Dès vendredi 27 mai, Emily Gan et Daniel Schater nous présentent enfin ce film lumineux et tout en douceur qu’iels ont coréalisé, coproduit et co-monté en 2019.
Le Québec adore son cinéma. On en est fier·ère·s! Plusieurs d’entre nous s’investissent dans l’industrie, inondant de leur création les festivals d’ici et d’ailleurs. La province est souvent en tête de liste à l’international et particulièrement pour ses productions de court métrage, lesquelles se retrouvent souvent aux Oscars. On est aussi plusieurs à se donner rendez-vous en salle pour voir notre cinéma, même si parfois, les films y passent trop rapidement. Les cinéphiles québécois·es n’ont aucune difficulté à nommer nos réalisateur·rice·s les plus connu·e·s : Xavier Dolan, Denis Côté, Micheline Lanctôt, Anaïs Barbeau-Lavalette, Philippe Falardeau, Louise Archambault, Denis Villeneuve et j’en passe.
Mais qu’en est-il de notre cinéma en anglais ? Il faut se l’avouer, il passe inaperçu, souvent considéré comme un cinéma « canadien » et non pas « québécois ». Pourtant, l’Université Concordia diplôme plusieurs cinéastes chaque année, mais restent-iels ici ? Ou vont-iels aux États-Unis ou encore à Toronto ? Zion Lipstein-Saffer, cinéaste et diplômé de Concordia disait, en 2021 : « J’ai toujours senti que Montréal était un espace qui nous donnait la liberté de raconter nos propres histoires, et pas seulement un lieu de tournage de gros blockbusters. Il faut dire aussi que je n’ai jamais pensé devenir cinéaste pour devenir riche, en tournant des films que toute la planète verrait et en devenant célèbre. C’est une mentalité qui est davantage présente à Toronto, d’où je viens[1]. »
Emily Gan et Daniel Schachter, les créateur·rice·s de Pink Lake, sont de beaux exemples de cette culture cinématographique anglophone bien vivante au Québec. Ces deux Montréalais·es sont des artistes multidisciplinaires et iels réalisent, produisent et montent ensemble leur premier long métrage. En plus d’être photographe et professeure de yoga, Gan a gagné le prix de la « cinéaste émergent » au festival Hot Docs en 2019 avec son premier long métrage documentaire, Cavebirds, tandis que Schachter, en plus d’être auteur-compositeur, a réalisé Entre chien et loup en 2013, un court métrage qui a été bien reçu en festival. Cela leur aura pris deux ans avant que le film sorte en salle (cette semaine), ce qui montre que peu importe qu’on soit anglophone ou francophone, le courage est essentiel pour faire du cinéma ici.
Pink Lake, c’est principalement le nom d’un lac près du Parc de la Gatineau en Outaouais. C’est aussi l’histoire d’un couple, Cora (Alysa Touati) et Sam (Charles Brooks), vivant paisiblement dans une magnifique maison en campagne, mais qui voit sa relation ébranlée par la visite d’une amie de Sam, Nadia, qui vient juste de se séparer. Nadia (Marie-Marguerite Sabongui) n’attendra pas très longtemps pour dévoiler la vraie raison de sa visite : elle souhaite avoir un enfant seule et demande donc à Sam d’être le géniteur. Cela réveille chez Sam sa propre volonté d’être père, mais qui vient se choquer à la nouvelle décision de Cora de ne pas vivre la maternité, suite au décès de sa mère. Cette intrusion dans la vie tranquille du couple n’est pas sans rappeler le film Mother! de Darren Aronofsky, mais n’ayez crainte, les perturbations n’iront pas aussi loin.
On entre dans le film Pink Lake comme on entre chez quelqu’un qu’on connaît bien : sans cogner. On y est déjà en fait, quand les habitant·e·s arrivent. On y est même avant que l’assistant·e caméra n’ait eu le temps de faire sa clap, l’outil qui « claque » et qui permet d’identifier les prises, en plus de synchroniser le son et l’image. Le choix de laisser cette clap dans le film brise tout de suite le quatrième mur, avant même qu’il n’ait pu se dresser devant nous. Pour la suite, tout est possible. Serions-nous devant une histoire vécue ? Il ne sera pas possible de le deviner d’ici la fin du film, mais il y a certainement une empathie particulière qui s’installe au fil du récit, et ce, pour tous les personnages.
