Friday

16-05-2025 Vol 19

Jour de chasse : une faim avide de tuer le désir

Je me suis rappelée aujourd’hui du pas si nouveau film québécois Jour de chasse. Je n’ai fait que voir la bande-annonce au cinéma mais ma mémoire n’a pas oublié le sentiment que j’ai eu à ce moment-là : j’étais intriguée et un peu perturbée. C’est avec une allure sombre que débute le film. Ce sont cinq copains chasseurs qui partent une fin de semaine en forêt :  Bernard (Bruno Marcil), Alexandre Landry (LP), Philippe (Marc Beaupré), Kevin (Frédéric Millaire-Zouvi) et Claude (Maxime Genois). La twist par contre, c’est que parmi ces hommes, il y a Nina jouée par Nahéma Ricci qui s’incruste dans le groupe. 

 

D’abord, Jour de chasse a été réalisé par Annick Blanc, cette production étant son premier long métrage. Créatrice de plusieurs courts métrages, elle a conquis la scène internationale. Le film a été projeté en première mondiale au festival texan South by Southwest, en mars 2024. La première canadienne a eu lieu le 1 août 2024, au Festival Fantasia – Sortie en salle au Québec: 16 août 2024.

( https://www.filmsquebec.com/films/jour-de-chasse-annick-blanc/)

 

« La chasse c’est pas pour les filles » lui dit Kevin (Frédéric Millaire-Zouvi) alors que Nina (Nahéma Ricci) se cherche un endroit où rester pour les prochains jours. Puisqu’il part chasser avec son groupe de cinq copains et qu’il n’a pas su tenir tête à Nina, Kevin la laisse les accompagner. Tous ensemble, ils partent à la chasse dans la forêt du Grand Nord. Sur le chemin, ils font la rencontre d’un étranger sur le bord de la route, Doudos (Noubi Ndiaye), et puis il finit par se joindre à eux pour le jour de chasse.

 

Alors que les cinq copains, Nina exclue, utilisent un langage aux paramètres misogynes, il est devenu évident que ce groupe d’hommes est carrément un boys club. Le jour de chasse approche et l’on se rend compte que ces hommes ne désirent qu’une chose : tuer.

 

Par ailleurs, plus le drame grandit, plus la performance de l’actrice Nahéma Ricci jouant Nina est délectable. Dans ses yeux bleu océan, elle nous fait voyager au travers de la désillusion et de l’espoir. Sans jamais se détacher de ses principes et de ses valeurs, elle reste fidèle à son énergie revendicatrice et garde son sang-froid. À l’opposé, je me rends compte que je n’ai pas tant de choses à dire sur les autres personnages. On aurait dit qu’ils se ressemblent tous un peu dans leur attitude et leur parole, ce qui fait qu’ils forment un tout indifférenciable. À vrai dire, mon sentiment n’est pas trop étranger à leur propre façon de concevoir la bande, car ils se disent tous comme des loups, faisant partie de la même meute. Comme si leur rôle était interchangeable dans l’histoire. Toutefois, ce n’est pas tout à fait le cas pour Doudos, l’étranger. Je trouve que c’est le seul rôle masculin qui détonne. Il joue une sorte de guide spirituel auprès du groupe ; il oriente des séances et des transes pour le groupe par l’entremise de drogues. Bref, ses actions et ses paroles se distinguent de celles de la meute, ce qui humanise beaucoup son personnage.

 

Je poursuis en faisant mention de la musique et de sa place importante dans le film en ce qui concerne l’ambiance dans laquelle on a voulu qu’on reçoive les images et les paroles.  Par exemple, le groupe se partage un joint en silence et voilà que de la musique troublante et lugubre nous encombre les oreilles. Dans plusieurs scènes, mais celle-ci particulièrement, la musique vient vraiment transcender l’image. La scène ne serait que banale dans son silence, mais la trame sonore qui nous gagne brusquement nous laisse perplexes, même au sortir de la scène. Tel est comment Peter Venne, responsable de la musique, a su mettre en son un corps malaisé jusqu’à en devenir inconfortable. En fait, Peter Venne a réussi à maintenir tout au long du film cet inconfort autant dans les silences que dans la trame sonore.

