Proposant une interprétation plutôt noire des environnements parallèles, la dernière création du chorégraphe Frédéric Tavernini, présentée sur la scène contemporaine du théâtre La Chapelle, emprunte au théâtre d’objet, à la performance sonore, à la poésie, à la philosophie et à la danse contemporaine, bien sûr.
Au sein de ce spectacle pluridisciplinaire, Tavernini s’interroge sur ce qu’est un paracosme. Selon ses différentes propositions, un paracosme ressemblerait à un enchevêtrement de directions réflexives, un dédale futuriste, un univers chaotique où lui-même, l’interprète Anne Thériault, le comédien Emmanuel Schwartz et le performeur et concepteur sonore Stéfan Boucher se déplacent à tâtons à travers ces «multiples versions de soi» et ces «milliers de cadavres» que forme notre futur dépeint ici à la Enki Bilal. Dans le programme, le chorégraphe nous prévient: «Avec cette pièce je tourne une page de ma vie et me place vers demain.»

Affublé d’une majestueuse tête de licorne blanche, Boucher rejoint d’abord son poste dans le coin arrière de la scène – il la portera tout au long de sa performance accentuant ainsi la difficulté de l’exercice. Les trois interprètes le rejoignent lentement, la tête coiffée d’un long chapeau pointu noir qui descend jusqu’aux épaules et leur cache complètement le visage. Le pointant parfois vers l’avant, parfois bien droit, leurs silhouettes se métamorphosent en des créatures mi-animales mi-robotiques se déplaçant appuyées sur leurs points fermés tournés vers l’intérieur et tirant leurs longues jambes mal articulées. Des néons éclairent la scène d’une lumière froide et électrique. Les corps se déconstruisent et proposent de nouvelles entités jusqu’alors inconnues.
Les textes que récite Schwartz à voix haute soulèvent eux-aussi les questionnements évoqués par les formes et les mouvements. Debout au micro, il formule une définition de l’utopie lui permettant ainsi d’aborder la place complexe de l’être humain dans un schéma collectif. Écrits en collaboration entre Tavernini, Schwartz et Bouchard, ces textes parlent de la création d’un nouveau monde, de voyages philosophiques, et abordent aussi le caractère éphémère du corps, la maladie et la constitution cellulaire de l’épiderme, alternant ainsi entre réflexions existentielles à petite et grande échelle. À l’occasion, Schwartz joue avec les mots provenant d’un registre de vocabulaire propre au corps, ou encore narre des actions passives. Les enchainements tendent vers l’absurde mais conservent une simple poésie.
Le duo de Tavernini et Thériault nous permet un moment de nous reconnaitre dans cet univers déroutant qui sort des schèmes plus classiques de spectacles de danse contemporaine. Ensemble, ils font transparaitre une volonté d’établir un contact humain, ils partent à la recherche d’un itinéraire, submergés par des sons grinçants, métalliques et électroniques percés à l’occasion de bribes de mélodie. L’enchainement est dynamique et parvient à ne pas tomber dans les clichés – la posture singulière de Tavernini, sa force puissante et son impression de solidité aidant grandement.
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À certains moments, les bruits saturant l’atmosphère ajoutés à la répétition successive d’une séquence de gestuelle font écho au chaos souvent présent dans une recherche d’explications de sens de l’existence. Ces questionnements, en plus d’un décompte final clôturant la pièce, s’inscrivent on ne peut mieux en cette période mouvementée socialement où nombreux d’entre nous semblent chercher des réponses à un vivre ensemble dans un futur perçu ici comme macabre.
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La pièce de Frédéric Tavernini, Wolf songs for lambs,, présentée au Théâtre La Chapelle en co-production avec Clovek & The 420 du 14 au 18 avril 2015.