En plus de nous faire découvrir de nouveaux visages à l’écran, le film nous permet de découvrir le travail d’éclairage de Nathalie Moliavko-Visotzky, une grande directrice photo qui a plus de quarante crédits de film à son actif, mais qui a surtout travaillé en documentaire et en court métrage. La lumière dans Pink Lake est douce et souvent à l’allure naturelle. Les principaux contrastes sont entre les couleurs chaudes de l’intérieur de la maison et les couleurs froides du soleil d’hiver lors des scènes d’extérieur. D’ailleurs, les images fixes et la sobriété du montage rappellent le travail de Michael Haneke, le réalisateur autrichien qui a signé Amour et La pianiste.
Tout au long de Pink Lake, les spectateur·rice·s sont accompagné·e·s par la voix hors champ de Cora. Parfois écrivant son journal, parfois récitant de la poésie, cette voix nous rappelle qu’il s’agit de son histoire. C’est son expérience que nous vivons et c’est par ses yeux que le film nous est raconté. Lorsqu’elle raconte à Nadia l’histoire de la maladie de sa mère, l’authenticité de l’interprétation et la justesse du scénario donnent à la scène un ton proche du documentaire. Dans un monologue, face à la caméra, Cora relate presque stoïquement les derniers instants de sa mère, devant une Nadia émue. Elle parle du soulagement, puis de l’infinie tristesse qui, en fin de compte, se dissipe: « Something I almost miss the pain. », dit-elle. Criant de vérité.
Même si l’on est parfois à l’extérieur avec les personnages, le film nous donne une impression de huis clos. Est-ce que cela ira trop loin ? Devrais-je m’inquiéter pour Cora ? Les gros plans sur les personnages nous permettent de les voir dans leur individualité. Ces plans n’arrivent pas à réduire le trio à des duos : c’est chacun pour soi. Cette sensation d’enfermement nous permet aussi de croire à la familiarité des personnages qui se rapprochent au fil du récit. On comprend l’amour de Sam et de Cora et l’on ressent le malaise de cette dernière face à l’intimité que son copain entretient avec Nadia. La musique est singulière : elle ponctue le film avec des chansons folkloriques et autres sons éthérés créant souvent des ambiances contrastées. Les superbes images d’hiver sont à l’image de l’intériorité de Cora, dans l’angoisse et la mélancolie, mais qui essaie tant bien que mal de s’ouvrir à la possibilité d’un printemps.
Tout en silence et en clarté, ce film nous rappelle le genre de conversations que plusieurs d’entre nous, millénariaux·alles, entretenons avec nos ami·e·s, face à un avenir incertain. On se reconnaît dans Cora qui rappelle avoir été la « girl growing up, expecting to be mother », mais qui maintenant, « don’t want to leave anything behind when [she]’ll go ». Au travers les tourments du couple, les personnages jonglent avec la pression à devoir devenir parents, et les raisons qui les (nous) poussent à ne pas l’être, ou à l’être justement.
Pink Lake est un film de contemplation, une ode à la nature et au renouveau, dans lequel poésie et méditation se côtoient. Un film sensible qui semble ouvrir une porte sur l’intimité même des réalisteur·rice·s. D’ailleurs, si vous souhaitez rencontrer Emily Gan et Daniel Schachter, le film sera présenté au Cinéma Public, les 27 et 29 mai, dans sa version sous-titrée en français, en présence des réalisteur·rice·s.
Jaëlle Marquis-Gobeille
[1] Samuel Larochelle, « Cinéastes anglophones au Québec: faire tomber la barrière de la langue », en ligne, https://cmf-fmc.ca/fr/futur-et-medias/articles/cineastes-anglophones-au-quebec-faire-tomber-la-barriere-de-la-langue/, consulté le 24 mai 2022.
Rédigé par Jaëlle Marquis-Gobeille.