilons sobrement devant chacun de leur portrait. Véritables ambassadeurs et ambassadrices de la littérature, ils et elles ont comme rôle de représenter les 2000 auteur.e.s qui prendront part à l’événement. Par la suite, nous arrivons à la salle des exposants. Regroupant plus de 1000 maisons d’édition à travers la province, le Salon du livre est passé maître dans l’art de promouvoir les produits livresques de tout acabit. Romans, bandes dessinées, essais et mêmes livres de cuisine nous entourent à nos premiers pas dans le Salon, alors que nous déambulons dans les allées de ce lieu labyrinthique, non pour en sortir mais pour s’y perdre. À la recherche de notre prochain coup de cœur, nous sommes surpris par un tambourinement. Résonnant jusque dans les hauts plafonds de la salle d’exposition, ce son qui pique notre curiosité est celui d’une parade. Cette année, l’inauguration du 40e Salon du livre de Montréal prend la forme d’une parade qui défile entre les kiosques, suivie dans son sillage par la présidente et les invité.e.s d’honneur. Ceux-ci nous invitent à les rejoindre à la « Grande place » pour l’inauguration officielle.
La mission du Salon du livre, nous mentionne la présidente Mme Gilda Routy dans son allocution, est de permettre la rencontre et l’échange entre l’auteur et son lecteur. Nous savons que l’acte de création, comme celui de la lecture, est un acte qui relève de la solitude. Le Salon du livre de Montréal désire donc, une fois par année, briser cet isolement et rassembler les auteurs et les lecteurs entre eux.
L’événement est aussi l’occasion de reconnaître le travail de l’édition québécois. Le prix Marcel Couture pour l’excellence éditoriale reconnaît chaque année le travail colossal déployé par un éditeur ou une éditrice québécois.e et sa qualité éditoriale pour un ouvrage illustré. Cette année, il fut décerné aux Éditions de l’Homme pour leur travail éditorial dans le cadre de la publication Les Montréalais. Portraits d’une histoire de Jean-François Nadeau. Le prix Fleury-Mesplet (Fleury Mesplet est le premier imprimeur en langue française au Canada), remis à une personne ayant contribué au progrès de l’édition au Québec, a été attribué à Robert Soulières. C’est en 1996 qu’il a fondé Soulières éditeur une maison d’édition spécialisée dans la littérature jeunesse. Malgré ses ressources modestes et ses deux employé.e.s, la maison publie environ 16 titres par année. Étonné par cette reconnaissance, Robert Soulières était toutefois très touché en recueillant son prix.
Jeudi 16 novembre – Jour 2
Dès 17h, lors de sa deuxième journée d’activité, le Salon du livre est envahi par les tables rondes, les conférences et même des lectures lors du « Jeudi Littéraire ». Plusieurs personnalités se rassemblent afin d’échanger sur des sujets et de métisser leurs idées. Une belle occasion de dynamiser la littérature et d’éveiller les passions autour des sujets de l’actualité. Puisque certaines tables rondes se chevauchent, il nous est impossible d’assister à toutes les conférences. Le choix est difficile, mais le triage s’impose : retour sur trois tables rondes.
Table ronde : Femmes, stéréotypes et littérature.
