La bouteille, c’est de l’art, une création éphémère, furtive, mais bien vivante. Alors que la mer, c’est le spectateur, avec ses vagues d’idées préconçues sur la façon de recevoir l’imaginaire de l’Autre.
C’est tout un éventail de propositions novatrices que nous fait vivre Lucy M. May avec les cinq artistes qui l’accompagnent et l’entourent dans ce projet multidisciplinaire. Elle est accompagnée d’une sculptrice, d’une artiste de performance, de danseurs, d’artistes sonores, de vidéos ainsi que d’une artiste de théâtre d’ombres. On la voit tantôt sur une échelle à scander une critique cynique du monde de l’art, tantôt en train d’improviser du mouvement accompagné d’un percussionniste et d’une guitariste. Pendant ce temps, les autres interprètes déambulent dans l’espace déconstruit du Mai, provoquent ou suscitent son attention en le regardant droit dans les yeux. Ayant choisi spécifiquement des artistes avec une pratique fortement ancrée dans le freestyle et dans le faire-avec, Lucy M. May cherche à habiter l’espace de représentation artistique autrement qu’à travers les conventions établies. En déplaçant les codes, l’artiste parvient à parler mieux ou autrement à un public parfois habitué au spectaculaire. L’audience est, de ce pas, incitée à se déplacer dans l’espace modulable pour errer, « espionner » les humains qui s’expriment autour d’eux. On peut se surprendre à trouver l’un des interprètes commencer à danser dans le fond de la salle sombre, tandis que les éclairages sont rivés vers l’autre côté. Libre au spectateur de choisir la suite de sa propre trame narrative. On peut se sentir déboussolé·e par cette approche hors norme préconisée par Lucy M. May, comme on peut s’y sentir appelé·e et y trouver un plaisir dans l’aspect ludique de l’atmosphère instaurée dans l’espace. On peut décider de répondre aux tentatives d’interaction des artistes, puisqu’on peut choisir de faire la sourde oreille et de poser son regard ailleurs, surtout lorsque l’un des danseurs s’assoit tout près pour briser la bulle du regard omniscient. Le public se sent rapidement intrus dans l’imaginaire collectif des interprètes. Des moments sensibles et chaotiques, décontractés et mélancoliques se succèdent et se superposent, vague après vague, dans une folie déconcertante. Par ailleurs, il revient au public de se laisser éponger par ces couches sensorielles de médiums, par ces paysages intérieurs qui giclent au visage.
Un parcours d’œuvres multimédias agit sous forme de préambule à la performance vivante. Dans celui-ci, le public retrouve une installation de bouteilles de verre dans laquelle, s’il y plonge son regard, il peut y entrevoir des captations vidéo de danses improvisées dans des espaces urbains reconquis par la nature. L’artiste se demande comment se réapproprier l’espace et si l’art, l’expression humaine spontanée, serait le déclencheur de la revitalisation d’espaces délaissés ou ayant perdu leur aspect de nature foisonnante. L’art est-il une forme de la nature? La création a-t-elle un affect dans les contextes hors de l’urbain? L’art mérite-t-il vraiment d’être cloisonné dans des espaces qui lui sont exclusivement réservés? En dansant, en sculptant des installations dans des milieux délaissés et en transposant ces actions filmées dans une institution réservée à l’art, il faut se demander si l’œuvre est préservée, si l’intégrité, la pureté de l’expression artistique reste intacte. Dans les mots de Daniel Buren : « tout ce qui se montre dans le contexte du musée est considéré et produit selon le regard de l’autre sur l’œuvre ». En ce sens, est-ce que l’art est vivant même hors des murs de la galerie ou de la salle de spectacle? Est-ce que l’art hors contexte, hors du regard de l’autre, peut exister?
The Conditions est une œuvre de l’artiste de danse contemporaine Lucy M. May présentée au MAI jusqu’au 16 novembre.
Une critique de Vincent Lacasse