Maintenant gestionnaire des médias sociaux du magazine, ça, ça veut dire que mon bébé (l’écriture) est soumis à des compromis. Même si c’est bien hot de créer des designs sur Canva, je m’ennuyais d’écrire. Alors, le fameux film auquel j’ai consacré une partie de ma nuit se nomme Soleil Atikamekw : une production multilingue – Atikamekw et Français – (avec sous-titres français). Non seulement le résumé m’intriguait, j’avais aussi pas mal honte de ne pas avoir encore écrit sur une œuvre mettant en lumière les réalités de communautés autochtones.
En tout cas, cette création a été réalisée par Chloé Leriche, une femme plutôt cool qui scénarise, réalise et monte ses courts et longs métrages depuis 1999. Son plus récent travail, le film dont je vous parle, a gagné plusieurs prix et a été présenté dans plusieurs festivals internationaux. Par exemple, le prix du public du Festival du Nouveau Cinéma a nommé Soleil Atikamekw le meilleur film francophone en 2023 ;Un autre prix du Festival du Film de Whistler en 2023 pour la meilleure interprétation – pour l’ensemble de la distribution a été gagné. ( https://www.cinematheque.qc.ca/fr/cinema/soleils-atikamekw/_) Et puis j’en passe.
Pour commencer, je tiens à dire que le format de ce texte va peut-être vous sembler non conventionnel. Ne vous en faites pas, l’histoire sera résumée, c’est juste qu’elle sera mise sur pause quelques fois pour que je vous partage des commentaires, des pensées, des courtes analyses et critiques. C’est comme si vous alliez lire mes réactions en temps réel puisque je visionnais, je mettais pause, j’écrivais – on repeat. Bref c’est simple, la narration et l’analyse se chevauchent.
Tout d’abord, le film se déroule à Manawam (une réserve autochtone du Canada) en 1977. Si vous ne le saviez pas (moi je ne le savais pas), un drame d’une grande tristesse est arrivé à la communauté Atikamekw le 26 juin de cette année-là. Cinq personnes de la réserve – Denis Petiquay, Lionel Petiquay, Julia Quitich, Thérèse Ottawa-Flamand, Marie-Nicole Petiquay – ont été victimes de crimes horribles et elles ont été tuées. L’histoire prend de l’ampleur sur le plan judiciaire en 2016 pour plusieurs raisons. Vous lirez plus loin quelles sont celles-ci. Ainsi, la réalisatrice s’est donnée pour tâche de relater la version des proches des victimes en élucidant ce qui est réellement arrivé ce jour-là.
Ça démarre et puis boom – deux étrangers blancs de Montréal débarquant d’une camionnette bleue s’introduisent sur la réserve, en se précipitant vers la rivière pour s’y baigner. Des Atikamekw à côté d’eux ne font pas de chichi et les laissent faire. Nous sommes transporté·e·s par après dans une soirée bleutée qui se défile. Elle décore l’ambiance d’une nuit bien arrosée entre ces mêmes étrangers blancs et des Atikamekw. Les bières s’échangent et on nous donne l’impression qu’une petite fête se tient au bord de la rivière. Malgré tout, je remarque que les Atikamekw semblent beaucoup plus en état d’ébriété que les deux gars. Prochaine chose qu’on sait c’est qu’ils·elles s’en vont en ville. Nous les voyons quitter la réserve avec les gars dans leur camionnette bleue.
Philippe (Oshim Ottawa) et Martha (Wikwasa Newashish-Petiquay), un couple de la réserve, se retrouvent plus tard et vont les rejoindre en ville, sauf qu’il·elle ne trouvent pas leurs proches qui seraient censésêtre arrivés déjà. Les amoureux n’en font pas un gros plat, ils font la fête tous deux ensemble jusqu’à l’aube.