Composée de Lili Boisvert (autrice du Principe du Cumshot), de Julie Boulanger et d’Amélie Paquet (blogueuses et autrices[1] du Bal des absentes), cette table ronde se penchait sur la place des femmes dans la littérature au Québec. En partant de leur publication respective, les autrices ont tenté de répondre à cette vaste question. Dans Le principe du Cumshot, Lili Boisvert nous explique que cette action du « cumshot » (l’éjaculation de l’homme sur le corps des femmes comme acte obligé et final du coït pornographique), provenant justement des scénarios de pornographie, accompagne les femmes dans leur vie. Lors de cette scène finale, les femmes sont prises comme « cibles passives » alors que les hommes « actifs » déchargent sur elles leur désir. Cette bicatégorisation homme/actif, femme/passive n’est pas nouvelle, mais elle s’actualise dans l’œuvre de Lili Boisvert, comme dans celle de Julie Boulanger et d’Amélie Paquet. Toutes les deux professeures de littérature au Cégep, elles nous parlent de leur expérience. Constatant l’absence de femmes dans les plans de cours de leurs collègues et l’absence d’espace de rencontre entre professeur.e.s, elles ont démarré le blogue le « Bal des absentes » afin de mettre en valeur le travail des écrivaines. Les deux autrices témoignent de leur expérience de cours : alors que leurs classes sont composées de deux tiers d’étudiantes pour un tiers d’étudiant, elles constatent que les garçons sont davantage vocaux, propices à prendre la parole deux fois plus souvent que les filles. Plutôt silencieuse, elles écoutent. Les femmes doivent-elles encore subir cette injonction à la passivité ? Comment peuvent-elles briser ces clichés ? Tels étaient les questions adressées aux conférencières et par le fait même à l’auditoire majoritairement féminin venu les écouter.
Table ronde : La littérature franco-canadienne. Littérature d’accueil.
« Comment la littérature de la francophonie canadienne réussit-elle à intégrer les écrivain.e.s d’un peu partout ? ». Voici la question à laquelle tentaient de répondre trois panélistes : Gabriel Osson (Hubert, le Restàvek), Didier Leclair (Le bonheur est un parfum sans nom) et Louenas Hassani (La coureuse des vents). Méconnue dans notre province, la littérature francophone hors Québec était le pôle central de cette table ronde. Les auteur.e.s ont souligné.e, certes, les risques que prennent ces maisons d’édition exogènes en s’installant dans des milieux majoritairement anglophones, mais surtout leur volonté de donner la parole aux voix marginalisées et immigrantes. Lors du lancement de la programmation du Salon du livre, la présidente avait mentionné l’intérêt cette année à accorder une plus grande place à ces voix et à promouvoir leurs œuvres. Et c’est ce que cette table ronde accomplit. Ces trois panélistes nous ont apporté un regard différent sur des enjeux peu connue au Québec. Parcourant les thèmes de l’inscription, de la langue et de la figure de l’Autre, ces auteur.e.s, au carrefour d’une multitude d’identités, ont dressé le panorama riche en expérience d’une littérature francophone et non québécoise.
Lecture : Pour mémoire – Lecture d’écrivaines du monde
Onze membres du Comité Femmes du Centre québécois du P.E.N. international se sont rassemblés afin de lire des extraits de textes d’écrivaines à qui la parole a été retirée. Ces écrivaines ont été emprisonnées, censurées, exilées ou assassinées en raison de leurs écrits. La littérature est salvatrice pour celles et ceux dont la parole est légitimée, autorisée, mais elle devient un acte dangereux et courageux pour ces femmes dont on ne veut pas entendre la voix. La littérature devient ici un risque, et c’est pour cette raison que les membres du Comité Femmes du Centre québécois du P.E.N. international ont tenu à prêter leur voix à celle de ces femmes. En provenance de Kuujjuaq, de la Turquie, de l’Autriche, de l’Argentine, d’Haïti, de la Syrie, mais aussi du Québec et de la France, leurs mots se sont fait entendre afin de ranimer leur présence le temps d’une lecture éphémère, un soir seulement.
Vendredi 17 novembre – jour 3
Tables rondes : Le renouveau des librairies indépendantes au Québec.
