Avec le nouveau thriller psycho-horrifique de Jane Schoenburn, I Saw the TV Glow, et la bande-dessinée Au travers du rayon d’Aude Bertrand, l’année 2024 semble être marquée par l’arrivée de protagonistes complètement envahis par un média qui les fascinent. Alors que le premier explore la remise en question de la frontière entre la réalité et la fiction, la seconde traite plutôt d’un désir obsessif de transgresser les barrières entre le monde réel et l’œuvre cinématographique. Si l’idée de pouvoir pénétrer dans un média fascinant afin de fuir l’ennui au quotidien vous intéresse, je vous conseille fortement la lecture d’Au travers du rayon.
La bande dessinée est loin d’être la première d’Aude Bertrand; l’artiste française est après tout une vétérane du fanzine et la cofondatrice de la maison d’édition Microgram. Il est cependant son tout premier livre et, honnêtement, quelle entrée dans le domaine! Paru en septembre dernier chez les Éditions 2024, Au travers du rayon est un film sur papier. Il m’est impossible de le décrire autrement. L’inspiration cinématographique est palpable, et ce, non seulement parce que le septième art est le sujet principal de l’œuvre, mais aussi parce que la composition des pages est irrévocablement filmique. Je vais développer ma pensée ci-dessous, mais je suis d’avis qu’elle devrait être considérée comme une œuvre honorifiquement cinématographique.
La bande dessinée met en scène l’été de Jeanne, qui remplace sa tante Sophie en tant que concierge d’immeuble. Elle illustre le désintérêt de Jeanne pour cet emploi estival en l’opposant à sa passion pour les essais sur le cinéma et pour les films. Elle raconte comment Jeanne reprend la théorie du rayon vert dans un contexte cinématographique, qui deviendrait ainsi la possibilité de s’introduire dans la scène d’un film pour un court instant. S’apparentant à l’idée d’une limite plus poreuse entre le monde des vivant·e·s et celui des mort·e·s du 31 octobre, la séparation entre la réalité et la fiction disparaîtra pour Jeanne le 31 août à midi. En attendant, la protagoniste enrôle le nouveau locataire de sa tante, Élie, dans ses obsessionnelles répétitions de la scène qu’elle cherche à introduire. À force de vouloir communiquer avec les personnages fictifs, elle en vient à oublier son véritable entourage, la raison de son amour pour le septième art et la réalité qui l’entoure. Au travers du rayon est un récit doux-amer qui aborde le désir de s’évader du quotidien ainsi que le prix à payer pour que cela se réalise.
Il est absolument nécessaire de parler de la nature cinématographique du livre. Dès les premières pages, l’influence du septième art sur Bertrand est palpable en raison de la manière dont elle compose ses planches et dont elle choisit ses couleurs. Chaque vignette propose un nouveau plan et on a l’impression, en les parcourant des yeux, de percevoir des effets de montage. Je pense en particulier à l’une des premières « scènes » du livre, qui dépeint Jeanne en train de marcher dans les rues désertes de sa ville et qui voit au loin le cinéma. Bertrand dépeint le bâtiment de loin, puis approche la « caméra » pour faire un gros plan sur les films à l’affiche. Puis, elle dépose la « caméra » à une distance de la protagoniste, qui avance jusqu’à ce que le haut de son corps domine le cadre. Même la manière dont elle dessine la protagoniste qui regarde le cinéma déborde d’inspiration cinématographique. Elle est illustrée en contre-plongée, mais le fait qu’elle lève la tête pour observer le bâtiment indique déjà à quel point elle est soumise à son obsession. L’incroyable attention aux détails de Bertrand brille dès l’introduction. C’est pour cette raison que je pense qu’Au travers du rayon, malgré son statut d’œuvre littéraire, devrait être considérée comme honorifiquement cinématographique : certes c’est son sujet principal, et l’influence théorique et visuelle du médium est ressentie tout le long de la lecture, mais mon opinion est surtout motivée par la manière dont ces éléments sont mis en œuvre, qui est indéniablement celle d’une réalisatrice de film.
Je conseille la bande dessinée Au travers du rayon à ceux·celles qui aiment les films indépendants à l’aura nostalgique d’un passé ils·elles n’ont jamais connu, à ceux·celles qui raffolent des récits qui abordent la poursuite d’une obsession menant vers l’auto-aliénation, ou encore à ceux·celles qui cherchent à lire des bandes dessinées construites avec dévotion et talent. Je la suggère aussi à tout le monde, parce que j’ai adoré ma lecture… Ou peut-être devrais-je dire mon visionnement.
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Bertrand, Aude, Au travers du rayon, Strasbourg, Éditions 2024, 2024, 180 p.
Durand, Karine, « Phénomène météo extraordinaire : le rayon vert du soleil », Futura, 11 novembre 2022, en ligne, https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/meteorologie-phenomene-meteo-extraordinaire-rayon-vert-soleil-101713/, consulté le 30 octobre 2024.
Article rédigé par Audrée Lapointe