La nuit s’est écoulée et on tombe directement dans le regard déboussolé des deux gars le lendemain matin. La caméra nous amène face à face avec un officier du poste de police de la place. Nonchalant, il se demande bien ce qu’ils font à Manawam, et à eux de dire qu’ils sont ici pour la pêche… De retour en ville, nous recroisons Philippe et Martha qui sont interpellé·e·s par une voiture de police avec le même officier obligeant Philippe à embarquer avec lui. La camionnette bleue des deux gars a sombré dans la rivière la nuit passée.
Prochaine chose qu’on sait, Philippe se fait donner l’instruction d’ouvrir les portes arrière de la camionnette et cinq corps violentés s’y retrouvent, souffle éteint. Les paroles qui ont suivi cette scène m’ont profondément dégoûtée, je les ai trouvées tellement mais tellement sales : « Checke, tourne-les et dis-moi si tu les connais ». Le rapport de l’officier estdonné à Philippe et à Marthaet on leur ordonnede le donner à Manawam. Le traitement impur persiste alors qu’ils demandent à qui le remettre : « à qui vous voudrez ». En bref, les deux blancs s’en tirent sans conséquences et la mort de cinq personnes noie de peine une communauté entière.
Il y a par ailleurs une inclusion de paroles rapportées par les proches des victimes à l’intérieur de certaines scènes fictives du film. Angèle (Mirociw Chilton), la sœur de Denis, une des victimes, dit se rappeler seulement du visage de sa mère lorsqu’elle a appris la nouvelle, sinon, elle ne se rappelle d’absolument rien d’autre de ce jour dit-elle. On dirait que ces paroles rapportées sont l’empreinte d’un sentiment, le son de leurs voix imprégné dans l’expression des visages des personnages. Cette œuvre mettant justement l’emphase sur la parole des proches des victimes, leurs voix nous partagent des visions, des rêves, des perceptions. Leurs yeux, quant à eux, nous montrent leur peine, leur perte, leur colère, leurs souvenirs.
Ici je désire parler de l’utilisation de couleurs froides naturelles qui peignent des portraits mettant en scène la beauté. Notre perception de ce qui est froid, suscitant des choses plutôt moroses, est altérée. La coloration froide de l’image rappelle toute autre chose : la clarté. On voit dans ce cas-ci la finesse du travail de la réalisatrice. La beauté dont je vous parle on l’aperçoit dans les scènes de funérailles, de chants commémoratifs, de rituels, etc. Où il y a eu noyade, nous voyons des enfants qui se baignent et s’amusent dans l’eau. Le cheval de Thérèse (une des cinq victimes) accompagne Sauterre (Carl-David Ottawa) dans la rivière, comme pour aller vers elle. À l’opposé, les couleurs chaudes sont présentées dans l’obscurité, le noir les habille, elles sont tout de même visibles mais leur décor est sombre. La sœur d’une des victimes partage la hantise de la rivière et puis ses paroles sont illustrées dans une nuitée d’un mauve foncé encadrée de noirceur. de nouvelles paroles témoignant d’une chose qui a changé en elle un jour, une chose qui l’a menée à finalement remercier la rivière d’avoir purifié son frère propose cette fois-ci une automobile jaune disposée sous la lumière stridente de lampadaires. Enfin, la présence de contraste entre les couleurs et les émotions tout au long du film montre une attention particulière qui, selon moi, vaut la peine d’être reconnue.
La réalisation minutieuse je la retrouve également dans l’insertion d’une trame sonore. C’est au son de percussions lentes que le sentiment de deuil est acheminé de l’écran vers nous ; alors qu’ils doivent attester les corps des victimes et faire face aux corps torturés de leur sœurs, leur fils, leur épouse. L’absence de trame sonore outre cet extrait fait en sorte que notre attention est davantage concentrée sur la brutalité, à la fois tragique et mystique, du contenu visuel.
À savoir que la tragédie n’a pas été couverte dans aucuns journaux des alentours, rien. C’était comme si rien n’était arrivé. Les autorités disent que c’est un accident, mais ce long-métrage met en lumière une version tout à fait opposée. Il y a eu une déposition signée par deux témoins, alors qu’il y aurait dû en avoir deux ; c’est-à-dire, une par témoin. La question se pose « ça prend quoi pour avoir une vraie enquête ? ».