Une discussion à chaud avec des sommités en la matière. Pour l’occasion Éric Blackburn (Port de tête) et Jonathan Vartabédian (Librairie du Square) furent invités pour s’entretenir de l’horizon des librairies indépendantes, sous la menace de l’immanente conversion numérique et d’une énième crise du livre annoncée (comme si la littérature trouvait une stabilité dans sa précarité, dans ce «là sans appui» de Saint-Denys Garneau[2]) le tout supervisé par Annabelle Moreau. Il n’est pas question pour les libraires d’endiguer la menace du numérique, inexorable en tout point, mais plutôt de l’accompagner, de la prendre à bras le corps et de participer à son processus. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire, notamment du côté de l’implantation d’une réglementation en bon et due forme, adaptée à notre réalité. Comme le mentionnait Éric Blackburn, il est dommage qu’une majorité des ventes numériques pour les écoles se fassent du côté des compagnies états-uniennes, mais la faute provient-elle de notre insuffisance à répondre à la demande ? Dans tous les cas, les deux libraires pensent que nous allons dans la bonne direction. Notamment dans le quadrilatère du quartier Mont-Royal, où les librairies fleurissent et coopèrent les unes avec les autres, marqué par cet esprit communautaire si typique du quartier. La solution pour les librairies indépendantes demeure toutefois de mettre en jeu des compétences de libraires et une librairie personnalisée qui propose un produit différent et diversifié. L’idée étant de mettre en relief une biblio-diversité de qualité se détachant des patterns de vente habituels et qui ne s’appuie pas sur la vente de best-sellers.
Lecture : Livre comme l’air.
Dans le cadre de la journée internationale des écrivains emprisonnés, Amnistie internationale Canada francophone, le Centre québécois du P.E.N. et l’Union des écrivains et des écrivaines québécois présentent la lecture inédite de dédicaces écrites par des écrivain.e.s québécois.e.s pour dix écrivain.e.s emprisonné.e.s un peu partout dans le monde. Nous attendions l’évènement avec impatience et avec une certaine réserve, pour le périlleux concept de confronter le poids de mots d’écrivain.e.s de chez nous à ceux d’écrivain.e.s traversé.e.s par l’expérience de la captivité, par la violence de la censure, et qui ont éprouvé jusque dans leur chair le prix de la liberté. Y a-t-il du risible à la croyance en l’action salvatrice des mots ? Aux possibles d’une écriture livrée à l’altérité et à l’interdit des frontières ? Il semble que non. Ce fut du moins le mot d’ordre de la soirée, le leitmotiv répété à satiété par les différents locuteurs, en commençant par Jean-Marc Desgent en maître de cérémonie qui donne le ton à la soirée avec un discours percutant et déclamatoire sur le droit à la création. Il ne faut pas, avertit-il, «se faire refuser le droit à l’aventure humaine» par les bourreaux qui perçoivent «la machine à écrire comme un moyen de détruire sa réalité», et non comme un moyen de la transformer. Par la suite, un à la suite de l’autre, les écrivains et écrivaines ont lu leur dédicace, après une brève présentation de chaque jumelage. Des différents «crimes» commis par les écrivain.e.s incarcéré.e.s, quelques-uns relèvent de l’absurde : le journaliste turque Ahmet Altan fut emprisonné pour avoir transmis à la télévision des messages subliminaux pour la sédition. Alors que Golrokh Ebrahimi Iraee doit sa condamnation à un roman sur la lapidation, jamais publié… Les histoires racontées sont multiples et nous saurions leur faire justice ici. Mais elles témoignent bien de l’importance des «humbles gestes» pour protéger et propager la liberté d’expression, et du vecteur que constitue Livre comme l’Air dont 98 des 163 écrivain.e.s soutenu.e.s ont été libéré.e.s.
Cette année, les jumelages sont :
- Fanny Britt avec Liu Xia (CHINE)
- René Derouin avec Nazir Al-Majid (ARABIE SAOUDITE)
- Bernard Gilbert avec Ahmet Altan (TURQUIE)
- Isabelle Larouche avec Tayseer Salman Al Najjar (ÉMIRATS ARABES)
- Pauline Michel avec Golrokh Ebrahimi Iraee (IRAN)
- Mylène Paquette avec Mehman Huseynov (AZERBAÏDJAN)
- Hubert Nigel Thomas avec Nabeel Rahjab (BAHREÏN)
- Paul Roux avec Yahia Al Jubaihi (YÉMEN)
- Virgil Serban avec Shamael Al-Nur (SOUDAN)
- Nicole Vachon avec Hengameh Shahidi (IRAN)
Samedi 18 novembre – jour 4
Conférence : Wilfred Laurier ou la biographie d’un écrivain.