 

Dans un autre ordre d’idées, je voulais mentionner le paysage sombre et terreux qui décore l’écran. Au niveau de la lumière, nos yeux s’ajustent aux couleurs brumeuses et grisâtres qui habillent la forêt. Plein jour ou pas, on dirait que la pénombre a éclaté dans le ciel et que dehors n’est pas bon signe. De plus, de magnifiques cadrages circonscrivent des zones délicates autour de l’image. Par exemple, on nous montre de la pluie qui ruisselle sur la paume d’une main en plan rapproché ce qui vient rincer nos yeux de sérénité. Comme si on voulait nous donner des pauses à travers ces scènes où du sang animal coule au bout des doigts.

 

D’une manière à la fois subtile et à la fois brusque, on nous montre des signes de sauvagerie nous rappelant ce qui tient le groupe ensemble : la chasse, les fusils et la drogue. J’ai remarqué aussi que Nina et la bête sont toutes deux confrontées aux comportements problématiques du groupe d’hommes sans nécessairement pouvoir y changer quoi que ce soit ; elles sont ainsi toutes deux dans une position d’injustice et d’inégalité face à eux. Nina suit le groupe d’hommes et leur envie sanguine de tuer à répétition. Je ne sais pas comment vous l’illustrer mais il y a dans la forêt un territoire neutre où j’ai cru voir une violence qui se veut être douce. Le paysage boisé jusqu’à la fin du monde et les sapins aussi hauts que le ciel comme portrait du dehors semblent rendre de terribles choses si petites dans la nature.

 

À la fin du visionnement, j’ai été prise par surprise par la courte durée du film. Je me suis demandée à cet instant s’il n’y aurait pas de la valeur ajoutée à allonger le film de quelques scènes. Je ne me serais pas plainte de voir jouer plus longtemps Nahéma Ricci, bien sûr. Elle a une manière si sensible d’interpréter son rôle, son jeu est brut et elle nous transporte directement où elle désire nous amener. Le tout se joue dans son regard à la fois fragile et à la fois mortel, l’émotion s’expulse de l’actrice et elle nous transperce de l’autre bord de l’écran.

 

 

Bref, je dois avouer que je suis divisée vis-à-vis de ce film. J’ai aimé que la réalisatrice choisisse un angle psychologique à la violence. Elle qui demeure invisible à l’œil nu, quoique tout autant dangereuse. Non seulement dans l’image mais dans les mots, j’ai perçu des choix artistiques qui altèrent les formes et les normes que peut avoir la violence au cinéma. Pour finir, il faut à tout prix souligner  le personnage badass de Nina qui ne se laisse pas marcher sur les pieds par quiconque, même quand elle est toute seule contre cinq hommes. D’ailleurs, elle qui est imbattue par la médiocrité de l’Homme, je me suis attendue à une fin super féministe qui nous laisserait entrevoir un avenir meilleur. Mais bon je ne vous en dis pas plus sur la fin, si ce n’est qu’être une femme est la dystopie du siècle et que l’industrie du cinéma ne peut plus nous le cacher! Ouf je me suis laissée allée ici c’était ma grande finale et voilà je vous laisse avec ces derniers mots : l’extrait de l’oiseau à la fin est d’une poésie où la mélancolie se veut être une œuvre d’art. Le choix de cet animal plutôt qu’un autre veut en dire beaucoup je pense. Le fait que ce soit la dernière chose qu’elle regarde avant la fin me laisse sous-entendre que dans une autre vie elle était aussi libre que cette créature avec des ailes.

Crédits photo : Maison 4:3

Marianne Iezzoni