Telle est la question que Marcel (Jacques Newashish) a posé à plusieurs reprises aux autorités. Ses tentatives ont abouti à ce que soit ouverte une nouvelle enquête de la police: le coroner a finalement conclu à un acte criminel de la part du conducteur deux mois plus tard. Mais, aucune accusation n’a été portée. Les années ont passé, mais les pressions des familles n’ont pas cessé. C’est ainsi qu’en 2016 la Sûreté du Québec rouvre son enquête. Toujours est-il que « les témoignages recueillis par le coroner en 1977 sont introuvables. De plus que la déclaration des deux suspects ne peut être admise en preuve. Aucune accusation n’est portée. » À ce jour, la mère de Denis Petiquay continue de se questionner sur ce qui s’est réellement passé. Elle veut savoir avant de mourir, elle dit, elle veut connaître la vérité, elle veut comprendre pourquoi son fils n’a pas survécu. Et c’est d’une grande tristesse que les preuves restent introuvables et que les responsables n’ont que faire de la paix, de l’assouvissement de la conscience d’une mère endeuillée par la mort de son fils.
Que ce soit les viols, la torture, les meurtres, une enquête inexistante, une évaluation plus que douteuse attestant aucunes blessures suspectes ou même encore l’absence d’un rapport d’autopsie, le traitement qu’ont eu ces victimes est abominable. J’ai honte de mon monde. L’état des corps ne semblait pas résulter d’une noyade ; la peau n’était pas bleue, les membres n’étaient pas gonflés d’eau. La communauté fait l’objet de colère, d’alcoolisme, de traumatismes. En avoir plein la vue de cette hostilité systématique à l’égard des autochtones (la xénophobie) a pour conséquence, selon moi, une sensibilisation envers ce phénomène vécu par ces gens. Traiter la mort d’une telle façon est d’une déshumanisation telle que les mots n’existent pas pour en rendre compte. C’est une raison de croire que la primauté blanche ce jour-là a javellisé le sang sur les mains des meurtriers et l’impureté dans les yeux des policiers.
Ce drame véritable a débuté dans l’obscurité de la nuit où deux hommes blancs ont drogué un groupe d’Atikamekw, il s’est poursuivi dans les yeux de Philippe voyant les culottes baissées de ses amies empilées les unes sur les autres, il a persisté dans les sanglots de la mère de Julia Quitich qui découvre les coupures de bord en bord de l’estomac de sa fille, il continue de vivre dans le silence de la mère des Petiquay et il va continuer d’exister dans leur mémoire.
La nature, plus précisément la rivière, semble être le réceptacle de leurs visions, rêves, fictions, etc. Elle qui abreuve de vivacité le regard et l’âme de la communauté. Comme dans ce moment de fleurs violettes éclatantes où une brume se propage lentement jusqu’à ce qu’elle disparaisse en sortant du cadre, cela fait allusion je crois à la présence des morts traversant la nature et le territoire sur lequel la communauté vit. En plus, les familles des victimes se demandent souvent entre elles si elles ressentent leur présence. Ces questionnements voyagent dans la bouche des Atikamekw ; tous·tes racontent différemment la manière dont il·elles croient avoir côtoyé la présence de leurs êtres chers: à travers un rideau qui bouge ou bien sur une chaise de la table à manger, à la lumière. Pour conclure, nous apercevons souvent les yeux des proches qui se plissent et se ferment doucement sous les rayons du soleil. Je crois que la lueur aveuglante recouvrant leurs paupières les force à fermer les yeux et puis à ainsi imaginer les membres de leur famille qui sont morts. Les yeux fermés, il·elles peuvent les revoir. Le Soleil c’est la source les ramenant près d’eux.

Crédits photo : Funfilm