Simple entretien rondement mené par le sénateur André Pratte, récemment signataire d’un ouvrage sur l’ancien premier ministre, avec la complicité de Jacques Désautels. Nous suivons la trajectoire de Wilfrid Laurier, son rôle d’éditorialiste dans un journal, son saut en politique et ses luttes contre les ultramontains. Les deux conférenciers prennent bien le temps de nous mettre en contact avec le pouls de l’époque : notamment l’influence de l’Europe sur le Canada et l’écho des révolutions à travers le continent qui perturbe le pouvoir ecclésiastique. Enfin, André Pratte démystifie l’effet du discours de 1977 à Québec qui aurait propulsé Laurier en tant qu’un des leaders canadiens. Selon lui, le discours aurait pris du temps à s’imprégner dans l’imaginaire public contrairement à la croyance populaire.
Table ronde : «Bad Hombres» – ces écrivains du Sud qui fracassent les frontières au Nord du 49e.
Discussion un peu décousue sur la littérature latino-canadienne. Le sujet était prometteur, mais fut en quelque sorte malmené par une animatrice inconfortable avec la langue de Molière. Cela dit, la discussion ne fut pas sans intérêt, et nous relevons certains des points soulevés par les trois spécialistes invités. Qu’est-ce que la littérature latino-américaine au juste ? Selon eux, c’est une littérature écrite en espagnol/portugais mais écrite au Canada. Mais elle ne se limite pas à cette définition d’usage; car, d’une génération à l’autre, cette littérature trouve sa propre forme et sa propre voix. La définition inaugurale s’applique effectivement à la première souche générationnelle, celle qui a vécu l’exil. Mais pour les autres, nées au Canada, leur lien avec leur pays d’origine se passe dans la transmission d’un héritage culturel, en tension avec celle dans laquelle ils vivent. Ainsi vu, la littérature latino-américaine serait un acte d’appropriation dans un espace nouveau, un acte de rupture d’où émerge leur hybridité, leur porosité identitaire.
Table ronde : L’instant même présente : l’art, influence ou reflet de la société.
En compagnie de David Dorais (Que peut la critique littéraire ?), de Mélissa Labonté (Faire Maille), de Maxime Labrecque (Le film choral, panorama d’un genre impur) et de Jean-Marie Lanlo (Le cinéma québécois au féminin), nous sommes entrainés à réfléchir le rôle de la critique littéraire, le tout sous la perspective des livres écrits par les panélistes. Faut-il admettre que le critique littéraire peut influencer l’auteur.e ? Car au fond est-il maintenant davantage un intermédiaire, un promoteur de la culture livresque qu’un «éclaireur» de la littérature ? Comme le mentionne Lanlo (parfois trop en verve), la critique n’est pas la fin en soi; il est, dans son idéal, l’instigateur d’un dialogue, le carburateur d’une réflexion. Mais il lui incombe aussi de rendre accessible d’autres formes, d’étoffer la culture de son lecteur, d’élargir sa vision et a fortiori de changer les paradigmes en place. D’ailleurs, les essais des auteur.e.s invité.e.s avaient cette base commune d’être une réaction à un statu quo, visant à le défaire, à le changer.
Le Salon du livre de Montréal se déroule annuellement à la place Bonaventure.
[1] Notons qu’elles se définissent en tant qu’autrice et non en tant qu’auteure, d’où l’emploie personnalisé du terme.
[2] Hector de Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace, Montréal, Boréal, 1993, p. 7.
Article par Annie Gaudet.